On papote tranquillement dans sa cuisine ; ça fait quelques fois qu’on se voit.
Depuis notre soirée autour d’une pizza hawaïenne (avec des cerises !), j’me suis fait séduire par le fait qu’il connaissait la définition des mots « sémaphore » et « éponyme », qu’il savait épeler « Worcestershire » puis qu’il cuisinait avec toutes sortes d’affaires, allant du raifort au pain d’épices.
La nerd en moi s’est pâmée pas mal, mettons.
Or, j’me suis déjà fait avoir comme ça. Donc, j’me méfie toujours de cette pléthore de connaissances, parce que ce n’est peut-être que du vent pour m’impressionner. On a déjà tenté de m’amadouer ainsi, sans réelle intention de s’engager. Si des amies bienveillantes n’étaient pas intervenues, on m’aurait sans doute causé encore plus de tort.
En tout cas, ce sont des choses du passé, mais c’est un souvenir qui me tord encore l’estomac. Puis la méfiance, elle, est restée pour garder le fort.
Dans sa cuisine, j’inspecte donc les détails qui peuvent m’apparaître suspects, en faisant un gros effort pour ne pas me laisser séduire trop aisément. Il ne le sait pas encore, mais un seul faux pas de sa part peut encore déterminer du sort de notre relation.
De son côté, il continue de touiller, brasser et assaisonner en sifflotant.
Pendant qu’on mange, on discute et je constate rapidement qu’il est très fort sur les calembours et autres types de jeux de mots. Parfois, le résultat est plutôt ordinaire, mais d’autres fois c’est hilarant au point où j’en pleure. J’trouve qu’il a l’humour du papa moyen, et j’me dis que si c’est ça son pire défaut, j’peux gérer.
Jusqu’à tard dans la soirée, on poursuit nos échanges en décidant d’aller faire une petite promenade. Les sujets deviennent un peu plus sérieux : il me parle de sa psychologue qui lui fait parfois faire du bricolage dans ses séances d’art-thérapie, et qu’il déteste ça même si ça lui fait du bien. J’lui parle de la mienne et de ses drôles d’habitudes, puis de comment j’ai cheminé là-dedans. On se parle aussi de relations passées, présentes, puis de nos souhaits pour le futur.
À un moment, il s’arrête pas loin d’un terrain de basketball vide et semble vouloir ajouter quelque chose. Il hésite, marche en suivant les lignes du terrain dessinées au sol. Je demeure attentive, prête à l’écouter. Aussi, il traîne encore un fond de méfiance à l’idée qu’il puisse commencer à perdre intérêt.
Après un silence qui me paraît durer une éternité, il prend enfin la parole : il me demande si j’aurais envie qu’il me présente quelques membres de sa famille, même si c’est un projet un peu moins ludique.
Quoi ?
En ayant passé la majeure partie de ma soirée en état de vigilance et à la recherche du pot aux roses, je dois avouer que c’est une demande qui m’a pas mal surprise.
C’est à mon tour de regarder partout autour, ne sachant trop quoi dire. Je regarde les dessins d’oiseaux — peut-être des mésanges — tracés à la craie au sol, en me demandant comment répondre.
Finalement, je m’entends répondre :« J’ai quelques questions, mais j’en serais très heureuse ! »
Il a l’air plus content que si on lui annonçait que tous les artéfacts et joyaux volés par le British Museum ont été restitués à leurs propriétaires légitimes (oui-oui, je date quand même un gauchiste).
Il paraît donc que j’ai rendez-vous dimanche prochain chez sa grand-mère, qui habite quelque part sur la rue des Jonquilles.