J’ai croisé Martin en allant au dépanneur. Il m’a dit qu’il aimerait bien me voir en dehors du travail si ça me disait aussi. Il a écrit son numéro de téléphone sur ma facture de sloche. J’ai aimé son approche, toute simple. Quand je l’ai appelé, il m’a demandé si je souhaitais aller quelque part avec lui. C’est bien parce qu’en n’étant ni chez lui, ni chez moi, c’est moins intime et gênant.
Il a un authentique bazou avec des dés en minou pour le gag. Je m’y suis tout de suite sentie bien. On a roulé jusqu’à la Maison des arts et de la culture de Brompton. Je me suis dit que je saurais très vite s’il s’intéressait aux arts autant que moi.
On regarde des photos de ruines à Detroit. C’est impressionnant. Il me fait remarquer comment on peut tirer de la beauté de choses apparemment laides. J’aime le voir s’attarder devant des œuvres, comme méditatif. J’essaie de me concentrer sur les photos, mais je l’observe lui, d’abord. On discute peu mais bien, il a de la profondeur. Je découvre une autre facette du gars rieur qu’il est habituellement. En sortant, je n’ai pas envie que la journée s’arrête. Je lui demande s’il aurait le goût de venir chez moi pour partager un thé.
Martin est partant. «Par où on va?» J’en oublie de lui donner le chemin, vraiment, je dois calmer mon sexe et relaxer mes hormones. Je le guide sur ma petite rue. On débarque et je commence à avoir le cœur qui débat: plein de choses hétéroclites traînent. Mais ce n’est pas pour ça que je m’inquiète vraiment, c’est plus parce que je ne sais pas comment les choses pourraient tourner. Je me sens bien avec lui, alors c’est une belle nervosité. Juste un peu peur du rejet.
Il enlève sagement ses souliers en entrant. «Je m’excuse d’avance pour l’odeur.», déconne-t-il. «J’ai juste deux sortes de thé, laquelle tu préfères?» Il pointe ma préférée. Je me lance avec une question générale: «Alors ça fait combien de temps que tu travailles au dépanneur?» «Est-ce que c’est vraiment important? Je le sais que ça ne fait pas winner, mais j’ai une vie en dehors de ça, c’est juste pour payer les comptes. Et ce n’est pas toujours plate, tu sais, je me suis quand même attaché à certains clients.» «T’as raison, on se serait peut-être jamais rencontré si tu ne travaillais pas là.», dis-je, gênée.
Martin s’intéresse à mon fouillis de retailles de revues. J’ai décidé de faire plus de place aux arts. «Tu fais des collages? Cool!» C’est un vieux calendrier de chats sur lequel je colle des yeux et bouches humaines. Je ris un peu des calendriers sexy avec ça. Martin me frôle en pigeant une image de bouche. J’ai un frisson. «Alors, pas trop déçue de ta journée?», me demande-t-il.
— J’en ai eu des bien pires, dis-je avec un petit sourire.
— Mais attends, est-ce que tu dis ça parce que tu t’en vas bientôt?
— Je ne veux pas prendre trop de ton précieux temps de colleuse. C’est à toi de voir., répond-il.
— Toi, est-ce qu’on peut te coller ou c’est interdit?, me lance-t-il.
Devant ma surprise, il se ravise.
— Excuse-moi, je suis con. On était bien et j’ai gâché le moment.
— T’en fais pas. Ça fait un an qu’il ne s’est rien passé, je suis un peu rouillée.
Est-ce qu’il est aussi vite en affaires avec les autres filles? En même temps, je sais que ça ne veut rien dire. Et puis s’il n’est pas sérieux, tant pis. «Je vois bien que tu n’es pas sûre. On peut tout arrêter ici. La dernière chose que je souhaite c’est de te mettre mal à l’aise.» Je m’approche de lui et lui dit: «Est-ce que tu me serrerais dans tes bras, simplement.» Il s’exécute.
Je suis bien. Je resterais là quelques éternités, mais il se relève doucement au bout de deux minutes. «On va se revoir, tu crois?», demande-t-il, soucieux. «Bien, il faudra sûrement que j’achète des croustilles sel et vinaigre au dépanneur bientôt… Je te niaise, c’est sûr que je vais t’appeler, voyons.»
Tu n’es pas encore parti et je m’ennuie déjà de toi. Si j’étais au secondaire, je composerais un acrostiche sur-le-champ avec ton prénom et je parlerais de toi pendant une heure avec ma meilleure amie. Mais je vais juste faire mon sourire niais en secret.