Septembre est toujours un mois bizarre pour moi. Alors que la rentrée bat son plein, que les activités culturelles se déchaînent et que le climat se rafraîchit doucement, j’ai les bleus. Non, ce n’est pas parce que je pense à mes anciennes flammes. Car il ne s’agit pas que d’apprendre à vivre sans compagnon, mais aussi de replonger dans d’autres deuils inlassablement.
Dans ma jeune vingtaine, période où l’on est sensé avoir la vie devant soi, plein de projets en tête et vivre au jour le jour, j’ai perdu un ami. Pas perdu comme dans il est déménagé et on ne s’est plus revu. Pas perdu comme dans on s’est chicané et on a été irréconciliables. Quand on est athée, on croit que les gens ne vont nulle part après leur mort. On les a perdus, point.
Mon ami avait laissé une lettre qui m’était adressée. Il disait que je serais peut-être une des rares à comprendre son geste, à la limite, et que j’avais été importante pour lui. La première idée que j’eus était que j’étais vraiment privilégiée d’avoir eu droit à une lettre. La deuxième fut que si j’étais si spéciale à ses yeux, il aurait pu me dire qu’il n’allait pas bien et on aurait pu chercher des solutions ensemble.
J’aurais voulu le brasser, puis le serrer dans mes bras, mais il n’était juste plus là. Son corps n’était même pas là durant la cérémonie, il était en analyse en laboratoire. C’est dur de dire adieu à quelqu’un qu’on ne voit pas. Ça laisse un doute dans l’esprit: peut-il s’être sauvé quelque part? Parfois, j’ai l’impression de l’apercevoir dans la rue. C’est étrange.
Avec le temps, mon ami, est-ce que j’ai compris ton geste, est-ce que je l’ai pardonné? Oui et non. Oui, je peux imaginer ta souffrance. Non, je ne penserai jamais que tu as fait le bon choix. J’ai vu tes proches s’effondrer comme des dominos, cette année-là. Mon copain, dont tu étais le grand ami, a même sombré dans une dépression au bout de laquelle nous nous sommes quittés, même si tu m’avais spécifié dans ta lettre de prendre grand soin de lui. Et toi, as-tu pris soin de toi?
Comme si l’événement n’était pas assez important, les funérailles ont eu lieu dans le coin du 11 septembre. Je n’ai jamais été bonne avec les dates, mais là on dirait un véritable truc mnémotechnique pour ne jamais t’oublier. J’ai ri nerveusement dans l’église lorsqu’ils se sont trompés dans ton âge. Ce lieu m’a toujours inspiré plus de malaise que de réconfort.
Je te revois parfois dans mes rêves, toujours souriant, avec un air espiègle. Parce que quand tu n’allais pas bien, tu te cachais et quand tu pétais le feu, je croyais que c’était ça, ta personnalité. Avec le recul, on pense que tu souffrais probablement d’une forme de bipolarité et qu’il est venu un temps où tu en as eu assez de vivre ainsi.
Certains hommes ont encore de la difficulté à demander de l’aide (je te comprends, je suis pareille), ils attendent souvent que leurs problèmes soient extrêmes avant d’y recourir. Pour ceux qui osent en demander. Tu avais de la difficulté avec les cadres, les règles, la conformité. Tu aurais eu du mal à recevoir une étiquette de maladie mentale. Et pourtant, tu n’as pas idée de celui que tu aurais pu devenir. Tu n’as pas idée des gens qui seraient arrivés sur ta route: de nouveaux amis excentriques comme toi, des femmes géniales, prêtes à t’ouvrir tout grand leur bras, des études et un travail, dans lesquels tu te serais peut-être bien épanoui, qui sait? On ne peut pas revenir en arrière. N’empêche que malgré le peu de photos que j’ai de toi, les souvenirs de moments tout bêtes en ta compagnie me reviennent.
Oui, c’est vraiment vraiment pire que tous les gars que j’ai connus avec qui je ne sors plus. Parce que je sais qu’eux sont en vie, au moins. Je peux prendre des nouvelles au besoin. Je sais qu’ils sont heureux, du moins, je l’espère. Avec toi, c’est comme si quelque chose n’avait jamais été conclu. Oh, je ne passe pas ma vie à geindre sur ton sort, je vais bien ne t’inquiète pas. N’empêche que je me poserai toujours des milliers de questions. Tu fais chier, mais je t’aime.