Un film de Denis Côté au cinéma, cela ne se rate pas et vous pouvez le voir, depuis vendredi 19 août, dans les salles obscures de La Maison du Cinéma.
Une critique sans (trop) divulgâcher.
Interpréter comme bon vous semble.
Interpréter, que ce soit une ligne de dialogue ou le langage cinématographique, est une des plus belles choses dans l’art. Par l’entremise du cinéma, elle est un legs, le partage d’une vision d’une créatrice, d’un créateur, d’une ou d’un interprète. D’une certaine manière, nous avons la possibilité de posséder l’œuvre et de laisser voguer nos pensées sur le récit ou les personnages dans cette salle obscure qui nous appartient le temps d’une œuvre.
Lorsqu’on évoque le cinéma de Denis Côté, c’est un réel plaisir de tomber dans une forêt d’interprétations cinématographiques, de prendre un chemin, de se tromper, de reprendre un autre chemin et de découvrir d’autres facettes d’un personnage, de voir que l’on se trompe sur certains côtés du film.
Un plaisir de parfois couler sous le flot de mes interprétations et de ne parfois plus apparaitre, submergé par mes questionnements.
C’est ce voyage que l’on effectue lorsqu’on prend le temps, 2h14, pour ne pas bâcler un sujet peu abordé dans le cinéma québécois : la sexualité… et encore moins la sexualité féminine. Un film qui se laisse le temps de faire vivre autant qu’il le faut des personnages qui ne sont pas unidimensionnels, mais des êtres avec leurs complexités. L’être humain n’a jamais autant resplendi que sous la caméra.
Justement Un été comme ça, nous amène durant 26 jours dans une maison de repos où 3 femmes, sous l’œil d’une thérapeute et d’un travailleur social, vont raconter leur relation avec le sexe. Un voyage dans lequel Mathilde (Marie-Claude Guérin), Octavia (Anne Ratte-Polle), Sami (Samir Guesmi), Léonie (Larissa Corriveau), Eugénie (Laura Giappiconi) et Geisha (Aude Mathieu) nous embarquent tant dans leurs doutes, dans leur joie, dans leurs certitudes ou leur folie… de vivre pleinement la vie.
La sexualité féminine sous l’œil sensible de Denis Côté
Lorsqu’on évoque la sexualité au cinéma, on peut très vite tomber dans la provocation, et donc dans un certain malaise, chez certains réalisateurs et finir seul contre tous comme c’est le cas chez Gaspar Noé avec son Love,3D Relief (2015). C’est également le cas de Sion Sono avec la plupart de ses films comme Cold Fish (2010) ou Guilty of romance (2011). Le réalisateur Denis Côté évoque qu’il aurait pu tomber dans cette catégorie de film sur la sexualité féminine, mais on sent tout au long du film une bienveillance sur ce sujet, une sensibilité de laisser le récit s’organiser autour de ces femmes sans l’aval de l’homme. On pourrait même se poser la question de l’utilité de Samy, aux faux airs d’un réalisateur infiltré dans son film.
Un film à scène et pas un film à plan.
Un été comme ça, n’apparaît pas comme une simplicité cinématographique, ce n’est pas la nécessité de faire du beau cinéma, comme on peut en trouver partout où certains réalisateurs ou réalisatrices misent sur le contemplatif, c’est avant tout de rendre à César ce qui lui appartient. J’aime l’idée de dire que le 14ème long-métrage (en 16 ans) du réalisateur montréalais est un film qui crée des scènes et non des plans. Un film dont les décors vibrent, avant tout, sous les traits, sous les dialogues, sous les émotions de ses personnages. Le cinéma a toujours évoqué pour moi l’idée de personnages complets avec leurs qualités et leurs défauts, où l’on peut s’enorgueillir ou rabaisser un personnage par notre vision. Un film dont la caméra devient parfois un personnage masculin qui brise la distance et qui regarde ces femmes sous toutes les coutures. (La caméra effectue un mouvement qui commence sur le visage, descend sur la poitrine et remonte sur le visage)
À travers certaines scènes, il y a des bijoux d’écriture où l’ambiguïté est à son paroxysme notamment lorsque Léonie (Larissa Corriveau) s’exprime sur une scène avec des partenaires multiples.
Le réalisateur, qui a concouru à la Berlinale 2022, a pris le soin de bien s’entourer de la vision des femmes tant dans l’écriture, dans la production et la postproduction du film et il se ressent que mon été cinématographique ne sera pas simplement comme ça, car il me laissera l’idée que j’ai pu vivre à travers un cinéma accompli.
Le cinéma de Denis Côté
Il y a des thématiques qui reviennent souvent dans le cinéma de Denis Côté. La thématique des personnages qui cherchent parfois à se confirmer et à avoir l’approbation de l’autre pour sans doute trouver un sens à leur vie. Cette validation pourrait paraître futile, car au final, il n’y a pas de remèdes à cela et comme le dit si bien le personnage de Diane : « Je te souhaite de te voir autrement que par le regard des autres. »
On retrouve dans ces deux derniers films, Hygiène Sociale et Un été comme ça, une thématique sur cette conception sonore qui nous immerge dans la nature, cette nature qui nous place une fois de plus face à soi-même, qu’elle soit en lien avec la distance sociale ou avec nos envies sexuelles.
Il y a également l’horreur que l’on a pu voir en 2019 dans son film Répertoire des villes disparues, qui nous apparaît, cette fois-ci, sous les traits de la possession. Finalement le mot de la fin serait peut-être qu’à travers ce film on doit sans doute réapprendre à se posséder soi-même.
Le journal Éntrée Libre a eu la joie de parler d’un des films de l’année les plus attendus avec les actrices Larissa Corriveau, Laure Giappiconi et Aude Mathieu, ainsi que le scénariste et réalisateur Denis Côté :
Souley Keïta : J’aimerais que l’on se penche en quelques mots sur la genèse de ce film, ainsi que les thématiques abordées dans ce 14e long-métrage.
Denis Côté : Si on parle de la genèse de ce projet, j’aimerais apporter des précisions. J’ai eu l’opportunité de faire 14 films en 16 ans et à travers cela, ce n’est pas toujours des thématiques qui sortent du fin fond de ma personne. Ce ne sont pas des sujets autobiographiques, mais il reste que je vais attraper ces sujets au vol, dans l’humeur du moment, dans l’inspiration du moment. Pour ce projet en particulier, cela a presque commencé comme une blague, notamment en se demandant où se situe le cinéma québécois qui parle un peu de la sexualité, qu’en est-il de ce cinéma-là. Où même quels sont les restes du cinéma d’exploitation des années 70 ?
Il y a une réflexion plus sérieuse qui se dégageait : quand est-ce qu’on parle de sexualité de façon frontale dans le cinéma québécois ?
Il faut reculer jusqu’au film de Denys Arcand Le Déclin de l’empire américain (1986) et de quelques poignées de films qui l’on peut compter sur les doigts d’une seule main. Je me suis demandé si je pouvais m’attaquer à cette thématique et puis lentement, c’est devenu un projet de plus en plus concret et sur lequel je me refusais toute provocation qui en ferait uniquement un film de « cul ». Le but n’était pas cela, car je voulais me lancer dans quelque chose de délicat qui aurait besoin d’être assez bienveillant, sans jamais oublier l’époque dans laquelle je vis, sans jamais oublier de dire à la faune culturelle ou au public que j’avais le droit de faire ce film. Je me suis dit que faire ce film est épeurant, que cela peut être compliqué, que c’est un piège à con, mais je vais essayer. D’une certaine manière, tout est devenu beaucoup plus sérieux, que ce soit dans mes lectures, avec entre autres Petite histoire de la nymphomanie (de Carol Groneman, 2001) qui décortique ce mot à travers les âges. Je suis parti ensuite sur une aventure de scénarisation plus conventionnelle, c’est à dire une plongée à travers trois femmes, trois personnages très beaux et très complexes.
Souley Keïta : Je dirai les 4 personnages féminins.
Denis Côté : Ah, je dirai même les 6 personnages (Mathilde, Sami, Léonie, Eugénie, Geisha et Octavia) du huis clos. Ces 6 personnes devaient avoir une complexité et il ne fallait pas décider que certaines dans le groupe étaient des victimes et d’autres ne l’étaient pas. Il y avait quelque chose de joueur à installer cela à l’intérieur d’un huis clos et c’est devenu un peu plus empathique, délicat et on était très loin de mon point de départ sur ce sujet. C’est un film qui vient avec son lot de responsabilités. Je suis fier de ce que l’on a fait.
Souley Keïta : On met surtout la sensibilité en lumière à travers ce film, au contraire d’un réalisateur comme Sono (Sion), réalisateur japonais qui est beaucoup plus dans la provocation sexuelle dans ces films.
Denis Côté : J’étais conscient de l’histoire du cinéma sur cette thématique. Dans les films japonais de l’époque, il y avait toujours cette question du « est-ce qu’on a le droit dans la société nipponne de faire un film comme cela? Faisons-le! » Il y avait du choc, il y avait de la provocation, mais cela restait des beaux films, notamment ceux de (Shonei) Imamura. Après cela, j’ai connaissance des provocations au début du siècle avec les œuvres de Catherine Breillat ou Gaspar Noé qui nous faisaient savoir que dans un cinéma mainstream on va oser des scènes chocs, mais j’avoue que pour ma part, très rapidement, l’option provocation a disparu. Je me suis connecté à une vision plus bergmanienne où il n’y avait pas besoin d’avoir quelque chose d’absolument narratif, mais plutôt un cinéma des sensations avec une écriture très horizontale. Lorsque je parle d’une écriture très horizontale, cela signifie qu’il n’y a pas de pivot narratif, que ce sont des gens qui vivent une sorte de love story intello et qu’on laisse cela se répandre.
Souley Keïta : Je vais vous laissez le soin de vous présenter en quelques mots, en tant qu’actrice et en tant que Eugénie, votre personnage.
Laura Giappiconi : Je suis une actrice française, j’écris et je réalise également des courts-métrages. Concernant mon personnage (Eugénie), elle est une des trois femmes de la maison. Cela part peut-être de quelque chose de l’ordre du jeu, mais Denis a voulu faire trois figures différentes, trois personnalités qui s’étalent dans les âges, avec des préoccupations différentes. Eugénie est la plus âgée des trois femmes et c’est elle qui a sans doute plus de problèmes. Des problèmes qui, si je devais mettre un mot, sont plus d’ordre psychiatrique que sexuel. De ce personnage tout de même mystérieux, les spectateurs vont découvrir également d’autres facettes tout au long du film.
Souley Keïta : Première image du film. Dans une entrée droite cadre, Mathilde, créatrice d’un projet, mentionne tant à son assistance qu’aux spectatrices/spectateurs une expérience concernant la sexualité dans laquelle on embarque. Une expérience qui brise des visions rétrogrades sur la sexualité féminine. Était-ce important de signifier que tout le monde doit prendre part à cela ?
Laura Giappiconi : Pour cette première scène, il y avait un scénario très précis, j’ai essayé chaque fois de rentrer dans ce qu’il y avait d’écrit. De cette manière dont elle voit la scène et du regard qu’elle dégageait, tu avais mentionné, Denis, un adjectif puissant. J’ai oublié le terme, mais je me souviens m’être demandé comment je dois jouer cela.
Denis Côté : Attention, les premières secondes du film sont floues et il y a un côté où l’on se demande ce que l’on regarde. C’est surtout l’idée que je ne vous donne pas de décor, pas de belle maison et où l’on va se concentrer sur les êtres humains. Ceci dit oui, on peut avoir cette interprétation, mais la scène d’ouverture est pour moi la scène la plus trompeuse de tout le film. Je m’explique, dans le sens où je vous impose un cadre très thérapeutique, la vanité de la science, celle de cette fille enceinte qui vient avec ses grands yeux et qui va « guérir » les problèmes de ces femmes. Je trouve que comme départ, c’est quelque peu misogyne et dans le cliché à partir du moment où elle dit vous n’êtes pas malades, mais on va vous traiter. Je voulais prendre le spectateur dans sa réflexion où il se dirait « ça va être lourd à encaisser avec ces filles malades qui vont devoir être traitées. »
Je savais déjà que je nageais dans le cliché donc cela me prenait dix minutes de over serious, puis, durant tout le film, on débobine toute la balle de laine en vous montrant l’inverse. Vous pensiez qu’il y avait un gros cliché avec cet homme qui prend encore une fois la place au-dessus des femmes, cet homme qui leur explique les règles, on va laisser le film aller et je vais vous démonter le cliché du départ. Il y a un peu la surpuissance de la science, de la thérapie et de la médecine qui va venir tout régler, alors que la science et les hommes ont toujours voulu contenir les désirs des femmes. Le mot nymphomanie a toujours été un synonyme de misogynie. Je trouvais que le début du film correspond à cette période. Nous sommes debout, on vous regarde assises et on va s’occuper de vous.
Souley Keïta : Je voulais revenir sur une thématique qui traverse le film et qui touche tous nos personnages : la confiance. La confiance de s’assumer soi-même, la confiance de se sentir libre, la confiance de se moquer de ce que pensent les autres.
Est-ce qu’il y a besoin du regard des autres, tant masculin que féminin, comme une des scènes avec l’avis de Diane?
Laura Giappiconi : Pour Eugénie, ce qui est assez paradoxal, c’est qu’elle est très autonome et en même temps elle est complètement dépendante des autres. De manière générale, c’est un personnage qui est construit de paradoxes et je trouve que c’est cela qui fait sa richesse. Dans le scénario, c’était intéressant de lire une chose et de voir la page suivante qu’elle fait totalement autre chose. De ne pas essayer de tout s’expliquer et de s’en tenir à chacune de ces choses qui sont parfois extrêmement éloignées. Elle peut être complètement seule, incapable de se ruer vers l’autre et après on la retrouve tactile avec l’autre. C’est ce qui est fort avec elle.
Denis Côté : Le bon mot serait validation. C’est une personne qui lorsqu’elle sera seule va contrôler son environnement et dès qu’il y a des êtres humains autour d’elle, Eugénie a cette nécessité de demander la permission, car il y a toujours une dynamique de validation chez elle et cela peut passer par la mythomanie, la séduction ou la folie. Avec ce personnage, on se rend compte que l’on parle moins de sexe. J’écrivais ce personnage comme quelqu’un qui demandait toujours à être aimé et c’est beau lorsqu’un personnage cherche cela tout au long d’un film, car tu peux avoir énormément de scène pour parler de validation. Léonie n’a pas ce besoin puisqu’elle connaît son pouvoir de séduction.
À travers ton langage cinématographique, tu as fait de ta caméra un personnage masculin qui absout la distance pour assouvir ses penchants. Un personnage qui peut paraître un prédateur notamment lorsqu’ il initie un mouvement du visage vers la poitrine pour remonter sur le visage. Peux-tu nous parler de ce mouvement ?
Denis Côté : Au directeur photo je lui demandais ce petit mouvement, notamment sur Eugénie. Je ne sais pas si on sent que c’est un point de vue humain, mais on sent une auscultation faite par la caméra. Cette proximité de l’objectif est paradoxale, car peut-être que certaines personnes vont estimer que la caméra est un peu voyeur, intrusif ou peut-être que d’autres vont le voir moins péjorativement. Ce que je voulais avec ce mouvement de caméra, c’était une protection contre l’idée de faire un film qui est dans la séduction de quelque chose. Si je laisse aller ma caméra et que je ne cherche que du beau, du confort et de la distance pour bien filmer les beaux personnages, le film devient joli et se retrouve à être séduisant. Si tu regardes comme il faut, tu verras qu’il n’y a pas de ciel, pas de plans larges sur la maison, pas de recul pour montrer le mobilier. On dirait que la proximité avec le personnage enlève ce côté voyeur. Je ne sais pas si j’ai raison, mais je me dis que si je colle sur une personne, le spectateur pourra se concentrer sur sa parole et sa personnalité. J’aime l’idée qu’avec ce langage cinématographique, je ne te laisserai pas admirer la qualité d’une peau, admirer un sein, ou admirer le décor.
Souley Keïta : On s’intéresse beaucoup à l’idée de normalité dans le film, qu’est-ce que répondrait vos personnages, après avoir vécu cette retraite de 26 jours, à la question c’est quoi la normalité ?
Aude Mathieu : Je pense que la normalité passe par l’acceptation. Je ne sais pas ce qu’elle se dirait, mais je pense qu’en s’acceptant, on est en accord avec notre version des choses, on accepte notre réalité. Notre réalité est une normalité.
Larissa Corriveau : J’essaye de répondre pour Léonie, mais j’ai l’impression que c’est un personnage qui est tellement rentré dans une vie frappée par les choses improbables. Il y a une histoire qui découle de la relation avec son père et je pense qu’elle n’est pas capable de comprendre le concept de normalité. Surtout avec son background qu’est-ce que tu peux considérer comme normal ? Elle a des paramètres inversés.
Souley Keïta : On va se pencher sur le personnage de Geisha, que vous interprétez Aude Mathieu, un personnage qui est en confrontation avec ses pensées. Ton personnage mentionne l’exemple de cette fille qui est forte, libre de ses convictions, qui se moque de ce que pensent les gens et pourtant on te retrouve dans cette retraite pour « être guérie ». Pourquoi ?
Aude Mathieu : Je ne pense pas que Geisha veut se sortir de cette situation ou être guérie. Je pense qu’en faisant cette expérience, on retrouve quelqu’un qui aime se sentir en vie, se sentir stimuler et elle a trouvé cela dans le sexe. À défaut ou par choix, c’est par ce moyen qu’elle a sa grande fierté, son autovalidation. Elle va dans cette retraite pour vivre simplement des choses et elle y va par choix. Elle n’est pas fermée à ce que les gens lui disent, elle n’est pas fermée à confronter sa réalité, mais elle s’amuse, un peu comme la fille au secondaire. Cette retraite est une autre expérience que Geisha ajoute à son bagage.
Souley Keïta : J’aimerai revenir sur la conception sonore du film qui est toujours fascinante, un peu comme dans Hygiène Sociale, il y a un attrait à la nature qui nous immerge dans un monde où l’on prend le temps de jauger, le temps de juger nos réflexions. En fin de compte, la conclusion est déjà trouvée, celle de voir dans ton film l’idée de rétrospection sur soi. L’idée de se retrouver.
Denis Côté : Il y a un travail paradoxal avec le son de la nature dans mon cinéma, c’est-à-dire que je n’ai jamais approché le son de la nature comme quelque chose qui te berce, quelque chose de réconfortant. C’est important de le signifier, mais je suis une personne extrêmement urbaine et le doux son de la nature qui te berce, je ne le connais pas assez. Je sais que cela existe, que c’est réparateur et que c’est la norme de considérer la nature ainsi. En étant très urbain, ce n’est pas ainsi que j’intellectualise la nature. Pour ma part, vu que j’ai un flou sur cela et qu’elle n’apparaît pas comme un confort, je le vois aussi comme une zone de menace. Dans mes films, cela peut paraître comme doux, mais je n’oublie jamais lorsque j’écoute mes films qu’il faut toujours amener un certain sens de la menace. Une fois de plus, on crée un paradoxe, car une belle balade de deux personnages en forêt n’est jamais contemplative et ni pour réparer l’âme, car tu peux marcher en forêt et être bien, mais il y a des ours. Je fais souvent attention à mon son pour ne pas exprimer une seule chose, par exemple, le calme du manoir dans lequel les filles vivent, si je me dis qu’il faut que ce soit un endroit calme comme unique règle de ma conception sonore, cela ne va pas très loin. Lorsque tu regardes le film, on remarquera qu’il y a un calme qui est suspect, il n’y a pas de bruit d’ailleurs, pourtant on a plusieurs personnes qui vivent dans la maison. Le silence se trouve avec deux fonctions, celle du calme et celle de l’inquiétude. C’est un paradoxe que l’on ne peut pas souvent mettre à l’image et c’est pour cela que je deviens de plus en plus amoureux du son. C’est pour cela que je me venge beaucoup plus par le son.
Souley Keïta : Il y a quelque chose de frappant avec ce visage masculin morcelé en deux parties, il apparaît par le biais de Sami qui vit une deuxième retraite pour « aider » les filles ou par le biais d’autres hommes qui s’expriment uniquement pour assouvir leurs désirs. Plus ils sont jeunes, moins ils s’expriment par la parole dans ton film. Est-ce qu’avec le temps, on se donne des chances de mieux se comprendre ?
Denis Côté : Peut-être que lorsqu’on est jeune et qu’on pense à tous les réseaux de fantasmes que l’on veut vivre, on associe cela à la spontanéité, à l’instinct animal, et on ne conçoit pas que cela puisse passer par la parole. En vieillissant, je pense que l’on trouve une maturité et que l’on commence à mettre des mots sur les fantasmes que l’on ressent. À 25 ans, le chum de Geisha n’est pas capable de s’exprimer, ni les joueurs de football.
Souley Keïta : Il y a un passage horrifique, une scène qui nous ramène à l’idée de possession notamment avec le personnage de Léonie et son père. Est-ce que finalement le film, ce n’est pas réapprendre à se posséder soi-même ?
Aude Mathieu : Il y a quelque chose d’assez intéressant avec cet acte, car les trois femmes laissent les trois intervenants dans une idée qu’ils n’ont pas, celle de s’habiter ou celle de se posséder.
Larissa Corriveau : Je pense que c’est exactement cela et cela m’a frappée au premier visionnement. Je me rendais compte que le terme de la sexualité était presque un prétexte pour parler de se posséder soi-même. Que ce soit dans les tentatives de se posséder ou même de se récupérer. On en parlait d’ailleurs notamment avec la scène qui l’évoque de manière très cinématographique sans être trop symbolique et pour moi c’est le dernier plan du film. Ces trois femmes font un acte qui est inexplicable, dans une sorte de connivence et qui leur appartient. C’est comme si le film nous mentionne quelque chose sur ces femmes et qu’on ne le saura sans doute pas.