Sophie et ses hommes (Saison I, Épisode 8) : Les premières fois

Date : 1 juin 2021
| Chroniqueur.es : Sophie Parent
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Ça grouille de monde au parc Jacques-Cartier, en ce doux début d’après-midi.

Je me perds dans mes pensées, en regardant le lac. Je repense à mes premiers festivals au Lac des Nations, quand j’étais adolescente. Ça m’fait sourire.

Je me balance d’un pied à l’autre, devant le Marché de la Gare, en consultant l’heure sur mon téléphone. J’attends une amie pour un picnic, mais son retard me rend nerveuse. M’a-t-elle oubliée ?

Plusieurs minutes passent, avant que ne s’affiche un « J’suis là, t’es où ? » sur mon écran. Je regarde autour, mais ne la vois pas. Plusieurs minutes filent en attente et en textos, avant que l’on réalise l’erreur de communication : nous sommes à deux extrémités opposées du parc. Elle propose donc qu’on se rejoigne à mi-chemin.

Étant déjà stressée, cet imbroglio ne fait qu’augmenter mon malaise. Je me dépêche de la rejoindre, en regrettant mon choix de m’être mise en robe pour l’occasion : C’est joli, mais moins pratique. Mon regret s’accentue quand je l’aperçois au loin, qui a opté pour une tenue décontractée. Je me fais penser à l’adolescente que j’étais : Pour un rendez-vous, j’aurais peut-être cédé à la coquetterie, mais définitivement pas pour aller faire des manèges avec des amies !

Quand vient le moment de se saluer, on ne sait pas trop comment faire. Un simple bonjour ? La bise ? Un câlin ? Dans une hésitation presque comique, on se décide finalement pour un câlin. C’est que ce n’est pas vraiment une amie proche. Plutôt une connaissance; quelqu’un que j’ai côtoyé à quelques occasions, au fil d’implications citoyennes diverses. J’essaie de me convaincre que le malaise serait probablement le même, si je croisais aussi d’anciennes camarades de classe.

On s’installe dans l’herbe pour discuter et l’anxiété diminue progressivement.

Contre toutes mes attentes, la conversation coule naturellement. On se parle de nos adolescences respectives. D’abord, j’lui raconte mes premiers festivals sherbrookois et les premiers rendez-vous que j’y ai eu, ou encore ma première date au ciné parc, quand j’ai eu ma légendaire corolla beige ! Puis, elle me raconte aussi quelques anecdotes.

Elle me dit qu’elle trouve ça cute, l’émerveillement et la maladresse des premières fois, et je ne sais pas si je suis d’accord. C’est que ça pouvait être stressant, aussi.

D’ailleurs, ces derniers temps, j’me sens souvent comme l’adolescente sans repères que j’étais. C’est un heureux mélange de fébrilité et d’anxiété, comme quand j’allais demander à mon kick s’il voulait bien faire un manège avec moi. J’étais tiraillée entre l’espoir de pouvoir lui tenir la main, une fois montés dedans, et la crainte d’un rejet brutal dont tout le monde parlerait à l’école.

En sa compagnie, l’après-midi passe en un claquement de doigts. C’est que ça me fait du bien de discuter avec quelqu’un et de sentir que c’est correct que j’me questionne. Que j’suis normale et pas toute seule. On passe un long moment en silence, à se regarder avec complicité.

Au bout d’un moment, elle me demande « Es-tu out ? ». Je ne sais pas quoi répondre. Elle me précise donc ses intentions : « On est dans un parc, je ne sais pas si ça te dérange, mais… aurais-tu envie que je te prenne la main ? »

Oh my God. J’pense que j’me serais pitchée dans ses bras, à l’instant.

Ce malaise qui plane depuis le début de l’après-midi s’estompe enfin complètement, comme si ce geste confirme qu’il ne s’agit pas d’une simple rencontre amicale, mais témoigne plutôt d’un intérêt réciproque. Ça me soulage, parce que comme pour les tours de manèges de mon adolescence, j’aurais peut-être attendu comme un crapet-soleil, sans que jamais rien ne se passe, paralysée par la gêne.

À la place, je lui tends ma main, béate.

Quand on s’embrasse finalement, j’me dis que j’aurais pu penser à un titre de chronique plus inclusif.

J’aurai l’été pour y penser.

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