On ne les voit pas beaucoup en politique, ni à la tête des grandes entreprises. Mais s’il y a un endroit où il est possible de compter plus de femmes que d’hommes, c’est bien sur les bancs de l’université, et plus particulièrement ceux des facultés de droit. Et si le monde juridique était bientôt majoritairement féminin? Regard sur la féminisation d’une profession libérale.
Profession : AvocatEs
En 1982, la première femme nommée à la Cour suprême du Canada, Bertha Wilson, avait elle-même soulevé cette interrogation : « est-ce que les femmes juges feront une différence? » Vingt ans et trois femmes juges plus tard, une étude menée par les professeures Rebecca Johnson et Marie-Claire Belleau suggère que la réponse est positive. « Sans affirmer que les femmes partagent une ‘‘essence’’ commune, nous estimons qu’il existe peut-être des composantes, des traits, des caractéristiques dans l’acte de juger qui unissent les femmes qui exercent cette fonction », écrivent-elles. Une essence qui, sans être nécessairement commune, les amènerait à réfléchir différemment. En vingt ans, 3 des 28 juges de la Cour suprême avaient produit 40 % des opinions dissidentes. Et elles étaient toutes des femmes. L’honorable Claire L’Heureux-Dubé, juge de 1987 à 2002, avait même acquis le titre de « La Grande Dissidente ».
À l’échelle locale, le Barreau du Québec pouvait se vanter en 2010 d’être le plus féminisé d’Amérique du Nord. Sur les 8000 avocats qui avaient 10 ans de pratique et moins, 61 % d’entre eux étaient des femmes. À eux seuls, ces chiffres peuvent sembler banals, mais dans la pratique, ils signifient peut-être un changement important. Le droit social, par exemple, est l’apanage des femmes, et elles sont plus que les hommes à voir dans les modes de justice participative – ou mode approprié de résolution des différends – la nouvelle opportunité à saisir. Autre sexe, autre façon de faire le droit?
Pendant ce temps, dans les facultés de droit…
Selon Statistique Canada, en 2006, les femmes représentaient 60 % des diplômés universitaires entre 25 et 29 ans. Pas étonnant, donc, de constater qu’elles sont majoritaires dans certaines facultés. Dans celles où est enseigné le droit, cependant, elles ont carrément envahi les salles de classe. À l’Université de Sherbrooke, 65 % des inscrits au semestre d’automne des cinq dernières années sont des jeunes femmes. Au deuxième cycle, elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes.
Pour la jeune diplômée en droit de l’Université Laval, Hélène Caron, des changements de mœurs sont à prévoir; dans la façon de plaider, certes, mais peut-être même aussi dans la jurisprudence. Et même les conditions de travail dans les bureaux d’avocat pourraient avoir à s’adapter. À la « journée carrière » à laquelle elle a récemment participé, la jeune femme de 24 ans a noté que certains bureaux lui ont gentiment laissé entendre qu’ils offraient des conditions avantageuses pour les jeunes mères. Une conciliation travail-famille qu’il aurait été impossible d’obtenir pour une jeune avocate il y a de cela tout juste 20 ans.
Le Barreau du Québec note d’ailleurs que 45 % des hommes travaillent en pratique privée, contrairement à 35 % des femmes. Il n’est pas rare dans le milieu que les jeunes femmes commencent dans le privé, pour se tourner vers le public lorsque vient le temps de fonder leur famille. Maintenant qu’elles ont l’argument quantitatif derrière elles, les femmes arriveront peut-être à plaider pour des changements dans le milieu juridique, et même à gagner leur cause.