Cher journal intime,
En cette époque de #MoiAussi et de lutte contre l’invisibilité des femmes dans la société, j’ose à peine te le dire, mais j’ai un grave problème avec les femmes. En fait, je n’ai pas un problème avec TOUTES les femmes, non. De façon générale je les aime bien et j’apprécie leur compagnie, même si je deviens tout rouge et tout rabougri quand elles me font un sourire en coin. J’ai un problème avec seulement TROIS femmes, ce qui à l’échelle de l’humanité est ridicule, mais pour ma vie quotidienne est énorme. Ces trois femmes forment le triangle de la mort pour moi. Dans les films français il y a souvent des triangles amoureux et cela a l’air plutôt agréable pour l’homme au sommet du triangle. Mais moi dans mon cas je ne suis à aucun sommet, et je me retrouve emporté dans la tornade du tourment car, dès que j’essaie d’en satisfaire une, je déplais à l’autre. Et moi, tu le sais, il n’y a rien d’autre que je sais faire que d’essayer de plaire. Je suis posiSteve, c’est dans ma nature.
Alors la première de ces dames qui me donne bien du trouble, c’est la présidente du conseil exécutif Mme Nicole Bergeron. Le plus souvent je l’appelle «Madame» en baissant les yeux pour pas qu’elle y lise que je n’ai pas travaillé avant la rencontre. Mais quand un dossier avance très bien et qu’on sent se créer une alchimie après huit heures ensemble dans mon bureau à boucler le budget de la ville, j’ose enfin l’appeler «Madame Nicole». Mais la plupart du temps j’ai envie de l’appeler «madame la maitresse», tellement elle est directive avec moi et qu’elle rabroue mes initiatives (brouillonnes certes mais qui méritent d’être reconnues tout de même!) en me lançant des regards plein de mépris et de dépits par-dessus ses lunettes demi-lune. Franchement mon cher journal, tu te souviens de la fête que ça a été quand j’ai quitté l’école secondaire. J’ai brulé mes cahiers, mes livres, j’ai poussé des cris de joie en me disant «jamais plus» je ne serai sous la férule d’une maitresse d’école. Si j’avais su qu’en devenant maire j’allais replonger les deux pieds dedans mes pires cauchemars du secondaire, j’aurais tout fait pour ne pas faire une campagne si étincelante. C’est mon problème, je réussis toujours ce que j’entreprends.
Mais les choses pourraient bien se passer s’il n’y avait pas une autre femme qui me terrorise dans la cour de récré du conseil. Celle-là, c’est un vrai caïd. Puis heureusement qu’elle est seule et que les autres du conseil osent pas trop être de son bord, surtout par frousse et frilosité il faut bien le reconnaitre, parce que sinon ben je pense qu’elle serait maire à ma place. Cette Évelyne, c’est son nom mais dans ma tête je l’appelle «la Boss», a toujours des idées différentes de Mme Nicole et par conséquence de moi. Parce que moi, pour gérer Nicole, je disais oui à tout. Puis pour gérer Evelyne, je me disais que j’allais dire oui à tout. Problème réglé, je suis posiSteve, et c’est en disant oui à tout avec le sourire que je mène depuis 40 ans une vie de succès. Mais là ce n’est pas possible. C’est le dilemme (un autre mot compliqué ajouté à mon carnet. Attention à ne pas dire «lemme» comme le mot le suggère): dire oui à l’une, c’est dire non à l’autre. Et vice versa (c’est un mot de la langue des Romains, qui avaient de gros bateaux et sont venus au Québec comme les Anglais, c’est pour ça que notre langue du Québec a des traces des deux langues). Mais pour te dire combien c’est l’enfer tous les jours, elles n’ont même pas réussi à s’entendre sur le nombre de cases de stationnement alors que moi je présentais tout sourire mon super projet de maquette avec des tours pour la nouvelle rue Wellington. J’avais envie de leur dire de pas s’en faire pour ça, parce que avec ma maquette moi j’avais assez de voitures hot-weels® pour jouer avec sans ajouter un stationnement. Mais la chicane était déjà pognée que j’allais pas y risquer mes bonnes intentions.
Mais le plus difficile, le plus cruel, qui me sape ma joie de vivre naturelle, c’est quand je rentre à la maison et que je dois faire face à la troisième femme du triangle: mon amoureuse. Dieu sait que je l’aime, que c’est mon amoureuse à moi, qu’elle est la plus belle, et la plus douce. Mais c’est aussi celle qui me passe les plus gros savons. «Et pourquoi t’as pas dit qu’Évelyne était une tannante et que tout le monde rêve de stationnements pour le futur de la ville?»; «Et pourquoi t’as pas dit à Nicole que enough is enough et que c’est toi qui décides de combien y’a de cases de parking parce que c’est toi qui t’y connais le plus en automobiles?». Et c’est comme ça à longueur de soirée, parce que mon amoureuse a la mauvaise idée de suivre tout ce que je fais jusqu’à venir me voir les soirs de conseil. Je l’aime, c’est sûr, mais dans ma tête je l’appelle «la maitresse des boss», celle qui supplante tout, et toutes.
Tu vois mon cher journal, y’a un écrivain qui a dit (j’ai entendu ça chez mon concessionnaire Tesla, c’est une place où ça parle plus de livres que de chars): «la femme est l’avenir de l’Homme». C’est peut-être vrai. Mais moi je suis sûr qu’au milieu d’elles, je n’en ai aucun.
(à suivre)