Le film est présentement en salles à La Maison du Cinéma.
Une critique sans trop divulgâcher.
Ode au merveilleux sens poétique de la vie.
La première image du film ne peut pas être plus évocatrice que de donner un sens à sa vie en dévalant un long tunnel dans le noir, tant dans l’imaginaire que dans le réel. À la recherche de son chemin, que l’on essaye de tracer sans sentir le poids encombrant des pierres de la solitude qui nous tombent sur les épaules. Dans ce contexte dramatique qui toucha le Japon en 2011, avec le tremblement de terre, suivi du tsunami qui a eu ébranlé des milieux de vie et la centrale nucléaire de Fukushima.
Ce film qui nous déplace à travers une phrase singulière où « l’on ne peut pas s’enfuir de soi-même » dans un Japon où le non-dit fait parfois rage lorsque l’on contemple ses problèmes sans pouvoir le dire ou crier ce mot. De ces mots à leurs maux, le réalisateur nous place dans des zones d’ombres chez ses personnages, dans les expériences de nos vies avec une belle schizophrénie visuelle que l’on contemple au premier abord puis en nous invitant à reconsidérer l’importance de nager à contre-courant avec ses propres pensées, ses propres idées. En adaptant librement six nouvelles de l’écrivain japonais Murakami, le réalisateur Pierre Földes, dont c’est le premier long-métrage, signe un récit qui trouve un équilibre parfait entre le récit, la musique, l’animation et la direction artistique.
Du traumatisme avoué dans une nécessité poétique.
Synopsis : Trois personnages, un comptable étouffé par le travail, une femme coincée dans ses frustrations et un attaché commercial en proie avec les problèmes de sa vie de couple tentent de redonner un sens à leur vie, bien aidés par un chat perdu, le tumulte de la terre et une grenouille géante.
C’est sur cette thématique du traumatisme qui l’on doit s’avouer qui nous amène à suivre ces trois personnages ordinaires dans des situations extraordinaires. Des situations qui nous poussent à devoir assimiler que la vie s’accepte dans son entièreté, des bons et surtout les mauvais passages, en essayant de tourner la page, pas trop vite, pour sans doute mieux avancer.
De la douleur de « tu n’as rien à me donner » à la fuite dans l’imaginaire, le film campe une volonté poétique, où notre imaginaire peut s’avérer utile pour respirer de nouveau. On respire une pure bouffée d’air frais avec ce film.
Le journal Entrée Libre a pu découvrir un peu plus les zones d’ombres de ce film unique en parlant avec son réalisateur, scénariste et compositeur Pierre Földes :
Souley Keïta : Premières images, première question. On commence par sonder ce monde par ce l’on ne peut voir dans le noir. À travers ce personnage qui cherche ses pas. En deux questions, est-ce que cette image s’accroche à vous dans cette optique de savoir comment travailler les textes de Haruki Murakami? Deuxièmement, par rapport à un terrible événement, est-ce que l’on est de surcroît dans des zones d’ombres?
Pierre Földes : J’ai effectivement choisi six nouvelles. Ce sont des nouvelles qui me touchaient profondément et lorsque j’utilise le terme profondément, je le vois dans le fait que ces nouvelles touchaient des zones d’ombres. C’est exactement cela qui m’attire, de ne pas pouvoir mettre le doigt sur quelque chose et je sais que je vais pouvoir m’engouffrer dans cela et tomber dedans. Je suis attiré par cela, parce que l’évidence dans un film comme celui-ci où l’on recherche la simplicité dans une histoire qui se déroule tout simplement, je ne suis pas attaché. Je peux être attiré sur d’autres genres de films, d’autres genres d’histoires, mais pas pour ce film que j’ai réalisé. Je me suis plu dans l’univers de Murakami avec certes des personnages très simples, très réalistes, mais qui nous font découvrir dans leur for intérieur, ces zones d’ombres. Effectivement, je voulais commencer le film par cette vision du tunnel, un élément que j’ai gardé d’une des nouvelles, mais uniquement ce tunnel, j’ai enlevé le reste.
La notion du tunnel est un élément qui est un peu récurrent dans la littérature, dans les rêves, dans les films, et non pas uniquement dans l’univers de Murakami. Le tunnel a une très forte symbolique et c’est ce qui m’attirait.
Dans le film, cette première scène nous place d’emblée dans la situation du tremblement de terre, avec cet homme qui marche sans savoir où aller et il se réveille à ce moment-là. Grosso modo, cette scène raconte le sujet de tout le film.
Souley Keïta : À nos errances, peut-on dire de ce monde que malgré les terribles nouvelles, on se doit de tourner la page un peu trop vite, car la douleur n’a pas sa place?
Pierre Földes : Je crois qu’il y a de la place pour la douleur, même s’il n’y a pas de place, elle est sans cesse présente. Les personnages de ce film ne l’ont pas tournée aussi rapidement, car ils sont égarés, ils sont perdus, comme nous le sommes parfois d’être nous-mêmes égarés dans nos vies. Nous tentons de trouver un chemin qui nous paraît être le meilleur et quelques fois, nous nous enfonçons quelque part sur de fausses routes. Ce que je veux dire par fausses routes, c’est que je ne sais pas si ce sont de bonnes routes, toutefois, il existe des meilleurs que d’autres. Ces personnages vivent des traumatismes, plus ou moins affectés par le tremblement de terre, en subissant les zones de chocs qui déclenchent autre chose. Ce qui se passe par la suite, c’est qu’ils commencent à prendre une page qu’ils vont pouvoir tourner et c’est déjà beaucoup. Déclencher cela plutôt que de rester sur l’autoroute d’une misère dont on n’a pas conscience, fais que cela provoque une remise en question du lieu où l’on doit être.
Souley Keïta : Katagiri, n°4698. En référence à la sublime scène du film Le Procès d’Orson Welles, où le personnage de Anthony Perkins se promène entre des personnes qui ont des affiches numérotées, est-ce que vos personnages doivent se contraindre à se fondre dans la masse pour ressembler aux autres? (Référence à la couleur des cravates)
Pierre Földes : La cravate de Katagiri est verte et se lie au vert de la grenouille. C’était une forme d’indice. Pour répondre à la question, je dirai que notre société, et nous également, voulons rentrer dans le moule, car nous voulons nous intégrer, nous voulons faire partie de cette société. Cela n’a rien de mal de vouloir s’assimiler pour ne pas se retrouver tout seul ou malheureux. Par contre, le revers de la médaille, c’est qu’en cherchant à s’intégrer à une société comme celle-ci, le danger est de ne plus se poser de questions. Il faut savoir remettre en question ce que l’on nous propose, il faut faire preuve de discernement. Je pense que dans la société japonaise, ce n’est qu’une idée et je peux me tromper, il y a sans doute une uniformisation de la pensée et que l’on ne se rend pas compte que nous ne sommes pas avec nos propres idées. Le discernement est important, comme le fait de se poser des questions, car cela permet de progresser, d’avancer et d’être la personne que l’on veut devenir.
J’ai un respect pour ce l’on veut être, le meilleur de ce que l’on est comme les personnages de mon film qui se donnent un peu plus de valeur.
Souley Keïta : De ces êtres transparents que l’on ne considère plus. Dans votre œuvre, il y a une volonté de faire disparaître les autres qui sont comme des ombres. Pouvez-vous nous en dire plus?
Pierre Földes : Il y a de cela, mais pas uniquement, car il y a l’idée que ces personnages sont invisibles. Cela ne veut pas dire qu’il y a du mépris pour les autres. On ne les voit que comme des ombres quasiment inexistantes. L’autre jour, on m’a envoyé un article scientifique sur la vision des grenouilles. Apparemment, si j’ai bien compris de la vision des grenouilles, c’est qu’elles ne perçoivent que ce qui est utile à leur survie. Il y a des tas de zones qui ne sont pas visibles. Elles perçoivent certaines choses en mouvement, certaines choses qu’elles peuvent manger, certaines choses qui sont dangereuses ou pour la reproduction. L’animation m’a permis de jouer avec cela et de me dire que ces gens sont transparents, que ce décor est transparent et qu’en tant que spectateur, je m’attarde sur la personne qui parle.
Toutefois, il y a une scène qui a un look un peu différent, sans la transparence, mais avec un arrière-plan qui est complètement fixe, que ce soit le lieu, les deux jeunes assis devant le magasin ou les gens dans la boutique qui nettoient les poissons. C’est une autre façon d’interpréter ou de raconter la même chose.