J’aimerais donner un câlin à la jeune femme de 15 ans que j’étais et lui dire que ça va aller et que le poids qu’elle ressent sur ses épaules, un jour, il va tomber. J’aimerais parler d’un sujet tabou et m’exposer encore davantage que j’ai l’habitude de le faire dans ce genre d’article. C’est un des sujets que j’avais le moins abordé jusqu’à maintenant, mais comme je suis en paix avec tout ce que j’ai fait et que ça ne me confronte plus dans mon opinion de moi-même, j’ai envie de démystifier un autre tabou avec vous. Parlons de trouble alimentaire.
J’avais 15 ans quand j’ai décidé que je n’étais pas assez. J’avais de l’acné, mes hanches étaient trop larges, mes fesses trop grosses, mon ventre trop rond ou gonflé, mon visage…mon dieu, vaut mieux ne pas le regarder. J’ai commencé mon trouble alimentaire parce que je ne m’étais jamais sentie «belle», je ne l’avais pas entendu souvent et je ne le voyais pas. J’ai aussi commencé parce que je me sentais coupable et me mettait tout le poids du monde à 15 ans. Même pas encore une femme et tout était de ma faute…
«Tu n’es pas assez. Si tu serais assez, tes parents voudraient te voir. Tu n’es rien, pas étonnant qu’ils se soient séparés finalement…»
«Rien n’est jamais assez bien, refais-le! Si tes parents, tes ami.es ne disent pas ce que tu vaux c’est que tu ne vaux rien»
«Tu n’as rien accompli, tu ne mérites rien»
J’écris ces lignes parce qu’habituellement j’écris toujours ce que les autres m’ont dit. Voici ce que je ME suis dit de 13 à 20 ans. Voici ce que probablement plusieurs pensent en eux-mêmes.
C’est horrible, c’est faux.
Tout de même, à force de me répéter tout cela, j’ai commencé à me surmener au niveau de l’exercice physique et à couper drastiquement ma nourriture que je consommais, allant même jusqu’à compter le nombre de calories contenues dans un jus d’orange,ou à acheter la laitue la moins calorique…tsé celle avec 80% d’eau. Fille, c’est des feuilles! Ya rien là-dedans! Tout de même, j’ai continué ce manège intensément pendant 4 ans. Je passais d’anorexique à hyperphagique (nouveaux mots pour votre lexique personnel!) dans l’espace de quelques semaines. À 110 livres ou à 160 livres, mon bonheur ne changeait pas. Avec le temps, j’étais juste de moins en moins présente dans mon corps. J’avais l’impression que j’étais une enveloppe.
De toute façon, c’est pas ça être une femme, t’es pas juste un contenant ? Quand t’es jeune et brillante, tu ne peux même pas gagner, faut aussi être jolie. Pas jolie normale, jolie parfaite. Avoir les bonnes rondeurs, les bons plats, les belles dents, la grosse poitrine, les fesses fermes. À 15 ans. C’est du moins ce que j’ai appris en me fiant aux normes de beauté de la société, aux normes que les femmes, particulièrement, devaient respecter pour avoir une quelconque valeur. Dans le but de plaire aux autres, de me plaire à moi-même et de correspondre à ce que je pensais être mon idéal, je me suis privée et j’ai exigé de moi-même la perfection, rien de moins.
J’ai arrêté parce que
…mes professeur.es me questionnaient sur ma santé, l’une d’elles pensait que j’avais le cancer;
…ma famille me martelait, martelait et martelait pour que je mange ou me justifie;
…j’ai perdue connaissance en faisant de l’exercice, ou endormie, j’ai jamais su;
…je n’arrivais plus à penser correctement tellement ma perception de moi-même était distordue.
Est-ce que vous saviez que la perception de soi après, ça rush ? Je peux dire que j’ai officiellement terminé mon trouble alimentaire à 20 ans, mais ce n’est que dans la dernière année que je suis capable de me voir comme je suis. Littéralement, je me voyais plus lourde que j’étais. Dans les photos ça allait, mais j’évitais les miroirs pour ne pas me voir et devoir affronter mon propre jugement.
Pour vous rassurer, je ne pense plus du tout ceci de moi et je suis en fait très contente d’être passé par là, parce que je peux maintenant m’aimer autant que je m’aime actuellement. Je vois encore que j’ai des marques d’acné, des hanches larges, des fesses un peu plus larges que la moyenne, mais j’adore tout ça.
Je ne suis pas parfaite, ni physiquement, ni au niveau de mon caractère. Je sais que certains événements dans ma vie sont essentiellement de ma faute et d’autres non, mais je choisi de ne pas me blâmer pour ces événements. Surtout, je réalise que ça va aller et que ma perception de moi-même, comme mon corps en soit, va changer, mais que rien de ce que je suis ou fait ne représente ce que je vaux. La seule valeur que j’ai, c’est celle que je me donne.
Il y a une fausse croyance qu’au moins ma génération a appris selon laquelle si tu accomplis, tu aimes et es aimée et que tu tends vers la perfection, tu vas être heureuse. L’amour va finalement combler le vide que tu as. En fait, ce vide se crée quand on dit à nos jolies petites filles et nos jolis petit garçons, qu’il faut plus. Tu n’es pas assez par ce que tu fais, ou tu ne correspond pas à ce que tes proches auraient espéré…alors du haut de tes quelques années tu absorbes tout ça et tu crée ce vide qui pourra juste être comblé par une autre personne. Avec les années, le vide s’agrandit, jusqu’à ce que tu prennes quelques instants pour te confier. Quelques instants pour te parler à toi-même et te dire les vraies affaires.
On a le droit de ne pas s’aimer tout de suite.
Je crois que le bonheur le plus pure que j’ai vécu, c’est quand, en me regardant dans le miroir, je me suis tout simplement sentie submergée par l’amour que j’avais pour moi, pour mon corps et pour la vie. Ce bonheur là, il m’enlève du poids et j’ai l’impression d’avoir une nouvelle occasion de mordre dans la vie à pleine dents et de la forger à mon image, qu’elle quelle soit. Maintenant que les regards extérieurs ne sont pas toujours sur moi, j’ai l’impression que je peux maintenant avancer dans la vie en ne me fiant qu’à mon propre regard sur celle-ci. Ce que je crée, en ce moment, petit ou grand, dans la sphère publique ou privée, j’adore ça. J’adore ça parce que ça me ressemble et ça me plaît de penser que je suis maintenant libre de créer un monde qui ressemble à la personne que je suis, pas à celle que j’aurais voulu être, pas à celle que plusieurs aimeraient que je sois…celle que je suis.