Quinze minutes dans Delhi sont amplement suffisantes pour comprendre le phénomène de choc culturel. Déjà, tous les sens du Québécois moyen sont frappés d’un état de confusion générale zigzaguant entre curiosité, incompréhension et inconfort profond
Premier constat : la circulation donne le tournis. Dans la capitale de l’Inde se compresse l’équivalent de 2/3 de la population canadienne. Parler de proximité relève de l’euphémisme. Une seule et même route est partagée par des voitures, des motos, des vaches sacrées, des cyclistes, des Rickshaws et/ou tout autre élément mobile imaginable. Ce qui choque dans cette cacophonie ce n’est pas tant la variété, mais l’apparente absence de toute règle régissant la conduite. Les lignes délimitant les voies ne sont que des suggestions, les clignotants ne sont tout simplement pas utilisés et il n’est pas étonnant de voir des motos ou des Rickshaws à contresens. Les véhicules se frôlent, parfois même s’effleurent, mais ne se touchent jamais. C’est plus instinctif et certainement moins encadré et réglementé qu’au Québec. Delhi s’apparente à un chaos qui fonctionne.
À cet enchevêtrement de bruits, de mouvements, d’odeurs et de couleur s’ajoute une hypnotisante mixité sociale. La foule est composée de citoyens riches à craquer, de mendiants, de petits commerçants, musulmans, hindous, bouddhistes, chrétiens, petits, grands, maigres, gras, jolis, hideux… tout y passe. Le pire et le meilleur.
Le poids des mots
Comme si l’observation de cet étrange système n’était pas suffisante pour occuper une vie arrive le moment fatidique de la prise de contact. Jusque-là, tout était extérieur, observé, écouté, mais il faut sauter dans l’arène et communiquer!
À Delhi, la majorité des citoyens parlent le Hindi, une des 18 langues reconnues par la Constitution et une des 4000 langues et dialectes parlés en Inde. Ceux qui travaillent avec les touristes ou dans le commerce parlent relativement bien l’anglais alors que la majorité des petits marchands et les chauffeurs de Rickshaws le baragouinent à peine suffisamment pour négocier les prix et comprendre des indications simples. Souvent le langage des signes est nécessaire. Pour réellement toucher l’essence de la culture, il faudra penser à apprivoiser l’hindi, au moins quelques mots afin d’éviter quelques situations fâcheuses.
Au niveau du langage corporel, certaines habitudes peuvent aussi semer la confusion. Par exemple, plutôt que de hocher de la tête de haut en bas pour marquer l’approbation, les indiens dodelinent la tête, ce qui en occident pourrait signifier l’indécision. Quand ils parlent, beaucoup semblent taciturnes. Les échanges usuels se terminent abruptement, sans fioritures, par un simple hochement de la tête en guise de « merci ». De quoi faire sentir à tort que l’interlocuteur est contrarié.
En somme, le lecteur éclairé comprendra que voyager à en Inde peut représenter un défi de taille puisque l’univers culturel indien est probablement le plus contraire au contexte nord-américain.
Retrouver son équilibre
Confronté à cet univers, le nouveau venu se trouve généralement dans un état appelé le choc culturel. Le concept un peu simpliste permet de saisir la gamme d’émotion provoquée par le processus d’adaptation. Il représente l’inconfort et le stress ressenti par un individu, lorsqu’immergé dans un nouveau contexte culturel. Indépendamment de la volonté de celui qui y est confronté, l’adaptation et la compréhension ne sont pas automatiques. Le processus prend du temps, parfois même des années. On parle de quatre phases plus ou moins distinctes : la lune de miel, le choc, la guérison et l’adaptation.
La lune de miel correspond aux premiers moments où le nouveau venu adoptera et apprivoisera avec beaucoup d’enthousiasme son nouveau milieu sans réellement le comprendre ou s’y comporter de façon appropriée. Le choc arrive généralement assez rapidement. C’est le moment difficile où un fort sentiment de rejet et de mélancolie se fait sentir. Confronté à des situations et des comportements qui peuvent sembler étranges ou même complètement révoltants, un renfermement sur soi-même et sur sa culture est souvent observé. Par la suite, le voyageur apprivoise graduellement sa nouvelle réalité. Cette étape exige une remise en question et une ouverture à l’autre. C’est à ce moment qu’il comprend le pourquoi du comment du fonctionnement d’une société et accepte progressivement la différence.
Toutes les trajectoires ne sont évidemment pas les mêmes. Certains ne s’habitueront jamais, d’autres y arrivent en quelques semaines. L’obstacle principal est d’arriver à comprendre que les habitudes et l’organisation d’une société découlent de valeurs et de notions du « vivre ensemble » différentes. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise pratique. Il n’y a que des attitudes adaptées ou non adaptées à un contexte et il faut prendre le temps de comprendre les mécanismes qui expliquent ces attitudes. Cet effort demande de la tolérance, envers soi et envers l’autre et la capacité de renoncer à la facilité du connu. Attention, il n’est pas question ici de renoncer à sa propre culture, mais, bien de trouver des stratégies pour concilier les deux.
L’auteure est étudiante à l’Université de Sherbrooke en Études politique appliquée. Elle effectue actuellement une session d’échange en Inde à l’Université Jawaharlal Nehru de New Delhi.