En début d’été, j’ai rencontré quelqu’un : Omid, 31 ans. D’ailleurs, ça me fait toujours rire, l’affichage de l’âge juste après le prénom sur les applications de rencontres. À peu de choses près, je pourrais vous parler d’« Omid-31 » comme d’une espèce d’humanoïde.
Bref, je m’égare.
Comme lieu de première rencontre, j’ai proposé le Faro pour un café.
Tout de suite, on s’est bien entendu, malgré quelques divergences. Entre autres, lui croyait au grand amour et au concept d’âme sœur, tandis que moi, je rejetais cette idée et croyais aux amours plurielles. L’idée le fascinait, mais il n’arrivait pas à s’y projeter.
Évidemment, on a rapidement compris que l’on n’avait pas les mêmes attentes relationnelles, mais ça ne nous a pas empêchés de discuter pendant plus de trois heures. Il m’a posé beaucoup de questions sur mon mode relationnel, avant que l’on se mette à parler de littérature et de relations interculturelles.
Quand j’lui ai parlé du livre « Les cerfs-volants de Kaboul », qui m’avait profondément marquée, son récit a commencé. Il s’est tout de suite animé et mis à me parler de l’Afghanistan de son enfance, et des quelques souvenirs qu’il lui restait de la maison familiale, au nord du pays. Son ton est devenu plus grave, lorsqu’il m’a décrit la fuite de sa famille vers le Pakistan, puis vers le Canada.
D’ailleurs, quelques membres de sa famille éloignée, un peu moins chanceux, sont toujours dans des camps de réfugiés là-bas. D’autres ont trouvé refuge en Allemagne, mais les plus attachés à leurs pays sont toujours en Afghanistan.
De loin, il suit toujours l’actualité afghane et s’inquiète pour des nièces ou un cousin, à l’occasion. D’ailleurs, il m’a parlé de l’angoisse qui l’habite à savoir que certaines petites-nièces fréquentent des collèges et des écoles, malgré la menace que représentent les talibans. Les attentats récents devant une école pour filles de Kaboul l’ont profondément inquiété pour elles.
Historiquement, il m’apprend que le Nord du pays a toujours été plus progressiste et résistant aux discours des talibans. Sa mère a même pu fréquenter l’université de Kaboul et y a travaillé par la suite. Son père s’est beaucoup impliqué en politique pour le parti progressiste. C’est d’ailleurs ce qui les a initialement poussés à fuir le pays. Le fait que les établissements scolaires pour filles de Kaboul soient la cible d’attentats terroristes de groupes islamistes est pour lui de très mauvais augure.
Tout l’été, on s’est vus pour marcher autour du Lac des Nations, pour aller en terrasse avec des amis ou juste pour se réunir autour d’un feu de camp. Immanquablement, si l’on avait un moment seul, il me parlait de son inquiétude vis-à-vis du retrait des troupes américaines de l’Afghanistan et de l’avancement des démarches de certains membres de sa famille pour fuir vers l’Europe ou le Canada.
Avec la COVID-19, ça m’a pris un moment avant de comprendre que le variant Delta n’était peut-être pas la seule menace à la sécurité de ses proches.
C’est à partir d’août, quand l’attention du monde s’est tournée vers son pays, que j’ai compris la gravité de la situation. À partir de là, on s’est écrit à tous les jours.
J’ai pleuré avec Omid, lorsque Kaboul est tombé.
Ce qui m’attriste le plus, c’est qu’Omid signifie « espoir », et que je n’en vois plus dans ses yeux désormais quand il me parle de son pays.