Un peu comme dans son deuxième roman, Paul Martin est un homme mort, un pastiche politique mordant mettant en scène Paul Martin comme Ministre du Chiffre sous le Premier ministre Jean Minuit, dans Terre des cons, Nicol parle politique. Dans un monologue avec son ami Philippe, aussi professeur au Cégep, il raconte, avec en trame de fond la récente grève étudiante, ses impatiences envers ses jeunes voisins et ses ballades nocturnes dans la maison de ceux-ci. « Que font mes voisins, quelle autre vie ont-ils que ces cris, ces beuveries, à quoi ressemble une soirée calme dans ces corps si cons ? »
Devant l’effervescence du Printemps érable, le narrateur se sent inutile. « S’il était question de ma mort, on parlerait plutôt d’une mise au rancart, comme pour une voiture ou un appareil électronique aux fonctionnalités obsolètes. » Il se torture de s’être embourgeoisé, d’aimer le bon vin, de s’être épuré « comme ce n’est pas possible », « je peux maintenant nommer trois teintes de blanc », se plaint-il. Il s’en veut d’aimer les formules, d’être un peu gras et de boire trop, jusqu’à l’hallucination parfois. Outre ses voisins, les cons ce sont aussi ceux qui se disent contre la grève, comme le « Chroniqueur », et/ou les « mononcles » et autres journalistes collabos. Car le professeur demeure du côté des jeunes, aussi naïfs soient-ils.
Il désespère néanmoins de la perte de son innocence: « Nous sommes devenus paresseux. Les humains, pour nous, se distribuent en catégories prédéfinies, presque toutes détestables et en grande majorité ennuyantes. Nous sommes paresseux comme nos étudiants le sont, un peu moins que le Chroniqueur, sans doute, mais les mêmes dangers nous guettent : la joie d’une formule, le culte du travail, la tentation des généralités et le refus de bien voir ce que nous présente la réalité. »
L’ouvrage, qui se présente comme le « premier roman inspiré de la grève étudiante de 2012 », raconte une sorte de réveil, pas toujours agréable, une prise de conscience. Mais il carbure aussi à une certaine lâcheté culpabilisante, un manque d’entrain, une peur, une déchéance presque. Son réalisme, si juste, est inquiétant.
Terre des cons, Patrick Nicol, La Mèche.