Cher journal intime,
Voilà maintenant un an que je suis le Maire de Sherbrooke. Que de chemin parcouru depuis cette nuit radieuse de novembre! Parce que depuis que je vais tous les jours à mon grand bureau de l’Hôtel de Ville, je peux te dire que j’en ai appris des choses. Et j’en ai vu des sacrées aussi.
Alors d’abord, je dois bien en être à mon 10e cahier des «mots compliqués». J’en remplis environ un par mois. Puis comme dans le travail de maire on a presque deux mois de relâche pendant les grandes vacances d’été, ben c’est ça qui fait que après un an j’ai 10 cahiers et pas 12. Et oui mon cher Journal, je t’avais bien dit que j’étais un homme de «chiffres». Parce qu’il faut bien admettre que question «lettres» je ne suis pas dans les leaders. J’essaie de gommer cette petite faiblesse chaque jour, mais c’est un travail quotidien (mot compliqué noté dans mon cahier n°3). Je le vois bien pendant les réunions du cabinet. Pourtant je ne suis pas tant entouré de si grands lettrés que ça. Quand je vois le gros Daniel Picard, le Directeur général de la ville, s’emmêler les crayons et les pinceaux sur les textes de lois concernant un petit sondage de rien du tout, je me dis que je devrais arrêter de me tasser tout petit dans mon fauteuil quand il prend la parole lors des rencontres du cabinet. Parce que finalement sous ses grands airs de grand baraqué, ben je me rend bien compte que je n’aurais pas du l’accompagner lors de cette conférence de presse pour déclarer illégal le sondage anonyme de Evelyne Beaudin auprès des salariés de la ville de Sherbrooke.
Je pense que c’est ça une de mes faiblesses: je suis trop modeste! Je laisse trop écorner mon leadership sous prétexte que d’autres ont une plus grosse voix que moi ou qu’alors ils font des phrases en disant «néanmoins», «cependant» et même toutes les fois «toutefois». Moi, je n’arrive plus trop à suivre quand les phrases sont à rallonge. Puis en notant ces mots dans mon carnet, et puis le soir à la maison quand mon amoureuse me les fait réviser, ben j’apprends que ce sont tout simplement des mots de «liaisons». Qu’en fait on s’en sert pour attacher deux bouts de phrases ensemble. Puis que ça c’est une technique pour «enfumer son auditoire». Alors celle-ci je la mets entre guillemets («») parce que je l’ai pas comprise de suite quand mon attaché politique m’en a parlé. Moi j’ai cru qu’il me parlait de ses vacances d’été à la pêche; que c’était une technique pour conserver le poisson pour pouvoir le rapporter chez lui de la pourvoirie sans que ça empeste dans sa nouvelle Tesla (mon attaché politique prend beaucoup modèle sur moi pour tout ce qui et vert et automobile). Et puis en regardant dans le dictionnaire — ça c’est un exercice que mon amoureuse me fait faire tous les soirs dès que je rentre du bureau de l’Hôtel de Ville — ben j’ai appris que «enfumer l’auditoire», ben ça n’avait rien à voir avec la pêche. En fait ça s’appelle «faire de la politique». C’est-à-dire dire des choses auxquelles on ne croit pas ou alors que l’on ne comprend pas, tout en donnant l’air d’y croire et de comprendre. Et c’est exactement pour ça que je suis doué pour la politique! Parce que je ne compte plus le nombre de discours que j’ai faits depuis un an ou le sujet traité m’échappait complétement, alors que je n’échappe jamais mon sourire qui a depuis longtemps fait ma marque de fabrique.
Enfin, nous voici en décembre. Et tout comme à la grande époque de mes années de BMX, je vais me laisser aller en roue libre sur la pente jusqu’aux congés du temps des fêtes. Fini les réunions, les carnets de mots, et les séances de dictionnaire du soir avec mon amoureuse. Enfin une vraie vie de famille calme et paisible. Les hommes d’action comme moi doivent eux aussi recharger leurs batteries, tout comme ma Tesla. Et puis cette année ça va être un Noël différent. Parce que j’ai fait adopter par la ville la «Déclaration universelle citoyenne d’urgence climatique». Alors maintenant à la maison tout sera vert et écologique. J’ai déjà commencé avec le sapin de Noël qui est bien vert, puis ensuite ça sera la boules de Noël parce que le rouge c’est une couleur chaude et ça participe au réchauffement de la planète (c’est pour ça que les voitures rouges ont mauvaise presse aussi). Parce que l’environnement, «c’est un sujet pour tout le monde maintenant et ça touche tout le monde. D’y aller avec cette résolution-là, c’est une excellente nouvelle pour aller un peu plus loin. On révise ce qu’on fait pour aussi savoir où on veut aller»*. C’est ça que j’ai déclaré aux journalistes après le vote sur la «Déclaration universelle». Et une déclaration comme ça, je peux te dire mon cher journal, ça n’est pas de l’enfumage d’auditoire.
* Citation authentique.