Une critique sans (trop) divulgâcher
Le premier long-métrage de Ariane Louis-Seize est à La Maison du Cinéma dès le 13 octobre, ce vendredi vous portera chance.
Minutieuse et sanglante comédie noire!
La jugulaire palpite encore, les commissures esquissent de vibrants mouvements vers le haut, les mains tâtonnent les accoudoirs devant les amuse-bouche d’une année cinématographique québécoise idyllique. Dans sa diversifiant année cinéma, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant entre dans ce beau moule, toutefois l’œuvre s’installe dans son unicité scénaristique, son humour noir et son visuel texturé très léché, en témoignent sa victoire internationale de meilleure réalisation dans la compétition parallèle de la Mostra de Venise ou le prix du jury au dernier FNC, mais pas que… Le premier long-métrage de Ariane Louis-Seize puise dans le film de genre où l’on contemple la sensibilité narrative de la réalisatrice à travers un récit humoristique et vampirique. Sensibilité, « deuil » et parfois fantastique que l’on découvrait dans certains de ses courts-métrages. S’entrelacer dans des sujets difficiles peut parfois être sanglant et on notera que la bienveillance peut être salvatrice, on le ressent dans un récit qui n’a pas pour idée de blesser.
Des thématiques fortes au-delà de l’âge ingrat.
Une comédie, oui, des thématiques fortes, également. Les thématiques fortes évoquées par la réalisatrice nous interpellent à travers un âge où l’on veut s’affranchir d’un monde complexe, des règles parentales. Un monde adolescent où l’on évite d’éluder des sujets brûlants, après son Comme une comète qui nous faisait voyager dans les deuils des relations familiales, la réalisatrice traverse avec passion (et humour) le harcèlement, les pressions familiales, le suicide et la solitude. Des sujets souvent difficiles, mais nécessaires. On soulignera les performances de Félix-Antoine Bénard qui donne la réplique à Sara Montpetit (toujours plus impressionnante à chaque film que l’on visionne d’elle.) Sans oublier les personnages de Noémie O’Farrell, de Steve Laplante, Sophie Cadieux ou Marie Brassard qui complètent à merveille cette comédie. Un univers où il y a des points forts et dans lequel s’inscrit une direction photo maîtrisée par Shawn Pavlin, la musique de Pier-Philippe Côté, qui soulève tant d’inquiétude dans cet univers vampirique ou les costumes de Kelly-Ann Bonieux (en primeur Rico Berlingo).
Chapeau pour ces délices!
Le journal Entrée Libre s’est entretenue, avec joie, avec la réalisatrice, co-scénariste Ariane Louis-Seize, ainsi qu’avec l’actrice Sara Montpetit et l’acteur Felix-Antoine Bénard :
Souley Keïta : Premières images, première question. Dans ce fond noir, tu installes l’idée de norme avec les festivités d’un anniversaire. Est-ce qu’il y a une volonté d’apposer une nouvelle image à ce mythe sanguinaire et sans foi ?
Ariane Louis-Seize : C’est une belle analyse, car oui j’avais envie d’apposer une nouvelle image au vampire, mais ce n’était pas nécessairement l’intention en commençant dans le noir. Je voulais plus rentrer tranquillement dans cette ambiance, puis de commencer à deviner l’environnement et que l’on sente un peu cette famille. Famille qui pourrait être une famille québécoise, mais finalement on découvre petit à petit que ce n’est pas une famille selon des normes. J’aime ce côté mystérieux de commencer dans le noir et je voulais que l’on soit avec le personnage de Sacha qui a les yeux cachés. Je voulais que l’on soit dans sa tête. C’est plus relié au côté intimiste, mais j’adore l’analyse poussée du symbolisme que l’on peut voir à travers le film.
Souley Keïta : On découvre des personnages sensibles en dehors d’un monde qu’il refuse, en dehors des moules pour redéfinir leur propre conception d’un monde à leur image. Qu’est-ce qui est venu vous chercher dans le récit de Ariane Louis-Seize et Christine Doyon ?
Sara Montpetit : Il y a plusieurs choses qui sont venues me chercher, notamment le monde des vampires qui est fortement intéressant. Pour une actrice, j’aime l’idée que c’est une base qui est vierge, car ce n’est pas comme jouer un être humain. Oui, il y a certains codes dans ce genre, mais c’est un personnage qui est fictif et qui est nourrissant, nous avons juste cette envie d’explorer pleins de possibilités. L’écriture de Ariane (Louis-Seize) et de Christine (Doyon) est tellement rythmée et que la touche d’humour dans un contexte très sombre est tellement rafraichissant. C’est tellement intéressant de jouer avec cette balance entre le sombre et le lumineux qui se dégagent à travers les personnages en restant dans ce ton joyeux, drôle et sensible.
Félix-Antoine Bénard : Cela va ressembler à ce que Sara a mentionné, mais il y a aussi la sensation de lire quelque chose et de participer à un projet qui sent la nouveauté, qui sent quelque chose que je n’avais pas encore vu au Québec. De pouvoir faire partie d’un projet qui va sur des terrains inconnus et qui reste dans une idée artistique, que ce soit dans le scénario, que ce soit dans le titre qui fait que cela te donne le goût de vivre cette aventure. Ariane et Sara sont extraordinaires.
Sara Montpetit : Si je peux rajouter un petit élément, je trouve qu’il y a quelque chose d’intéressant de faire un coming of age unique. Dans les coming of age que j’ai pu voir auparavant, je n’arrivais pas à m’identifier à des personnages qui ont souvent un même paterne quelque peu quétaine, très américain. Avec Vampire, ce soit deux adolescents qui essayent de grandir et qui sont tellement décalés de leur monde, du monde en général. C’est vivifiant d’avoir un coming of age où l’on sait que l’on peut trouver une ressemblance à nos vies. Je suis content que ma petite sœur puisse aller au cinéma et trouver dans ce film deux personnages attendrissants qui se créent leur propre monde.
Souley Keïta : Le complexe de l’immortalité face à la contrainte de la mortalité. Au travers de ton film, tu exposes deux faces, une vampire lumineuse qui rêve de plus de lumière et un humain qui s’enferme un peu plus dans l’obscurité. Peux-tu nous en dire plus ?
Ariane Louis-Seize : C’est comme cela que j’ai construit les personnages. Il y a plusieurs choses à dire. Premièrement, j’avais envie de donner un visage plus humain à ce que l’on considère comme un monstre. Deuxièmement, chez les humains, je voulais faire ressortir ce côté plus monstrueux, je ne parle pas de Paul, mais plus des tourments. Il y a quelque chose qui met en lumière des personnages disjonctés. Pour Sacha et Paul, il y a une solitude et des problématiques qui se complètent. J’aime bien la formule de « la vampire lumineuse » qui cherche plus de lumière, mais en même temps ce qui se passe dans le film, c’est que la solitude est brisée où il y a la nécessité de vivre autre chose. Nous avons une scène où la chanson Emotions (de Brenda Lee) joue et il existe une sorte de symbolique. Les émotions sont les pires ennemies de Sacha, car elle n’est pas capable de passer à l’acte, mais finalement les émotions peuvent aussi être des alliées. Elle doit apprendre à trouver une réconciliation entre deux parties d’elle-même. C’est la même chose pour Paul qui verra que s’approcher de la mort peut aussi créer une pulsion de vie. Il va sans doute trouver d’autres moyens de vivre des émotions.
Souley Keïta : On accole à ces deux adolescents des sujets d’actualité, harcèlement, suicide, pression familiale, des sujets difficiles. Est-ce que cela vous a rassuré de voir que ces personnages peuvent se parler en sachant qu’ils ne sont plus seuls à vivre ces tourments ?
Sara Montpetit : Je trouve qu’il y a quelque chose de rassurant que ces personnages se trouvent grâce à leur différence, à leur incompréhension, et ils réussissent à se créer un monde qui leur convient. Je trouve que ce sont des problématiques que l’on vit, tant en étant jeune, qu’en étant adulte et qu’il faut rester fidèle à nous-mêmes dans ce monde qui est tellement complexe. Il faut apprendre à sortir des valeurs familiales qui sont parfois perpétuées. Il faut rester fidèle uniquement à soi.
Félix-Antoine Bénard : Je vais rejoindre ce que dit Sara (rires), c’est toujours difficile de passer en deuxième. Ce que je trouve beau avec ces deux personnages, c’est qu’il/elle ne sont pas bien dans la manière dont leurs mondes les obligent à vivre. Ils vont trouver leur propre chemin malgré le fait d’être parfois encastré dans une façon de faire. Trouver un moyen pour vivre une vie qui leur ressemble.
Souley Keïta : Tu abordes l’idée que la lumière ne meure jamais, elle peut vaciller, même dans ce suicide voulu par tes personnages. Est-ce qu’il était important et en quoi était-ce important d’apporter de la lumière même lorsqu’on pense que tout peut s’éteindre ?
Ariane Louis-Seize : Mon intention avec ce film est notamment de voir les gens sortir de la salle avec un sentiment de légèreté, avec le sourire au visage et une envie de rire plus fort, de discuter. Je voulais provoquer des émotions positives, car je n’avais pas envie d’ajouter au cynisme de ce monde et de ces situations conflictuelles. Créer de la lumière lorsqu’on est entouré de beaucoup d’événements sombres, déprimants. J’ai mis en aparté un long-métrage dramatique de côté, car moi aussi j’avais besoin de quelque chose de lumineux.
Félix-Antoine Bénard : C’est souvent très intéressant d’aborder le drame avec de la comédie, c’est à ce moment-là qu’il y a une forme de légèreté. C’est un film certes qui parle de harcèlement, de dépression, de suicide, mais c’est un film qui ne va jamais te donner, pendant 1 h 30, une ambiance lourde à supporter. C’est constamment drôle, ce qui le rend un peu plus grand public. Cela encourage une réflexion différente en ayant un sentiment qu’il reste de l’espoir.
Ariane Louis-Seize : On peut créer une œuvre qui est chargée de sens, qui brise les tabous en mettant des sujets sérieux, mais qui va être lumineux. Je fais un aparté, créer de la lumière ne veut pas dire se mettre la tête dans le sable, en se disant que tout va bien ou que cela n’existe pas, mais plutôt de créer un sentiment d’apaisement dans ce KO.
Félix-Antoine Bénard : Bonne chance pour rajouter quelque chose après. (Rires)
Sara Montpetit : Vous avez pas mal répondu à cela. (Rires)
Souley Keïta : Commençant par le début, les références, la genèse du projet, notamment dans la nécessité de mélanger deux registres qui te sont propres : le fantastique et l’adolescence.
Ariane Louis-Seize : Il y a eu des films proposés à Sara et Félix-Antoine comme Under the skin (de Jonathan Glazer) pour l’ambiance étrange, le jeu de l’actrice. Il y a quelque chose de hypnotisant à travers son jeu et en même temps une sensibilité. Ce n’est pas une vampire, mais une extraterrestre qui se demande c’est quoi être une humaine. Il y a un parallèle intéressant. Il y a le film A girl walks alone at night (de Ana Lily Amirpour) que j’ai beaucoup aimé ou Only lovers left alive (de Jim Jarmusch) qui est une référence visuelle, car j’aime bien créer dans mes univers un visuel avec beaucoup de texture et un mélange d’époques. Les vampires de Jarmusch sont un parfait dosage visuel entre le baroque, sans toutefois aller trop dans le kitsch.
Sara Montpetit : Il n’y a pas Låt den rätte komma in (de Tomas Alfredson)?
Ariane Louis-Seize : Par rapport à ce film, je ne sais pas comment me positionner, parce que je l’ai aimé, mais je ne voulais pas comme réaliser un film qui se ressemble. Dans les références, il y a le ton doux et amer de Juno (de Jason Reitman) que j’aime beaucoup.
Sara Montpetit : Tu m’avais mentionné Harold et Maude (de Hal Ashby).
Félix-Antoine Bénard : C’était intéressant lorsque tu nous en parlais.
Ariane Louis-Seize : C’est sûr que Harold et Maude a une influence lorsqu’on pense à Paul, car il a une fixation sur la mort. Ce n’est pas quelque chose sur laquelle je revenais souvent, mais c’est un film tellement attendrissant. D’ailleurs, Sacha a 68 ans comme Maude dans le film de Hal Ashby.
Pour la genèse, c’est rare que je me dise que je pars du côté intellectuel, en me disant notamment que je veux parler de tel sujet ou que je veux mettre en avant tel ton. Je savais à la base que je voulais réaliser un film de vampire.
C’est une figure mythique qui m’attire beaucoup, c’est également un vivier important pour parler de différents sujets. Je venais d’écrire un long-métrage dont l’écriture a été très difficile émotionnellement. J’ai décidé de ne pas faire ce film, car j’étais usée par le processus d’écriture. À ce moment-là, j’avais envie de faire une comédie, de m’amuser et je ne voulais pas qu’écrire devienne une souffrance. Les films qui me plaisent le plus, ce sont les films d’humour noir, j’aime beaucoup les mélanges de mélancolie et de comédie. Le cinéma de Stéphane Lafleur est le parfait exemple et je sens des liens de parenté avec son univers. Je me disais que le film de vampire et la comédie sont deux genres complémentaires en y ajoutant des personnages adolescents. J’aime traiter l’adolescence dans mes films, est-ce que je vais le faire toute ma vie? Probablement pas, mais c’est tellement un sujet inépuisable, cette époque de la vie. On vit tout de manière intense cette période, puis c’est la fin de quelque chose, le commencement d’autre chose. On vit des moments de transition importants que ce soit dans le deuil ou dans l’éveil sexuel. C’est dans tout cela qu’a pris forme Vampire humaniste cherche suicidaire consentant.