Une critique sans divulgâcher.
Non ! Ce n’est pas une course effrénée ou des chars modifiés à la Fast and Furious que nous propose Louis Bélanger pour son neuvième long-métrage. Réalisateur émérite, qui a vu ses œuvres façonner le paysage québécois et son cinéma. Ses nombreux prix pour le troublant et subjugant Post-mortem etle documentaire Lauzon, Lauzone, Gaz Bar Blues (Jutra, prix Gémeau, etc…)parlent d’eux-mêmes.
Avant d’être le prix du public au dernier Festival de la Ville de Québec (FCVQ 2019), Vivre à 100 milles à l’heure, c’est l’histoire de trois périodes cruciales dans la vie de « cette gang » composée de Louis Jacques, Daniel Guérette, Éric Langevin et Nathalie Tremblay. De l’âge de 10 ans à 13 ans, en passant par l’âge de révolte entre 14 ans et 17 ans, pour finir avec les premiers pas dans l’âge adulte, 18 ans et plus. Un film touchant, attachant, où l’on pourrait parfois confondre notre jeunesse avec les 4 protagonistes. Ce film coloré, sans être moralisateur, nous amène à rebasculer dans la jeunesse des années 70-80 qui embrasse les 400 coups. Se mettre des embûches pour mieux les déjouer devient le leitmotiv de « cette gang ». Après tout qui n’a jamais fauté.
Autobiographique ou non, Louis Bélanger retrace à merveille une ambiance, une époque et pour cela il s’est entouré des jeunes talents de la scène québécoise pour jouer les trois temporalités comme Rémi Goulet (Le répertoire des villes disparues, La Marina et dans des séries comme District 31, Unité 9…), Antoine L’Écuyer (C’est pas moi ! Je le jure ! Pour toujours… Les Canadiens ! Le bruit des arbres…), Félix-Antoine Cantin, homme de théâtre et que l’on a aussi aperçu dans la série Clash. Le rôle féminin de Nathalie est joué par Sandrine Poirier-Allard (La Bronca, mais aussi les séries telles que Marche à l’ombre ou Interpol). On n’oubliera pas Elijah Patrice-baudelot, Cassandra Latreille, Nicolas Guay et Dylan Walsh.
Comme Michel Gondry et le jazz, omniprésent dans ses films, Louis Bélanger consacre une belle part à la musique qui a bercé son enfance et qui fait figure de personnage récurrent dans ses films : le blues.
Enivrant, subtil, le blues épouse à merveille les contours de ce neuvième long-métrage.
L’équipe du film, avec entre autres le réalisateur Louis Bélanger, le producteur François Tremblay et les acteurs Sandrine Poirier-Allard (Nathalie), Antoine L’Écuyer (Daniel) et Félix-Antoine Cantin (Éric), nous a fait l’immense privilège de répondre aux questions d’Entrée Libre :
Souley Keïta (à François Tremblay) : Pourquoi ce choix de film ?
François Tremblay : Ce n’est pas tant le film ou le réalisateur. Je suis né à Sherbrooke, j’y ai vécu mon adolescence. Louis écrit ses scénarios et lorsque j’ai l’ai lu, on se retrouve dedans, on le retranscrit avec notre vie. Louis a fait les 400 coups à Charlebourg, moi je l’ai fait ici à Rock Forest (Sherbrooke). Puis j’ai vu tout de suite qu’il y avait une résonance. C’est un scénario magnifique, puis je trouve qu’à l’écran, ceci est la même chose.
On rit beaucoup au début, les personnages sont attachants et colorés puis on tombe, au fur et à mesure, dans un drame.
C’est tout de même très engageant car ce sont des chemins qui se croisent, se décroisent. Un film qui met en avant l’amitié et qui est excessivement lumineux. Un coup de cœur pour Louis Bélanger et pour son scénario.
Souley Keïta (aux acteurs) : En ayant partagé un pan de la jeunesse des années 70-80, est-ce que vous la trouver aux antipodes par rapport à votre génération ?
Felix-Antoine Cantin (Éric) : On parle de film d’époque mais ça ne fait pas si longtemps que cela les années 80 (rires). Je ne trouve pas, il y a des médiums qui ont évolué ou émergé mais côté jeunesse je trouve que l’on est assez ressemblant.
Sandrine Poirier-Allard (Nathalie) : Ah je ne trouve pas ! Il y a une affaire… C’est mon opinion, mon vécu à moi, mais je trouve qu’il y a une affaire qui est différente, c’est le regard de l’autre qui a changé. Dans les années 70-80, il y avait cette facilité d’être ce que l’on veut, n’importe quand, n’importe comment. Aujourd’hui tout est plus calculé, tout est fait dans l’optique de se faire voir, de se faire remarquer.
Souley Keïta : C’est un peu une des clés du film, des personnages qui se construisent par rapport à ce que l’autre peut lui apporter sans être jugé, c’est cela qui est différent.
Antoine L’Écuyer : Je me demande juste si ce n’est pas une tendance qui a juste évoluer mais c’est un long débat.
Souley Keïta : Le personnage de Nathalie est un personnage fort au début et pourtant on voit son courage s’amoindrir au fur et à mesure qu’elle grandit, est-ce que tu l’as ressentie ?
Sandrine Poirier-Allard (Nathalie) : Ah je ne suis pas certaine d’être en accord avec cette vision. Elle reste la même. Le personnage de Nathalie est aventurière sans pour autant être influencée.
Souley Keïta : C’était quoi le plus dur dans ces personnages?
Felix-Antoine Cantin (Éric) : Le plus gros défi a été dans la continuité des personnages, car trois générations représente un seul et même personnage. C’est comment en tant qu’acteur, on est capable de suivre ce que les autres ont fait. Pour ma part, j’ai demandé les rushs (les prises) de mon plus jeune pour voir son énergie, ses mimiques pour qu’il y ait une continuité.
Antoine L’Écuyer : Nous nous sommes entretenus avant le tournage, mes deux petits « cocos » et moi, pour se donner des tics, des gestuelles. C’est sûr qu’il y a des modifications lorsque l’on grandit. Dans nos personnages adultes, il y avait une courbe qui a été dur à trouver.
Souley Keïta : Les trois générations sont très ressemblantes.
Sandrine Poirier-Allard (Nathalie) : Cela a été un gros défi pour Louis.
Louis Bélanger : Ah ! C’est un tour de force. L’aventure du casting a été assez intense. Je le savais que je courais après le trouble (rires), mais je niais un peu cela. L’important était de convaincre les gens par rapport au projet (diffuseurs, producteur). Je dis tout le temps que l’on va régler les problèmes, les uns après les autres. À un moment est arrivé le problème du casting, un peu proche des dates du tournage mais finalement cela s’est placé. Outre, la ressemblance physique, ce qui guide mes choix dans la salle d’audition, ce n’est pas tant le cv de la personne mais l’aspect de jouer le naturel, d’être crédible, la compréhension des enjeux et surtout la générosité de voir l’ensemble des personnages qui cohabitent dans le film.
Souley Keïta : Est-ce que le personnage de Louis Jacques est une alternative de ce que votre vie aurait pu être dans la jeunesse ?
Louis Bélanger : Ah, ce n’est pas une alternative, c’est carrément moi. Je tenais beaucoup au bloc de la petite enfance pour montrer que le film n’est pas un déterminisme social. Il n’est pas né dans les années 70, dans un 3 1/2, avec une mère qui boit et un père qui le bat. C’est un milieu aimant, on est en banlieue, il y a de l’amour, donc tout ce qu’ils font, ils le font par envie. Moi je viens de ce milieu, d’abord, à Beauport, puis après le déménagement, à Charlesbourg. Il y a beaucoup de Louis Bélanger, dans Louis Jacques.
Souley Keïta : Mais pourquoi ne pas l’avoir appelé Louis Bélanger ?
Louis Bélanger : Ça ne me tentait pas que les médias focalisent là-dessus. Ça ne servait à rien, c’est ce qu’ils font de toute façon (rires).
Souley Keïta : Je ne le vois pas comme ça mais plutôt comme une force car c’est cela qui vous définit, c’est votre background qui vous a amené à cette position.
Louis Bélanger : Oui mais je voulais garder une certaine pudeur. En créant des petits mensonges, il était plus facile de changer de nom pour me permettre des désaccords avec la réalité.
Souley Keïta : Est-ce que la non-présence des parents initie un drame social ? Est-ce une critique des années 70-80 ?
Louis Bélanger : Non pas une critique, il est peut-être vrai qu’il y avait moins d’encadrement, mais en même temps c’est un choix scénaristique. Je ne voulais pas que ce soit télé romanesque, on ne donne que cela. Les parents qui s’inquiètent des enfants avec cette scène : « Mais pourquoi tu ne me parles pas ? » (rires)
Je voulais pour ce film, une version Charlie Brown. Dans l’œuvre de Schulz, on n’a jamais vu un adulte même lorsque le professeur parle, on ne le voit pas. Les parents de Charlie Brown, on ne les voit pas également. C’est un univers dépeint par les enfants. Je ne voulais pas tomber dans un truc moralisateur.
La vérité, c’est que l’on ne laissait pas les adultes rentrer dans notre vie.
C’est très volontaire car c’est la perception que j’ai de ces années.
Souley Keïta : Est-ce que Vivre à 100 milles à l’heure ce n’est pas la conclusion inévitable d’un crash social?
Louis Bélanger : Crash social, non. Ce serait mettre une trop grande portée. Vivre à 100 milles à l’heure, c’est dépeindre plutôt l’état d’esprit qui anime ces jeunes. J’ai douté au moment de donner un titre, par peur qu’il soit associé à un film de voiture.
Mais en y réfléchissant, je trouvais que c’était la métaphore parfaite pour exprimer le parcours de ces jeunes.
Sortie le vendredi 27 septembre 2019 à La Maison du Cinéma.