Deux unanimités en 24 heures à l’Assemblée nationale: un signe de fierté qui ne trompe pas. Mais le projet de laïcité de la CAQ échappera-t-il aux nombreux dérapages virtuels?
1- Motion unanime à Québec en appui à la loi 99
La motion déposée par Pascal Bérubé, chef par intérim du Parti québécois «condamne la volonté du gouvernement canadien de brimer le droit inaliénable du peuple québécois de choisir librement le statut politique du Québec en le rendant conditionnel à un amendement à la Constitution canadienne». Ce texte a été adopté, sans débat, après un vote par appel nominal où chaque député s’est levé pour signifier son accord. Le député péquiste Martin Ouellet a demandé qu’on en envoie copie au bureau de Justin Trudeau, à celui du ministre fédéral de la Justice, aux Communes, au Sénat ainsi qu’à toutes les législatures du pays.
2- Retrait du crucifix, à l’unanimité
Comme le conseil municipal de Montréal l’avait fait pour le sien une semaine auparavant, le gouvernement de la CAQ, dans la foulée du dépôt de son projet de loi 21 sur la laïcité, a obtenu jeudi matin le 28 mars 2019 le consentement unanime de l’Assemblée nationale pour que le crucifix accroché au Salon bleu où il trône au-dessus du maître du jeu des diverses délibérations – le président de la Chambre – soit déplacé pour être «mis en valeur» à un autre endroit dans l’enceinte du Parlement. L’unanimité des 103 députés présents en Chambre (où 22 sièges étaient vides, surtout dans les rangs du Parti Libéral) montre à quel point le Québec évolue vite vers la modernité. Étonnant si on se souvient qu’en 2008, l’Assemblée nationale avait voté à l’unanimité contre l’avis du rapport de la Commission Bouchard-Taylor, pour garder le crucifix installé par Maurice Duplessis en 1936, et qu’il y a à peine deux ans, la CAQ s’était opposée à Québec Solidaire réclamant un débat sur la question!
3- Projet de loi sur la laïcité
a) une laïcité à instaurer chez nous
Tel qu’habilement défendu par le ministre Simon Jolin-Barrette, le projet se veut pro-laïcité. Notre société souffre encore d’une tradition religieuse qui empêche par exemple les femmes de voir reconnue l’égalité des genres: le film Quand les pouvoirs s’emmêlent a eu moins de répercussions qu’il le méritait. Observons de près le volet enseignement de la loi. Plutôt qu’exiger le retrait du passe-droit accordé par la CAQ aux écoles religieuses, Québec Solidaire et le Parti Québécois devraient procéder conjointement en deux temps: d’abord proposer un retrait de toutes subventions, y compris les exemptions fiscales, aux écoles privées religieuses, vu l’incompatibilité de la science (faits) et de la foi (propagande ou mythologie), ce qu’INFOMAN nous démontre avec humour chaque semaine; ensuite exempter de l’application de la loi toute école religieuse qui renoncerait à ses subventions, mais l’imposer aux autres, en contrepartie de leur acceptation de l’argent gouvernemental.
Certains commentateurs prennent prétexte de la loi pour réclamer subrepticement la fin du cours Éthique et culture religieuse. Pourquoi le remettre en cause au moment critique où l’éthique en politique est mondialement battue en brèche par des populistes recourant à toutes sortes de désinformations et falsifications? Pourquoi joindre les rangs des Philistins pour attaquer la culture religieuse, tant les magnifiques sculptures géantes de Bouddha (démolies par les Taliban) que les Passions de Bach jugées trop longues par les incultes incapables de s’imprégner de leurs savantes structures et de leur infinie compassion?
b) on évitera l’intolérance raciste par l’égalitarisme écologique
Jusqu’à présent, le gouvernement de la CAQ, sous les règles de discipline édictées par le premier ministre Legault, a (à part la ministre Guilbeault) sagement renoncé à fouler le sentier explosif d’une chasse aux signes ostentatoires, ce qui n’a hélas pas empêché des groupes d’accuser les promoteurs de la loi 21 d’intolérance raciste. Rappelons-leur qu’en France un sondage a révélé que 75% des musulmans sont en faveur de l’interdiction du port du voile islamique chez les fonctionnaires, y compris les enseignants. On gardera en mémoire les laïcismes totalitaires de la Révolution française (qui a guillotiné des milliers d’opposants) et des pouvoirs communistes, notamment au Cambodge, en URSS et en Chine (qui persécute les Ouïghours, le Falun Gong et depuis plus d’un demi-siècle, les Tibétains). Mais toutes les religions accédant au pouvoir connaissent des dérives totalitaires aussi violentes: l’Inquisition, les djihadistes, les bouddhistes anti-rohingyas, les Juifs anti-palestiniens et les prédicateurs de la droite évangélique aux États-Unis et dans une partie des pays d’Amérique du Sud et d’Afrique.
La CAQ doit cependant intervenir pour éviter de fragiliser nos immigrés, surtout les réfugiés, qui ressentent la peur d’une exclusion manu militari et celle suscitée par les propagandistes de haine raciale et les groupes suprématistes blancs d’extrême-droite. Catherine Dorion a bien dit: « Lâchez-nous avec l’islam » et luttons contre le « clergé de la croissance économique » qui accroît sur notre planète les ravages environnementaux du pétrole des sables bitumineux et du militarisme brandissant ses bombes nucléaires. Un Québec fier et dont nous sommes fiers. Car même la CAQ n’a pas attendu l’admonestation des 150 000 manifestants du 15 mars pour se mettre en mode rattrapage, avec un programme en dix-huit points écologiques partagés avec ses instances locales à travers le pays.
On avance encore trop lentement, mais on avance, n’est-ce pas?