Le débat sur le droit à la grève étudiante sous-tend la question de ce qu’est un-e étudiant-e. Gaétan Barrette a proposé le 14 avril dernier la réponse suivante : « l’étudiant est à l’université ce qu’un consommateur est à un commerçant. Une association de consommateurs, ça ne fait pas de grève. Si [les consommateurs] décident de ne plus prendre le produit, ils ne le prennent plus. Ici, on a affaire à des étudiants qui décident de ne plus recevoir un service payé par la société et ils voudraient que les autres n’y aient pas accès non plus ». Cette fausse analogie soulève l’indignation de toutes celles et tous ceux qui, comme moi, militent contre la marchandisation de l’éducation. Mais réagir ne suffit pas. Il faut articuler et rappeler sans relâche ce qu’est un-e étudiant-e pour une conception non marchande.
La Charte de Grenoble a défini l’étudiant comme un « jeune travailleur intellectuel ». Voilà le point de départ. Il y a une réserve à faire sur l’âge : l’importance de l’éducation aux adultes aujourd’hui interdit de faire de la jeunesse un critère nécessaire au concept d’étudiant. Mais l’étudiant est, oui, un travailleur, c’est-à-dire non pas un consommateur mais bien plutôt un producteur. S’il ne transforme de la matière, il transforme son propre esprit et, a fortiori, la société au sein de laquelle cet esprit apportera contribution. Cela doit être reconnu comme socialement et économiquement productif, au plus haut point, salaire ou pas. Les aptitudes, connaissances et compétences que développent les étudiant-es sont les prémisses de notre avenir collectif.
L’étudiant est un producteur en un deuxième sens si on considère le lien intrinsèque entre recherche et enseignement en enseignement supérieur. L’université moderne ne livre pas à ses étudiants des connaissances-marchandises, toutes prêtes, mortes, mais recherche activement la connaissance à travers le lien unissant professeurs et étudiants. Wilhelm von Humboldt, un des penseurs de l’université moderne, le formule en ces mots : « tout, dans l’organisation interne des établissements scientifiques supérieurs, repose sur le respect du principe qui veut qu’on considère la science comme n’étant pas encore entièrement trouvée ni ne pouvant entièrement l’être, et qu’on la recherche inlassablement comme telle ». Les étudiants sont partie prenante à cette recherche : ils produisent non seulement la société de demain, mais la connaissance du vrai en tant que telle.
Finalement, la conception marchande de l’éducation fait l’impasse sur l’étudiant comme détenteur d’un droit. L’analogie entre études et jus de raisin a ses limites. Un être humain peut librement choisir de remplacer son jus de raisin par de l’eau, ou son cinéma maison par un livre. Le boycott est ici possible sans mettre en jeu des droits. Mais si on peut facilement substituer un article d’épicerie à un autre, pourvu qu’à la fin on puisse manger à notre faim, rien, dans la vie d’un être humain, ne peut se substituer à sa propre éducation. Le dernier à l’oublier devrait être l’État, responsable de la mise en œuvre de ce droit. En ce sens, la rhétorique de l’éducation comme « service payé » doit être dénoncée : l’éducation est plutôt un droit assuré.
Pour toutes ces raisons, j’ose espérer que le ministre de l’éducation François Blais corrigera et rectifiera rapidement les propos erratiques de son homologue de la santé.
Philippe Langlois est professeur de philosophie au Cégep de Sherbrooke.