Les élections québécoises du 7 avril dernier ont causé un choc chez de nombreux sympathisants de l’indépendance du Québec. Cette « crise » du mouvement souverainiste a néanmoins ceci de bon qu’elle sollicite notre réflexion. Le Québec est-il condamné à vivoter « entre un passé mort qui n’arrive pas à mourir et un avenir naissant qui n’arrive pas à naître », pour reprendre la jolie formule de Dominic Champagne ? Peut-on insuffler un nouvel élan au projet de pays ?
Dans ce texte, je vais présenter trois voies fécondes ouvertes ces dernières années par divers militants et intellectuels pour redonner un sens à l’idée d’indépendance : la voie républicaine, la voie progressiste et celle que j’appellerai, faute de mieux, la voie « volontariste ».
La voie républicaine
Il existe au Québec une tradition politique méconnue, mais qui traverse notre histoire, depuis la Rébellion des Patriotes de 1837-39 jusqu’au « printemps érable » de 2012 en passant par les grandes luttes sociales ou les manifestations pour la défense du français des années 1970 et 1980. Selon cette conception républicaine, la politique est la « chose publique » (res publica). Ici, le pouvoir est compris comme venant du peuple, qui a un rôle actif à jouer dans la vie politique, et l’État doit exprimer la volonté populaire.
Au Canada, c’est plutôt la conception libérale anglo-saxonne du politique qui domine. Dans ce modèle, la société est comprise comme un agrégat d’individus et le but de l’État est de protéger les droits individuels. Le peuple joue dans cette conception un rôle plus effacé dans la vie politique.
Cela apparaît dans notre mode de scrutin non proportionnel, qui reflète mal la volonté populaire. Cela se voit aussi dans la judiciarisation du politique au Canada, où la réforme constitutionnelle de 1982 a fait en sorte que les lois adoptées par tous les parlements du Canada doivent se conformer à la charte des droits pour être considérées légales. En outre, dans notre régime politique de monarchie parlementaire, le pouvoir appartient en principe à une élite personnifiée par un monarque, qui lui-même tient son pouvoir directement de Dieu, comme le rappellent nos pièces de monnaie, où on lit qu’Elizabeth II est « reine par la grâce de Dieu » (« D(ei) G(ratia) Regina »).
Dans une optique républicaine, l’idée d’indépendance peut donc être réactivée par une démarche constituante, dans laquelle le peuple québécois serait amené, pour la première fois de son histoire, à choisir son statut politique et à décider des règles fondamentales qui devraient régir sa vie.
La voie progressiste
Les progressistes considèrent quant à eux que la liberté politique, et donc l’indépendance du Québec, sont des moyens pour améliorer le monde et pour mener une vie plus digne. Ils diront que la liberté est incomplète sans une réelle égalité des chances.Pour être libre en effet, il faut disposer des ressources qui nous permettent de mener la vie que nous voulons.
Dans une optique progressiste, il faut donc donner un contenu au projet d’indépendance : celle-ci n’a de sens que si elle nous permet de construire un monde plus libre, plus juste et plus respectueux de l’environnement. Pour eux, ce projet ne se limite d’ailleurs pas aux cadres de l’État-nation, car il faut aussi se libérer de cette oligarchie économique mondialisée qui pille les peuples et la terre, et dont les intérêts déterminent en grande partie les décisions de nos gouvernants.
La voie volontariste
Mais comment se fait-il que les Québécois, qui pensent majoritairement qu’ils forment une nation et qu’ils ont les moyens d’être indépendants, ne semblent pas vouloir être pleinement maîtres d’eux-mêmes ? Cette question touche à la dynamique historique et aux luttes concrètes dans lesquelles un peuple découvre qui il est et en arrive à vouloir sa liberté.
C’est une dimension de la lutte nationale qui est investie par ceux que j’appelle les « volontaristes ». Pour eux, il faut faire advenir cet avenir que nous voulons en réveillant, par nos projets, les potentialités qui sommeillent dans notre histoire. Pensons par exemple à tous ces Québécois qui ont adhéré au projet souverainiste dans un contexte — la révolution tranquille — où la vie leur rappelait quotidiennement leur infériorité économique, culturelle et politique. Pensons aussi à tous ces jeunes qui se sont politisés, en 2012 ou ailleurs, en se butant au mépris de nos élites.
Pour actualiser le projet indépendantiste, un volontariste conseillera de renouer avec ce processus d’émancipation nationale où s’articulent un ensemble de luttes, dans lesquelles nous prenons conscience de nous-mêmes, des limites que nous impose le cadre canadien et de la nécessité de s’en libérer. Ces limites ont été résumées par les travaux des États généraux sur la souveraineté du Québec, qui ont permis d’identifier 92 blocages du système canadien au développement du Québec, blocages qui affectent tous les aspects de notre vie politique, économique, culturelle et écologique.
Loin de s’opposer, ces trois voies de réflexion et d’action sont complémentaires. Elles répondent à trois types de questions. 1) Que voulons-nous devenir politiquement ? Une république libre. 2) Pourquoi ? Pour vivre en français dans un monde plus juste et plus écologique. 3) Comment ? En renouant avec un projet organique d’émancipation collective.
L’auteur est co-porte-parole de Québec solidaire Sherbrooke.