Richard Desjardins et Robert Monderie n’ont rien perdu de leur verve. Dans ce cinquième documentaire, Trou Story, les deux réalisateurs s’attaquent cette fois-ci à l’industrie minière. Véritable plaidoyer pour la refonte de la loi sur les mines, le film flirte aussi avec des idées telles que la nationalisation de la ressource minérale.
Depuis sa grande première au Festival du cinéma international d’Abitibi-Témiscamingue, les critiques ont afflué de partout. Comme pour L’erreur boréale, la réaction de l’industrie et du gouvernement, non loin derrière, déguisé en valet de chambre, a été sans surprise. Ils ont nié en bloc le côté de la médaille présenté par le duo abitibien, alléguant sur un ton défensif et même condescendant que la situation dépeinte dans le documentaire illustrait l’ancienne manière de faire et que l’industrie était maintenant en communion avec les principes du développement durable.
Du côté des médias, les critiques sont plutôt positives à l’endroit des deux réalisateurs. Toutefois, quelques protestations se sont fait entendre ici et là, attaquant principalement leur objectivité. Des journalistes ont mentionné qu’ils avaient apprécié certaines composantes du film, telles que le travail de reconstitution d’archives de photos du 19e siècle. En contrepartie, ils étaient déçus de son manque d’objectivité. Marie-Hélène Paquin, de l’agence QMI, indique que le film expose «très peu les progrès faits par l’industrie en matière d’écologie et de conditions de travail». Sophie Cousineau, de La Presse, n’y va pas de main morte et affirme que les «trous de mémoire, si on peut les appeler ainsi, discréditent l’oeuvre de Richard Desjardins et de Robert Monderie.» Elle conclut en qualifiant le documentaire de «pamphlet aseptisé de toute information qui pourrait contredire l’idée de départ.»
Évidemment, certains semblent avoir compris mieux que d’autres qu’il ne s’agissait pas d’un reportage journalistique, le but étant tout autant d’informer que de forcer une réflexion. Question aussi de montrer que la subjectivité n’est pas une prérogative de l’industrie, qui s’achète à coup de millions des publicités très évidemment complaisantes, comme celle parue par hasard dans La Presse et pendant le téléjournal de Radio-Canada, le jour de la première de Trou Story, vantant les mérites de la «Roche sexy».
Marc Cassivi, plus pragmatique, notait dans La Presse que «le reportage journalistique et le documentaire pamphlétaire sont deux choses bien différentes. Si cette différence est bien établie, clairement affichée, et que le pamphlet ne tente pas de se faire passer pour une vision objective d’une situation, je ne crois pas que l’on puisse d’emblée taxer ses auteurs de malhonnêteté intellectuelle.» Au Devoir, autre son de cloche : Francoeur fait fi des débats entourant la subjectivité et en profite plutôt pour battre le fer pendant qu’il est encore chaud.
En fait, Desjardins a fait ce qu’il fait de mieux, soit de considérer les faits en fonction de ses biais sans pousser une analyse rigoureuse. Au-delà de la polémique sur l’objectivité des cinéastes, il demeure que ceux-ci apportent au débat sur les mines des pistes de réflexion. Le film tire en grande partie ses images et ses magnifiques prises de vues du nord-ouest de l’Ontario et de l’Abitibi, le long de la faille de Cadillac, qu’on surnommait à l’époque la 11e province.
Desjardins raconte les conditions de vie de «nos boys», dont une grande majorité étaient des immigrants. L’espérance de vie de ces non-syndiqués qui travaillaient presque sept jours sur sept était de 46 ans. Heureusement, pour les veuves, la tradition des minières d’offrir une dinde à Noël ne date pas d’hier.
Le film nous explique aussi l’importance géopolitique des mines de Sudbury pendant les deux guerres mondiales. Il décrit surtout la manière dont les minières ont pu en arriver à devenir aussi puissantes. En marge de la société, grâce à la Loi sur les mines et à l’argent, qui leur donne préséance sur tout, les minières ont toujours pu faire ce que bon leur semble. D’une histoire de chèque personnel de 5000 $ encaissé par Sir Wilfrid Laurier et signé par la compagnie minière Inco à la création de la ville de Noranda, grâce à une loi spéciale faite sur mesure pour l’industrie, le documentaire apporte un éclairage sociohistorique sur les mines, qui ne «parlent pas beaucoup, surtout pas de leur histoire», comme le mentionne le poète abitibien.
Vandalisme corporatif
Trou Story nous fait ressentir le déséquilibre des forces existant entre l’industrie, le gouvernement et la population. Les municipalités «dévitalisées» et acculées au pied du mur n’ont que peu d’options devant les projets miniers. Comparativement à d’autres industries telles que l’industrie forestière, les minières disposent, grâce à la Loi sur les mines, d’un meilleur rapport de force quand arrive le temps de négocier.
Le Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs et le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune sont relativement impuissants devant les multinationales minières. Ils sont contraints, nous dit Desjardins, d’émettre simplement des «permis de polluer». Le propos n’est pas tout à fait erroné puisque l’article 22 de la Loi québécoise sur l’environnement (LQE) énonce effectivement ce principe : celui qui pollue doit obtenir préalablement un certificat d’autorisation dudit ministère.
Au final, le documentaire souhaite ouvrir les yeux sur la nécessité d’améliorer la protection des droits des citoyens et des collectivités ainsi que la protection de l’environnement, de revoir à la hausse les redevances minières au Québec et de favoriser la transformation sur place. Malheureusement, le projet de loi 14 sur la mise en valeur des ressources minérales, qui en est actuellement à sa 21e séance d’étude détaillée en commission parlementaire, omet plusieurs de ces points.