Il n’existe pas grand monde pour défendre l’adoption par le conseil municipal de Sherbrooke le 9 avril dernier de la fameuse « taxe piscine ». À en croire les avis de nombreux citoyens et citoyennes sur les réseaux (dits sociaux) ainsi que les commentaires des médias généralistes, le choix du conseil municipal d’imposer une taxe de 80 $ aux personnes possédant une piscine sur leur propriété serait LE symbole du petit propriétaire à qui l’on fait toujours les poches ainsi que la preuve de l’idéologie décadente (on peut souvent lire « communiste ») de Sherbrooke Citoyen. « À l’impossible, nul n’est tenu », mais nous allons tenter le défi de donner un appui et de la valeur à ce genre de décision fiscale.
Sur le point de l’idéologie déjà, Sherbrooke Citoyen a eu l’intelligence de présenter cette taxe additionnelle non pas comme une taxe écologique, en liant la taxe avec un gaspillage de ressources (formel celui-ci) ou dans l’objectif de faire changer de comportement (utiliser les piscines municipales plutôt que les piscines privées), mais bien comme une taxe sur la richesse personnelle. La Ville ne pouvant évaluer les revenus de sa population sur la base des déclarations comme le font les gouvernements provinciaux et fédéraux, elle a fait la supposition que si vous possédez une maison avec une piscine, c’est que vos revenus sont probablement supérieurs à une personne qui n’a pas de maison ou à une personne qui n’a pas de piscine. Si plein de gros poissons peuvent passer à travers les mailles du filet, la supposition reste tout de même bonne pour éviter de surtaxer les personnes aux revenus les plus faibles. Et on pense en premier lieux aux locataires, car peu de locations viennent avec piscine, et si c’est le cas le 80 $ sera amorti par l’ensemble des locataires de l’immeuble.
Ainsi, cette taxe est faite pour apporter un surplus de revenus à la Ville de Sherbrooke en demandant une contribution supplémentaire à celles et ceux que l’on peut estimer en mesure de le faire. Pour cette tranche de la population, 80 $ en moins n’est pas censé mettre en péril le budget familial. Les personnes qui sont à 80 $ près sur un an n’ont très probablement pas de propriété et de piscine ! La Ville de Sherbrooke opère un nombre important de services, dont au moins 11 piscines publiques ouvertes gratuitement pendant la saison estivale. Le dernier budget a vu une augmentation de la taxe municipale de 3,13 %, soit en dessous de l’inflation estimée à 3,9 % en 2023. La taxe piscine permet aussi un rattrapage de l’année 2022 où l’inflation était de 6,8 % au Québec, et l’augmentation des taxes municipales de 3,0 %. Pour équilibrer un budget, on peut toujours diminuer dans les dépenses. Mais ceci implique nécessairement de perdre un service qui était disponible, que ce soit la gratuité des bibliothèques ou un tarif encadré du transport en commun, voire le déneigement et l’entretien des rues. Ou alors, on décide d’être créatif et d’aller chercher de l’argent là où il y en a. Certains se plaisent à dire que l’argent ne pousse pas sur les arbres, mais si l’on secoue bien le bon cocotier, on pourrait avoir de quoi se nourrir sans faire crever l’arbre en question.
Un juste retour de balancier
Car c’est également à l’échelle nationale que cette taxe piscine est aussi un symbole important. Depuis 1999, le taux d’imposition effectif des ménages au Québec (incluant les impôts provinciaux et fédéraux) a globalement diminué de 2,7 points de pourcentage (voir le blog Jeanne Emard pour une analyse fouillée et chiffrée). Depuis le début des années 2000, c’est avant tout un recul de la part et de l’action de l’État dans nos vies que l’on observe. Pensons à l’accès à la médecine ou à la crise dans le système scolaire. Cette crise vient d’un manque de financement chronique et criant des structures étatiques, qui s’est organisé par une baisse régulière des impôts, baisse étant encore plus exacerbée lorsque les impôts touchaient le capital. Ainsi, la « taxe piscine » à Sherbrooke n’est qu’un minime frein à l’augmentation en capital de quelques-uns qui se fait sur le dos du développement collectif de notre communauté. On souhaite un retour de balancier encore plus salutaire.