Tribunal du logement : une illusion de justice

Date : 11 février 2025
| Chroniqueur.es : René Goyette
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Vous êtes un spéculateur, vous êtes sans scrupules et voulez devenir riche rapidement, devenez propriétaire de logements. C’est facile et vous pourrez abuser facilement du système en augmentant les prix comme bon vous semble. Pour ce qui est du Tribunal administratif du logement (TAL), vous n’avez rien à craindre, car sa justice n’est qu’une illusion.

Abus : mode d’emploi

Devenir riche facilement est possible au Québec : devenez propriétaire de logements. Voici comment.

  1. Achetez un immeuble à logements. Le prix est presque secondaire, car vous pourrez facilement en doubler les revenus en un rien de temps.
  2. À la première date de renouvèlement des baux, doublez le prix des logements. Si des locataires s’y opposent, faites-leur des menaces d’éviction. Au pire, si ces derniers ouvrent un dossier au TAL, n’ayez aucune inquiétude, car les auditions n’auront lieu que dans deux, trois ou même quatre ans. Ces délais sont amplement longs et vous permettront de faire usage de plusieurs moyens de dissuasion comme du harcèlement, des refus de réparations et de nombreuses poursuites pour des accusations infondées. Habituellement, ces mesures sont assez efficaces et vous éviteront de vous rendre jusqu’à la date d’audition au TAL.
  3. Une autre méthode intéressante est l’augmentation astronomique du loyer lors d’un changement de locataire. Bien sûr, une clause du bail exige que soit mentionné le prix payé par l’ancien locataire, mais vu l’incapacité du TAL à faire respecter cette règle et l’absence de vérification, vous n’avez pas à vous inquiéter. Allez-y rondement, faites-vous plaisir « Sky is the limit ».
  4. Si, par malheur, le nouveau locataire apprend que l’ancien prix payé était, par exemple, 300 $ de moins et qu’il n’y a aucune justification à cette augmentation abusive, ne vous en faites pas. Le temps que la cause se rende au tribunal, vous pourrez trouver une solution.
  5. Une autre méthode bien appréciée des propriétaires malhonnêtes est la « fausse reprise ». Le stratagème consiste en une simulation de reprise du logement par un membre de la famille du proprio. Dans ce cas, la loi autorisant la reprise, le locataire n’a pas le choix de quitter. Ensuite un bail fictif est signé par un des parents du locateur à un prix, disons doublé, et après un mois, on reloue avec le prix doublé inscrit à la case G indiquant le loyer payé par le dernier locataire. Et voilà !
  6. Si par malheur, après quelques années, un plaignant a le courage et la patience de résister jusqu’à l’audition au TAL, ne vous énervez pas. Dites-vous que le juge est surement de la même classe sociale des riches à laquelle votre statut de propriétaire vous donne droit. Et, pour ceux qui ont déjà passé en audience, il est évident que le locataire subit un préjugé défavorable (surtout si vous êtes un gars aux cheveux longs ou si vous n’avez pas de beaux vêtements). De plus, avec les moyens substantiels acquis par vos abus, vous pourrez vous prévaloir de supports juridiques dispendieux. Ce qui est un avantage certain face à un demandeur seul et sans défense devant ces procédures complexes et onéreuses.
  7. Vous craigniez qu’on aille en appel de la décision positive envers votre cause ? Pas de problème, le cout prohibitif de toutes poursuites supplémentaires aura vite fait d’exclure les locataires peu nantis.
  8. Et encore, nous n’avons pas parlé de la stratégie consistant à concentrer la possession de centaines, voire de milliers de logements par une riche agence cachée derrière un mur juridique et injoignable par les locataires. Le seul contact avec ces conglomérats est l’avis annuel d’augmentation ou l’avis d’éviction.

Des solutions ?

Mais comment arrêter cette dispendieuse gourmandise des propriétaires ? Voici quelques solutions :

  1. Un registre des loyers. La création d’un annuaire provincial des prix des loyers mis à jour en temps réel. Cela éviterait l’absence d’indication sur le dernier loyer payé et éviterait que les prix grimpent sans justifications.
  2. Des vérifications concrètes. Déceler les cas où une augmentation est justifiée pour des travaux qui n’ont pas eu lieu ou dont la facture a été gonflée. Vérification que l’éviction est bien justifiée par la reprise par un membre de la famille du propriétaire et que ladite personne y habite pour plus qu’un certain nombre de mois.
  3. Des auditions en visioconférence. Afin de désengorger le tribunal du logement, des audiences en vidéo accélèreraient grandement le processus. Un triage efficace pourrait y aiguiller les causes simples reléguant en présentiel les affaires plus complexes.
  4. De l’aide juridique spécifique. Par une aide juridique adéquate, les locataires se présentant au TAL pourraient vraiment se sentir d’égal à égal avec leur opposant. Un juriste spécialisé dans le domaine locatif pourrait préparer une défense utilisant la jurisprudence et présentant les antécédents juridiques du proprio dans ses activités de location. Il est à parier qu’une telle aide règlerait positivement des dossiers de locataires qu’on considérait comme « indéfendables ». Cela aurait surement une importante incidence sur l’arrogance et la condescendance qu’on voit parfois chez les juges.

Finalement

En résumé, la flambée de l’augmentation des prix de loyer est un bel exemple de ce qui se passe quand on laisse les spéculateurs agir sans règlementation. Laissez le gourmand libre et, sans limites, il pigera à deux mains dans le plat de bonbons.

 

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