Un court regard sur… RESTE,
C’est à travers ce court-métrage et ce premier article que je voudrais élancer votre année cinématographique 2023.
RESTE, un mot qui nous lie à ce récit, symbole de ce cri dont on ne peut se défaire. Un mot qui focalise mon attention sur celleux qui font briller l’humain à travers leur création, avec cet infini espoir transmis à leur(s) personnage(s) et sur lequel j’ai envie de déposer mon regard, car après tout le cinéma est gage d’espoir et c’est ce qui se dégage du premier film de Ginger Le Pêcheur.
Je me sens gâté.
Gâté de voir, de vous faire découvrir la relève engagée du paysage cinématographique, mais également de me voir transmettre cette partie d’âme que vous mettez dans vos œuvres.
RESTE est l’histoire d’une enfant de 6 ans, Chichou, qui pose un regard sur les vestiges d’une soirée festive, trop festive. Une reconquête qui va sans doute faire grandir trop rapidement cette jeune enfant.
Oui, il n’y a rien de plus triste que de donner vie à des êtres que l’on va tourmenter, mais à la fin l’espoir s’installe en enlaçant ces êtres. C’est ainsi que nous installe, dans un cadre de questionnement sur la violence d’un lieu anodin, la scénariste et réalisatrice, qui signe un premier film remarquable sélectionné au Festival Regard au Saguenay et au VIFF. Non rien n’est anodin, à partir du moment où cette caméra pose un oeil sur une confrontation des univers qui ne doivent pas se rencontrer.
Le film de la réalisatrice impressionne tant dans sa direction d’actrice avec l’épatante Maëllya Gauvin, (il n’est jamais aisé de diriger un jeune enfant) que dans son langage cinématographique réfléchi qui expose les failles du monde de Chichou. Son innocence de 6 ans se perd dans les décombres (violents) imposés par les adultes laissant à jamais des séquelles sur son enfance. On n’en parle peu, BRAVO!
Pour ma part, je reste pour suivre ses prochaines œuvres.
Entrée Libre se voit offrir ce dernier film, une œuvre touchante, attachante de la scénariste et réalisatrice Ginger Le Pêcheur qui débute à merveille cette belle année cinématographique 2023 :
Souley Keïta : Je voudrais que les lecteurs puissent savoir un peu plus sur ces différentes casquettes que tu portes, peux-tu nous en dire plus ?
Ginger le Pêcheur : Je suis réalisatrice et je m’attelle à la réalisation de mes œuvres. Je travaille aussi pour la boîte de production Colonelle Films depuis deux ans. Je suis également engagée dans l’organisation Réalisatrices Équitablesqui lutte pour la représentation et les conditions de travail des femmes ainsi que des minorités dans l’industrie cinématographique québécoise. Ce sont des choses qui me rejoignent à plusieurs échelles et qui sont des raisons pour lesquelles je fais du cinéma notamment dans ce point d’honneur à avoir un fort engagement féministe.
Reste est mon premier court-métrage qui a fait sa première au festival Regard (Festival international de courts-métrages) et qui a bénéficié notamment d’une sélection au VIFF (Vancouver International Film Festival). Je compte bien évidemment continuer dans cette lancée et ne pas m’arrêter d’écrire et de réaliser.
Souley Keïta : Première image, première question. On tombe très vite sur notre personnage, cette jeune enfant qui peint sur les murs. Est-ce que tu soulignerais qu’elle façonne déjà le monde à sa façon ?
Ginger le Pêcheur : L’idée d’avoir ce premier coup de pinceau sur ce mur comme une manière d’amener ce personnage que ce soit par ce qu’elle projette, par ce qu’elle fait et qu’elle met en image avant sa propre personne à l’écran est quelque chose qui comptait pour moi. D’un point de vue symbolique, on ne le voit pas sur le premier coup de pinceau, mais elle est en train de dessiner une maison. Par rapport à cela, on souligne un langage cinématographique qui est très serré sur ce personnage et un côté poétique qui vient aussi rejoindre la fin de mon film qui laisse une libre interprétation. Il y a dans l’idée du close up de regarder, à travers les yeux de mon personnage, son monde. Dans l’enfance, j’ai l’impression que tout est vu à une échelle plus grande. Chaque geste a une dimension élevée et c’est une vision qui m’intéresse, cette sensation autre avec la matière, avec la peinture, etc. Je pense qu’ultimement, en étant dans un huis clos, avec une seule actrice qui est en constante évolution à travers la maison dans laquelle elle est. Le fait de la faire intervenir sur un mur, c’était aussi la symbolique de ce qu’on allait voir dans ce film.
Souley Keïta : On évoque l’abandon, comme le montre si bien les décors, à travers cela on y découvre un personnage coincé dans un monde d’adulte sans voix et qui a besoin que l’on porte un regard sur elle. J’aimerais que tu nous parles de ce personnage et de la genèse de ton film.
Ginger le Pêcheur : Sur le personnage et le fait d’y aller sans dialogue, il y a quelque chose d’universel. Je ne voulais pas mettre en scène une voix précise, mais plutôt une voix qui prend vie grâce aux gestes et c’est une notion qui comptait beaucoup pour moi. Concernant la genèse du projet, je pense qu’en étant dans ma vingtaine, il y a une réflexion que j’ai eue sur l’enfance et je pense qu’on la traverse tous dans notre vie. L’idée de parler des zones grises de la violence qui est une thématique que je voulais aborder dans ce film, sans être l’étendard d’une justice sociale, j’ai pris conscience que je suis beaucoup plus en subtilité sur la vie quotidienne. L’avantage de parler de ce que l’on ne revendique pas, de ce dont on parle moins, touche sans doute plus de personnes que l’on ne croit. Il y a une résonance chez des parents qui ont eu l’occasion de voir Reste.
Outre le côté universel, le fait que l’on se retrouve le lendemain d’une soirée festive est une manière de symboliser et de réfléchir sur son passé. Le personnage évolue dans les vestiges d’une soirée qui a pris une certaine tournure, il y a une réflexion sur certains évènements traumatiques après coup, et sur lesquels, en tant qu’adulte, on n’y pense pas forcément.
Souley Keïta : Tu dépeins avec poésie, avec tendresse, le monde morcelé de cette jeune enfant, d’ailleurs, elle en ramasse les morceaux, alors qu’à l’extérieur, les cris de joie des enfants évoquent la construction des souvenirs de leurs enfances. Est-ce que notre personnage doit enfin mettre de l’ordre dans ces deux rôles qu’elle joue (adulte et enfant) et se choisir ?
Ginger le Pêcheur : C’est une intention que j’avais. Je pense que dans l’évolution du film nous sommes dans un monde enfantin qui dérive vers une perméabilité du monde adulte et le fait de devoir grandir trop vite. C’est un rapport frontal, tout en subtilité, de cet enfant qui doit s’acclimater à sa réalité en ramassant ce qu’elle peut et en faisant quelque chose. Il y a ce symbole de vouloir transformer le salon pour qu’il ressemble à quelque chose de présentable, de viable. Dehors, avec les cris des enfants, il y a une nécessité de rappeler ce que l’enfance devrait être et encore une fois, il y a une confrontation entre le fait de ne pas pouvoir vivre pleinement l’étape de l’innocence enfantine et de composer dans un lendemain d’une soirée festive d’adulte.
La scène du mégot de cigarette, qui se passe dans la chambre, un espace qui révèle davantage un monde de création, un monde confortable qui définit ce qu’elle devrait être en tant qu’enfant. Il y a ce mégot qui rentre dans cet univers, même si elle joue avec, ce mégot la confronte dans ce que l’on ne devrait pas vivre en tant qu’enfant et en même temps ce personnage comble un vide en se permettant plus.
Souley Keïta : Ma question porte sur un dilemme que tu instaures dans les non-dits. Ce dilemme que je qualifie à hauteur d’enfant, à hauteur d’adulte. Est-ce que ton personnage doit faire un choix ?
Ginger le Pêcheur : C’est la dualité de toute l’histoire. C’est également une question que je voulais poser au spectateur, dans la manière où on laisse et on se laisse happer par l’histoire. Il y a l’idée de ce que l’on décide de percevoir de cet enfant. Est-ce qu’on la perçoit par ce qu’elle devrait être ou est-ce qu’on la perçoit par ce qu’elle vit ? Je pense que la réponse, c’est qu’il n’y en a pas. Il n’y a pas une réponse claire, car c’est toute la question de la perception et je pense que c’est le principe du non-dit. Cette ligne fine entre ce que l’on aurait voulu et ce qui se passe vraiment, car à la fin elle restera une enfant et grandira à travers cette hauteur qui lui est propre. Je pense que lorsqu’on est confronté à certaines situations comme celles-ci, c’est l’enfant en nous qui va intérioriser l’idée d’avoir déjà grandi. On la voit très bien comme une jeune enfant, mais je pense qu’à l’intérieur le cheminement du personnage est un sentiment d’émancipation et de maturité incomplète, car d’un point de vue externe elle reste une enfant de 6 ans.
Souley Keïta : Tu brises le quatrième mur avec sensibilité, celui qui établit que le ressenti, la peine du spectateur fait naître un regard, qui traverse l’écran, sur ce personnage. Elle n’est plus seule et le montre avec joie. Peut-on dire que Reste est avant tout un regard qui permet d’exister ?
Ginger le Pêcheur : Je pense que la fin d’un film est révélatrice de ce que l’on veut laisser à notre auditoire. La position que l’on prend en tant que réalisatrice est de sortir cet enfant du morcèlement et de la mettre dans les meilleures conditions dans une confrontation plus joyeuse, moins isolée avec ce retour à une certaine innocence. Pour moi, c’est une manière de représenter, mais également de trouver une voie pour se comprendre, pour se voir et ainsi grandir.