Entrée Libre a eu le privilège, en novembre dernier, d’être invité sur le plateau du prochain long-métrage de la cinéaste et documentariste Marquise Lepage. Le film québécois, qui a pour titre Apapacho – une caresse pour l’âme, est également produit avec le Mexique. L’équipe était de passage à Sherbrooke, dans l’arrondissement de Lennoxville, pour tourner quelques scènes du film, dans une vaste maison. L’histoire de ce film est celle de trois sœurs, jouées respectivement par Laurence Lebœuf, Fanny Mallette et Eugénie Beaudry, qui suite à une mort inattendue, devront vivre un deuil. Ce deuil, elles le passeront en partie au Mexique, où la mort est vue d’une tout autre façon qu’ici. Les parents du trio sont campés par Gabriel Sabourin et Myriam Leblanc. Entrée Libre s’est entretenu avec ces deux derniers, ainsi que la réalisatrice.
Entretien avec Gabriel Sabourin et Myriam Leblanc :
-Entrée Libre : Comment expliquez-vous notre obsession au cinéma de traiter du sujet du deuil ou de la mort?
-Gabriel Sabourin : Le réalisateur américain James Gray, qui a fait beaucoup de films avec Joaquim Phoenix, il dit : Je ne pourrais pas écrire un film qui ne parle pas de la mort. Parce que je ne trouve pas l’intérêt de parler d’autre chose, parce que la mort est vraiment au centre de la vie de tout le monde. Ça m’avait beaucoup troublé. Alors c’est pour ça que je pense que la mort est partout au cinéma, parce que c’est partout dans nos vies. Forcément, même si on ne veut pas la voir.
-Myriam Leblanc : On vient au monde, puis on nous apprend comment faire pour ne pas mourir. Constamment, on nous dit : attention, il ne faut pas que tu te blesses, il ne faut pas que tu tombes, il ne faut pas que tu te fasses frapper, il ne faut pas, faut pas… On nous donne plein de clés dès qu’on est jeune pour ne pas que ça nous arrive, mais ça va arriver.
-GS : On mange bien pour être en forme, pour mourir le plus tard possible, on s’efforce de ne pas fumer de cigarettes, etc. Ce qui trouble, c’est qu’il y a des gens qui décident de partir avant qu’ils soient obligés de partir, puis ça nous trouble parce que nous autres, on fait tout le chemin inverse.
-ML : On sait aussi qu’on va traverser cette douleur-là de notre vivant, la perte d’un être cher. Puis quand ça arrive, c’est tellement plus grand que nous, que de choisir d’écrire un film là-dessus, c’est peut-être d’avoir un peu une prise sur ce moment-là. Choisir de faire ressortir de cet événement-là quelque chose de positif. Quelque chose de maîtrisé, de compris, d’intégré. C’est comme de poser une certitude, que de poser une réflexion sur la mort, peut-être. Apapacho, c’est une caresse pour l’âme des personnages qui vivent ça, mais je pense qu’en quelque part, ça va être aussi une caresse pour l’âme du spectateur. C’est pour ça que le titre est si beau à mon sens.
Entretien avec Marquise Lepage :
-Entrée Libre : Racontez la scène que vous venez de tourner aujourd’hui.
-Marquise Lepage : Dans l’histoire, le père a une manie de tout filmer avec son Super 8, alors on a tourné aujourd’hui deux scènes de faux documentaire, des plans-séquence, puis on essaie de bouger un peu comme quelqu’un d’amateur bouge. Puis ce matin, on a fait une scène où c’est le père qui filme sa petite fille qui dessine, elle lui montre des beaux dessins de sa famille, c’est très émouvant. Tout à l’heure, on va faire une scène de nuit où la petite se réveille, elle fait des cauchemars, puis la plus grande la console et lui propose de dormir dans son lit. Finalement, on fait une autre scène avec les parents qui est une scène qui va être difficile un peu, c’est comme une scène d’adieu. Donc c’est une grosse journée aujourd’hui.
-EL : Vous tournez dans un grand manoir, pourquoi avoir choisi ce lieu?
-ML : Les scènes qu’on tourne ici, ce sont des flash-back, donc j’aimais ça l’idée d’une maison intemporelle, c’est une maison qui peut être très 2020, mais qui peut très bien être il y a 30 ans. On a enlevé des petites choses, des magazines trop récents. Puis, comme c’est la maison de mon conjoint, c’est ici que j’ai écrit en grande partie, donc j’étais inspirée par le lieu.
-EL : Cette année, la neige est arrivée plus tôt, est-ce que vous aviez considéré de tourner dans des conditions hivernales?
-ML : Non parce que comme on tournait en novembre, puis que l’année passée, on a eu de la neige mi-janvier, je pensais qu’on serait plus à l’automne, j’avais prévu quelques séquences dehors, qu’on a faites dans le garage finalement. Bref, il fallait que je m’adapte, il faisait trop froid pour faire les scènes que j’avais prévues, donc on a fait surtout les scènes intérieures. Moi, j’avais envisagé ça en janvier, mais je pense que je vais sans doute tourner en décembre parce que je n’ai pas l’impression que ça va fondre. Je ne sais pas ce que vous en pensez… [Rires]
-EL : Dans votre documentaire Martha qui vient du froid, j’ai appris que les Inuits avaient comme tradition d’enterrer les morts et de brûler leurs vêtements. J’imagine que dans Apapacho, nous allons apprendre les coutumes mexicaines face à la mort?
-ML : Oui, absolument. Parce que c’est ça qui m’a inspirée là-bas, c’est leur façon complètement différente de la nôtre d’approcher le deuil et la mort. La mort fait partie du grand cercle de la vie pour eux. Ce n’est pas une finitude en soi. Ce n’est pas la fin, c’est juste un passage, une autre étape dans la vie. Et chez eux, la fête des Morts, c’est une fête ancestrale. Ils ne pleurent pas leurs morts, ils les honorent. C’est vraiment magnifique et c’est très émouvant. Tu te rends compte que pendant tout le temps qu’ils font ça, ils sont avec la personne décédée. Ils ont toute une autre approche. Tu sais, souvent, ici, on n’en parle pas. Alors que là-bas, non, ils vont en parler constamment. Ils vont continuer à vivre avec eux. Apapacho, ce n’est pas un film sur la mort, c’est un film sur le deuil et sur l’après-deuil. C’est deux personnes qui se réapproprient leur vie après un deuil. Notre premier réflexe, quand c’est des gens proches, c’est d’arrêter de vivre. Tu arrêtes de travailler, tu ne manges plus, tu n’as plus faim. Tu deviens comme un peu mort d’une certaine façon. Non seulement on peut vivre, mais c’est quasiment un devoir d’être heureux pour ceux qui ne sont plus là, qui ne peuvent plus en profiter de toute la beauté et la bonté, les belles choses que peut nous apporter la vie. Donc c’est un film, je pense, qui va faire du bien aux gens. D’ailleurs, le sous-titre c’est Une caresse pour l’âme, et je ne pense pas qu’on va sortir du film, puis pleurer pendant trois heures après, ce n’est pas Dancing in the Dark… [Rires] Il y a des moments où on va rire, c’est vraiment une comédie dramatique.
La sortie du film Apapacho – une caresse pour l’âme est prévue pour l’automne 2019.