Trump ou l’art de militariser la Loi de Brandolini

Date : 12 mars 2025
| Chroniqueur.es : Noémie Verhoef
Crédit image : Amine Dahmane

En tant que prof de philo qui passe une quantité non négligeable d’heures par année à expliquer le B. A. – BA du discours rationnel, il n’y a pas grand-chose qui me sorte plus de mes gonds qu’un politicien faisant un affront pur et simple aux lois universelles du raisonnement logique pour ensuite balayer le sujet du revers de la main. En ce sens, je suis particulièrement victime de la bullshit de Trump.

Faisons un bref résumé des exigences minimales de la rationalité. C’est vraiment très, très simple.

Primo, il y a le principe de non-contradiction, qui stipule qu’une chose et son contraire ne peuvent être vrais en même temps et sous les mêmes rapports et, deuxio, le principe d’identité qui stipule qu’une chose est toujours égale à elle-même. Autrement dit, affirmer une chose implique de désavouer son contraire et « un chat, c’est un chat. »

Pourquoi diable serait-il difficile de s’y tenir, au moins la majorité du temps? Parce que Trump est obligé de prendre la parole publiquement puisqu’il est censé être un représentant du peuple américain. C’est censé être ça, sa job.

Or, ce qu’il fait réellement en politique américaine n’a rien à voir avec le peuple, et sa vraie job à temps plein c’est d’occuper les journalistes et les fonctionnaires à mettre leur nez ailleurs que dans la réalité. D’ailleurs, ceux qui s’obstinent à le faire se font refuser l’accès aux conférences de presse du Bureau ovale et à Air Force One en guise de représailles. Répétez après moi, estimé·es journalistes de l’Associated Press : golfe des Amériques. Pas du Mexique. D’ailleurs, c’est quoi, le Mexique?

Cas de figure : l’appui de Trump aux courriels étranges d’Elon Musk

À propos des courriels envoyés par Elon Musk à des milliers de fonctionnaires fédéraux leur demandant de dire cinq choses qu’ils ont faites la semaine dernière « ou être considérés démissionnaires », un journaliste de l’Associated Press (AP) a demandé à Donald Trump de clarifier la consigne : qu’est-ce qu’ils allaient faire des informations et est-il réellement nécessaire pour tous les employés d’y répondre?

Voici ce que Trump lui a répondu : « It’s somewhat voluntary, but also if you don’t answer I guess you get fired. »

« C’est comme un peu volontaire, mais si tu ne réponds pas, j’imagine que tu es renvoyé. »

Et hop, juste comme ça, après avoir affirmé A et non A, il poursuit son explication de la méthode de Musk en disant : « C’est pourtant simple, si tu travailles pour le gouvernement, dis-nous cinq choses que tu as faites la semaine passée. Moi je suis capable de dire cinq choses que j’ai faites la semaine passée, c’est pas compliqué, je pourrais te dire cinq choses que j’ai faites il y a six semaines… »

Et de poursuivre en émettant des suppositions absolument improbables, mais qui sauront attiser la foudre de ses indéfectibles supporteurs. Selon Trump, ceux qui ne répondent pas sont surement : morts; inexistants; tellement lâches qu’ils ne prennent même pas leurs courriels; ou PIRE encore, en double-emploi et sont tellement occupés à recevoir deux salaires (ce qui est illégal, précise-t-il, comme si la légalité d’une chose était importante à ses yeux) qu’ils ne trouvent pas les cinq minutes nécessaires à répondre à un courriel si simple, pourtant.

Évidemment, il fait ces suppositions sans offrir l’ombre d’une preuve qui ferait de ces doutes une réponse raisonnable à un problème perçu. Exactement comme quand Russell nous enjoignait à imaginer une théière cosmique entre la Terre et Mars.

Pourquoi Trump voudrait-il justifier quoi que ce soit? Après tout, son but est de donner du fil à retordre aux journalistes qui passeront ensuite le plus clair de leur temps à dépatouiller le vrai du faux et à offrir mille-et-une interprétations à ces cryptiques paraboles.

Pendant ce temps, le peuple angoisse.

Ça, c’est l’autre objectif. On l’a tous et toutes vécu pendant la pandémie, puis lors de l’invasion de l’Ukraine : on a été scotchés à nos écrans et à nos ordinateurs pour en connaitre les moindres développements. J’ai, pour ma part, écouté tous les points de presse du gouvernement Legault pendant le premier mois et demi de la pandémie.

Puis… La crise est devenue la norme et les morts, des statistiques.

Cette apathie est d’ailleurs une réponse normale de notre corps à un stresseur très fréquent : on finit par s’y habituer, sinon on vire fous.

Et vous, êtes-vous tannés d’entendre parler de Trump et de ses niaiseries?

Je vous annonce que moi aussi.

Mais je crois que c’est un devoir citoyen de continuer de m’informer et d’informer au meilleur de mes capacités, car c’est là le seul acte de réelle résistance que l’on peut opposer à la stratégie de Trump : continuer de s’en faire pour la vérité. Continuer à la faire exister, contre vents et marées.

Sinon, on accepte d’être en train de perdre notre temps à essayer de jouer aux échecs avec un pigeon qui, se foutant éperdument des règles du jeu, va se contenter de déféquer sur l’échiquier, déclarer sa victoire et bomber le torse devant une foule ahurie par autant de non-sens.

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