Plusieurs villes dans le monde ont commencé à répondre aux questions qui précèdent (voir article La décroissance?) et à trouver des solutions aux enjeux planétaires en incarnant le changement de paradigme dans leurs organisations, leur système alimentaire et leur économie. Ces villes dites «en transition» prônent l’autonomie alimentaire, les circuits courts de consommation, l’économie locale, l’éducation populaire, l’équité et le respect de l’environnement. Elles ont rapidement créé un réel mouvement international, qui a débuté principalement en Angleterre en 2006, dans les villes de Totnes et de Todmorden.
La ville de Todmorden a participé à augmenter la conscience citoyenne vis-à-vis l’autonomie alimentaire grâce au projet des Incroyables comestibles, l’initiative citoyenne qui consiste à créer des potagers urbains de plantes comestibles dans divers lieux publics stratégiques de la ville pour maximiser l’autoproduction maraichère et la réappropriation citoyenne de l’espace. Tous sont invités à jardiner et à récolter, afin que les citoyens associent le communautaire, le partage et le localisme à l’alimentation, et changent ainsi leurs habitudes de production, de transformation et de consommation d’aliments.
Le mouvement des Villes en transition de Totnes regroupe quant à lui une foule d’activités liées à la réduction de la consommation et à l’augmentation du partage: échanges de connaissances, cours de cuisine végétarienne, de jardinage et de transformation de nourriture, conférences et ateliers sur les modes de vie collaboratifs et alternatifs, sur les maisons écologiques, sur le transport actif, sur la communication non violente, ainsi que différents projets liés à la création d’une économie basée sur l’alimentation locale. Un volet important de leurs activités est lié à la sensibilisation des citoyens à la nécessité de modifier de toute urgence le mode de vie actuel des sociétés dites «industrialisées», afin qu’un nouveau modèle social résilient puisse émerger.
Un modèle à reproduire?
La faible densité de population et l’abondance des ressources naturelles font du Québec et du Canada des régions idéales pour développer l’autosuffisance écologique, économique et alimentaire. En effet, la superficie, le climat tempéré, l’abondance des forêts, des terres arables et de l’étendue du réseau hydrographique font du territoire le lieu idéal pour entamer une transition énergétique. La grande région de Sherbrooke possède un potentiel agricole et social intéressant, qui mérite d’être davantage mis de l’avant.
La ville de Sherbrooke pourrait tout à fait s’inspirer de ce modèle de société alternative pour se créer une identité propre dans sa préparation au pic pétrolier. Une foule d’organismes communautaires sont actifs à Sherbrooke, une situation géographique idéale qui pourrait obtenir son autonomie alimentaire en mettant de l’avant une importante réorganisation des systèmes de production, de distribution, de transformation et de consommation. Les citoyens doivent discuter entre eux et définir de façon démocratique et collaborative leur vision d’une société en transition. L’implication citoyenne et la prise en charge des différentes branches d’implication sont primordiales. En ce sens, une modification du modèle électoral est de mise pour maximiser la représentativité et la participation citoyenne, et ainsi créer un «municipalisme libertaire». Il est aussi important d’amener les organismes sociaux et environnementaux existants à converger vers le Mouvement de Transition afin de mobiliser les énergies vers la création plutôt que vers la réaction.
Quant à l’autonomie alimentaire, il est primordial de «se départir de la programmation de nos besoins» et de changer nos références en matière d’alimentation pour atteindre cette autosuffisance. En effet, bien que les Québécois sont actuellement friands d’exotisme, de sucre et de gras, il faudra (ré)adapter notre consommation et nos gouts aux cultures locales. De plus, l’autoproduction nécessite un temps que les citoyens ne possèdent pas: il est impossible de travailler 35 heures par semaines tout en veillant à subvenir soi-même à ses besoins alimentaires. Voilà pourquoi il est important de modifier les contraintes qu’impose le moule social actuel pour donner les moyens aux citoyens de s’impliquer dans la transition. Par exemple, pourquoi ne pas intégrer une semaine des moissons au Québec, afin que chacun puisse accorder le temps nécessaire aux récoltes et à la transformation des produits de leur potager urbain ou péri urbain? La région de l’Estrie possède une quantité importante de terres agricoles de qualité, mais seulement 12% de ce sol est présentement dédié aux cultures.
L’état actuel de l’autonomie alimentaire de l’Estrie nous démontre qu’avec une importante réorganisation des modes de production, de transformation, de distribution et de consommation, le potentiel d’autosuffisance est très élevé.
Bref, dans une perspective de résilience, d’amélioration de la qualité de vie et de l’environnement, de libération de la dépendance au pétrole et d’autonomie alimentaire, il est intéressant d’entamer une transition énergique et sociale. À court terme, l’Estrie peut rapidement atteindre l’autonomie alimentaire en remodelant les systèmes de production, de transformation, de distribution et de consommation de ses différentes municipalités. De surcroit, la ville de Sherbrooke pourrait accroitre grandement son autonomie alimentaire en mettant en place les leviers institutionnels nécessaires au développement de l’agriculture urbaine à pleine capacité. La participation citoyenne est toutefois primordiale pour cette réalisation. Et si les meilleures réponses au pic pétrolier et aux changements climatiques ne venaient ni des grandes organisations, ni des gouvernements, mais bien de vous et moi, et des gens qui nous entourent?
Références
- S. Latouche. Petit traité pour une décroissance sereine, 2007.
- Roegen 1991, P. Hopkins et T. Pinkerton, 2009.
- A. Frémeaux. La nécessité d’une écologie radicale: La pensée à l’épreuve des problèmes environnementaux, 2011.
- J.-P. Vermette. Conférence d’introduction, École d’été d’agriculture urbaine, UQAM, 2014.
- L. Williams, L. Comment la ville de Sherbrooke peut-elle entamer sa démarche de décroissance par l’entremise de l’autonomie alimentaire et de l’agriculture urbaine?, Les AmiEs de la terre de l’Estrie, 2014.
- MAPAQ. Agriculture et Agroalimentaire. Profil de l’Estrie, 2014; Bookchin, M. 2010. Le municipalisme libertaire. In Une société à refaire: Vers une écologie de la liberté. Éditions Écosociété. 301p.