Lorsque le nom de Marc Séguin est évoqué, nous pensons au peintre et à ses tableaux plus grands que nature, à ses romans revendicateurs et maintenant, nous pourrons dire que nous pensons également au cinéaste. L’artiste visuel s’est commis, par un élan d’exploration artistique, dans ce médium qu’est le cinéma.
Fidèle à lui-même, l’artiste aime nous déstabiliser et jouer avec les règles de l’art et son film Stealing Alice n’y échappe pas.
On ne pourrait passer à côté du fait qu’il a délaissé les institutions financières en autoproduisant lui-même le film. L’œuvre comme telle est une sorte d’objet artistique non identifié, puis la manière de la promouvoir est aussi surprenante. En effet, Séguin n’a pas voulu produire un film pour qu’il soit repris comme un produit de consommation, diffusé pendant des semaines à travers les salles du Québec et ensuite récupéré par différentes plateformes, que ce soit la vente de DVD ou bien sa mise en ligne en continu. Au contraire, il part en tournée avec sa bobine sous les bras, pour nous présenter, pour un soir seulement, son projet artistique, à travers différentes salles de cinéma de la province, et ce, pendant quelques jours. Comme il le dit lui-même, l’œuvre est faite pour être vue dans les salles obscures, avec ses grands écrans et sa qualité audio ambiophonique. Pas pour être regardée sur de petits écrans de cellulaires.
Sur ce point, il a raison. On retrouve des tableaux démesurés dans ce film, qui rappelle tant au niveau des proportions, que des teintes, les tableaux de l’artiste. Les images sont texturées et contrastées, ce qui nous rappelle parfois le goudron vu sur ses peintures. La musique est également présente, passant du techno, par Huddie Bedbetter ou par la voix mielleuse d’Elisapie Isaac, qu’on peut d’ailleurs apercevoir dans le film.
De par sa liberté financière, le film nous fait également voyager à travers différents décors, que seules les grandes productions de nos voisins du sud auraient les moyens de se payer. Que ce soit New York, en passant par Venise ou le Grand Nord du Québec, les personnages nous emmènent dans des lieux que le commun des mortels n’aura jamais la chance d’aller dans sa vie. Le film est également empreint d’une grande poésie, tant au niveau visuel que littéraire. On ressort d’un film de Marc Séguin avec plus de connaissances, un peu comme avec les films de Denis Arcand. D’ailleurs, ce dernier se retrouve au générique du film de Séguin, accompagné par Joëlle Paré-Beaulieu, que nous avons pu voir dans la série web Souper de filles et la ravissante Fanny Mallette, qui tient le rôle principal et porte l’œuvre sur ses épaules.
Stealing Alice raconte d’abord l’histoire de cette marchande d’art, sauvage et éduquée, qui vole des tableaux de grands peintres renommés. Née d’une mère inuite et d’un père québécois, elle souhaite venger l’héritage religieux et colonial qu’on a imposé à sa mère. Comme Séguin est un artiste qui aime nous emmener des réflexions avec ses revendications sociales, Stealing Alice est aussi un film qui parle des premières nations et de la manière dont nous avons volé leurs terres, leurs enracinements, pour s’y installer avec nos bonnes valeurs judéo-chrétiennes.
Une grande poésie est omniprésente dans le long-métrage, mais c’est lorsque cette même poésie se retrouve au sein des dialogues des personnages que le film perd de son réalisme, même s’il se veut rêveur. Le film perd également en crédibilité devant cette Alice qui vole ces œuvres sans jamais nous montrer comment elle s’y prend et qui se transforme également en meurtrière de manière peu crédible et qui parle également aux fantômes. Nous avons également cette vague impression qu’il manque des morceaux au casse-tête devant cette œuvre d’art pour qu’on puisse comprendre l’intention de Séguin.
Somme toute, cette première œuvre cinématographique de Séguin est fort convaincante et vient débroussailler des sentiers encore inexplorés dans notre industrie québécoise du cinéma, rappelant qu’il est possible de faire quelque chose de nouveau, d’original, sans dépendre de personne.