Transit

Date : 11 septembre 2023
| Chroniqueur.es : Danielle Desormeaux
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Et puis le silence se dépose, vide et décevant comme une promesse non tenue. Deux étages plus bas, dans un bruit de retour d’air, la porte s’est refermée d’un coup sur l’écho amplifié du tourbillon matinal dévalant à toute vitesse la volée de marches jusqu’à la sortie.

À travers la baie vitrée, je vois, comme propulsée de l’intérieur, la petite troupe trépidante encombrée de sacs à dos et de boîtes à lunch se disperser à l’air libre puis se greffer à des grappes d’enfants colorés ballotant leur fardeau vers l’école. Aux prises avec un cafard incommensurable, je frissonne dans la clarté arrogante de cette cage d’escalier vitrée. Les relents de vieux tapis et de friture m’agressent. Pourquoi, après des années de garde partagée, est-ce encore si déchirant de me séparer d’eux ? 

Est-ce que j’ai pensé à mettre le médicament dans le sac… signé l’autorisation pour la sortie… ajouté les maillots de bain… De retour à l’intérieur, je surprends, dans la glace de l’entrée, sous une crinière de mèches n’en faisant qu’à leur tête, mon œil torve souligné d’un cerne sombre. L’image de cette femme de trente-deux ans, en robe de chambre déformée, travailleuse et mère submergée, me désarçonne. Au secours ! semble-t-elle me dire de son regard affligé. Occupe-toi de moi ! 

Lentement, le cœur en friche, je me dirige vers la cuisine. Le corridor est jonché de jouets que je cueille et range au passage. La poupée au bras déchiré résonne encore de cris stridents et de sanglots entrecoupés d’appels à l’aide qui me vrillent les tympans : Maman !! Dis-lui d’arrêter ! 

Près du mur, le camion, couché sur le flanc, déverse sur le plancher un amoncellement de blocs aux angles menaçants pour la plante des pieds. Je l’entends racler le bois du plancher, à toute vitesse d’un bout à l’autre du passage, et le timbre abrutissant de sa sirène vibre encore dans mes oreilles. 

À l’entrée de la chambre, les vêtements épars babillent d’enchantement, fredonne un air à la mode, s’extasie ou se lamentent, boudeurs. 

Dans la cuisine, le bol dans lequel flottent quelques céréales ramollies repose dans une flaque de lait qui affirme, d’un ton déterminé, je suis capable tout seul ! Une rôtie perforée en son centre laisse paraître un œil d’enfant qui dit : je te vois maman ! Vingt fois. Une mélopée caverneuse et répétitive s’échappe des écouteurs près de l’ordinateur. J’éteins le jeu, puis l’appareil. 

Pour la première fois ce matin, le bruit de la cafetière se rend jusqu’à mes oreilles. Je m’en verse une tasse.

Et puis le silence, quand tout s’arrête et se dépose, quand la vie, suspendue dans le temps, l’espace d’un instant, reprend son souffle. 

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