Bien que la démocratie soit une valeur exaltée partout dans les sociétés contemporaines, il est tout de même curieux de voir que chaque jour la forte majorité de la population passe sa journée dans des institutions pour lesquelles ce concept est étranger. En effet, les entreprises sont des lieux hautement hiérarchisés où les relations de pouvoir sont manifestes. Pourtant, il serait possible de faire autrement et d’étendre l’idéal démocratique à tous les milieux de travail. C’est ce que le mot « autogestion » signifie et c’est pourquoi de nombreuses personnes se sont battues tout au long du siècle dernier. Mais aujourd’hui, l’idéal autogestionnaire ne se retrouve quasiment nulle part dans les programmes des partis de gauche ou encore dans les revendications des syndicats. Cela est fort malheureux puisque le XXIe siècle, avec ses moyens de communications et avec la place grandissante de l’automatisation, pourrait permettre à cet idéal de se concrétiser bien plus facilement que ne l’imaginaient les théoriciens et les théoriciennes libertaires du début du siècle dernier.
Mais encore faut-il savoir ce qu’est l’autogestion, car ce n’est pas tous les jours que ce terme est employé. Ce mot, qui a longtemps été un cheval de bataille de nombre de syndicalistes et de gens de gauche, qualifie tout simplement la gestion de l’entreprise par les travailleurs et les travailleuses. Plusieurs façons de faire ont été tentées à travers l’histoire récente, parfois à l’échelle d’une seule entreprise, mais parfois à l’échelle de régions de plusieurs millions de personnes. La charge subversive d’une telle proposition est telle que tous les régimes autoritaires du siècle dernier l’ont combattue, à commencer par l’URSS qui a dû mater ses ouvriers et ses ouvrières qui prenaient trop au sérieux le slogan « tout le pouvoir aux soviets! » Ironiquement, les personnes qui se sont battues pour l’autogestion ont au moins fait ressortir un grand point de convergence entre les bureaucrates soviétiques et le patronat capitaliste : il faut absolument empêcher les travailleurs et les travailleuses de décider et de contrôler démocratiquement la production.
N’en déplaise à celles et à ceux qui voient dans l’emploi une sorte de contrat volontaire entre égaux qui s’échangent du travail et du salaire sans pression d’un côté comme de l’autre, la réalité est que sans emploi, c’est l’indigence qui guette. Entre subir la violence extrême de la pauvreté et la soumission à l’emploi, les gens choisissent tout naturellement la seconde solution. De même que la seigneurie symbolise aujourd’hui la servitude et l’iniquité, il n’est pas farfelu d’imaginer qu’un jour peut être, les entreprises capitalistes seront vues comme l’expression d’une autre forme de servitude du passé. Cette époque là verra vraisemblablement ses travailleurs et ses travailleuses gérer leur milieu de production et travailler moins d’heures dans de meilleures conditions. En d’autres mots, la démocratie sera quotidienne et non un simple mot brandi de temps à autre pour que les gens élisent leurs maitres. Peut-être est-il temps que le lieu de travail cesse d’être considéré comme une zone d’exception dans laquelle les principes d’égalité, de liberté et de démocratie ne sont pas admis?