Une critique sans (trop) divulgâcher.
J’ose!
J’ose dire avant toute chose merci, merci à ces réalisatrices qui ne font pas de la vérité une simple étincelle, mais un feu incandescent. Que ce feu ardent dans vos yeux brûle, brûle ces mauvais temps où le cinéma nous faisait croire des inepties.
J’ose dire qu’il y a de ces mauvais temps, cette facilité de dire dès maintenant non. Non, je ne veux pas parler d’un cinéma qui, durant de nombreuses années, à montrer des facettes de ce qui est inacceptable comme acceptable.
Cette acceptation inacceptable, de ce même cinéma qui a rendu la prostitution comme sexy, jolie et jeune, ou plutôt Jeune et jolie. Ah non, c’est le plus vieux métier du monde, donc on doit se taire devant vos fantasmes abjects. De ce trip de dire que l’on s’y plaît sans demander l’avis des principales intéressées, je ne peux parler pour Elles, mais une chose est sûre, Noémie vous dit, dès à présent, NON!
Pari réussi
Quel bien fou de se sentir mal à l’aise et inconfortable quand un film nous ramène à la brutalité de ce monde. Brut et protecteur, car on ressent cette sensibilité de ne pas montrer pour nourrir un certain fantasme qu’on avait l’habitude de voir au cinéma, qu’il soit de l’ordre de la sexualité ou de la violence. Ce pari est réussi.
Noémie dit oui est le premier, premier long-métrage de Geneviève Albert pour un premier sujet fort et prenant. Bravo! J’attends avec impatience les prochaines oeuvres.
Un film qui ne veut plus cacher, mais met un nom sur ceux qui font que cela existe continuellement, de la prostitution juvénile au tourisme sexuel même au Canada. L’oeuvre nous jette au visage une phrase derrière laquelle on ne pourra plus se cacher: »je ne savais pas » car les monstres ont enfin un nom. À travers, un film qui se veut fidèle au temps pour lequel la réalisatrice a consacré autant d’années.
L’œuvre dénonce à travers un week-end festif du Grand Prix du Canada à Montréal, la solitude dans une chambre d’hôtel de Noémie, 15 ans (Kelly Depeault), qui a fui le centre jeunesse, après un énième abandon de sa mère. Elle s’y retrouve à se prostituer après avoir été manipulé par Zach (James-Edward Métayer), jeune proxénète charismatique.
Portés à merveille, également, par Emi Chicoine qui interprète Léa, ancienne amie du centre jeunesse, et Maxime Gibeault, proxénète violent qui campe le rôle de Slim. Ces trois vont faire plonger Noémie dans une descente aux Enfers. Finalement, Sartre n’avait pas tort, l’Enfer, c’est les autres.
On ne le souligne pas assez, mais je n’ose imaginer les difficultés dans la direction d’acteurs sur un sujet fort moralement et mentalement. Chapeau bas!
Dans ces moments uniques, où le cinéma bat à travers nos interlocutrices et interlocuteurs, Geneviève Albert, la réalisatrice et scénariste, ainsi que ses quatre actrices/acteurs Kelly Depeault, James-Edward Métayer, Emi Chicoine et Maxime Gibeault prennent le temps de répondre aux questions d’Entrée Libre :
Souley Keïta : Première image, première question. Attendre quelqu’un sans voir que nous sommes entourés. Est-ce que tu soulignes déjà l’importance que Noémie doit souffrir pour comprendre que le bonheur est dans les gens qui nous considèrent ?
Geneviève Albert : Je ne pense pas que Noémie doit souffrir pour avoir cet accès. D’ailleurs, elle n’y accède pas vraiment. Cette première scène est tournée en plongée, la caméra écrase notre personnage, écrase Noémie qui essaye désespérément de parler à sa mère. De ces émotions vives qui surgissent du fait que sa mère ne réponde pas, cela m’a permis d’installer le drame dès le début au sein de ce personnage.
Souley Keïta : David Goudreault dans La bête à sa mère mentionne que les adolescents abandonnés sont comme les animaux à la S.P.A. Ce sont souvent ceux qui sont les plus maganés qui portent le moins de regard et d’attention. Peut-on voir chez Noémie que son impulsivité lui joue de mauvais tours, car on ose la détruire encore plus et on le lui reproche souvent ?
Geneviève Albert : Oui c’est sûr, Noémie est impulsive. Après je ne sais pas si on lui reproche, car dans les centres jeunesse, ce sont des lieux où les filles peuvent se mettre en colère. Il y a des colères qui sont considérées comme positives et normales. D’ailleurs, les filles qui se mettent en colère sont celles qui ont le plus de chance de s’en sortir, car il y a un instinct de survie plus prononcé. Un instinct de survie qui se cache derrière la colère. J’ai tenu à ce que Noémie ait ce caractère colérique, car c’est l’expression de grandes blessures. Une blessure béante qui l’a fait exploser. Je ne ressens pas dans le film ce côté où elle se fait trop réprimer, car elle se met parfois en danger comme on peut le voir dans la scène où elle saute dans le fleuve. C’est sûr qu’il faut de l’encadrement, car il y a parfois de gros débordements.
Kelly Depeault : Les gens qui sont censés me garder me trouvent invivable, mais mon personnage veut voir qui est capable de ne pas s’écrouler face à elle. Elle cherche quelqu’un de solide qui est prêt à la recevoir.
Souley Keïta : De ces premiers bleus qui jaillissent sous un mal plus encré. Est-ce qu’à travers vos personnages, au risque de les détruire encore plus, il y a l’idée de ne plus vouloir souffrir seule ?
Geneviève Albert : Effectivement, c’est de voir que les filles qui font cela sont vraiment dans le trouble puis elles ne savent pas comment s’en sortir. Elles préfèrent être dans le trouble avec quelqu’un, que de se retrouver toutes seules. Léa ne veut pas vivre cela seule. C’est cruel, c’est ce que je me suis fait expliquer, parce que si ce n’est pas Noémie, ce sera toi. Tu vas forcément choisir.
Emi Chicoine : Je pense que malgré leur amitié et le soutien qu’elles ont l’une pour l’autre, il y a une partie de Léa qui veut que Noémie aille sur le même chemin qu’elle. Ça fait 3 mois que Léa vit cela et elle ne veut pas un chemin facile pour son amie. Noémie doit aussi passer par ces étapes même si elle est contente de plus être seule. Elle le mentionne plusieurs fois que c’est plus le fun lorsque Noémie est là, car elles vont le faire ensemble. Au fur et à mesure, il y a une jalousie qui commence à naître chez mon personnage, une certaine forme de compétition où elle se compare à Noémie.
Souley Keïta : Je reviens sur les bleus sur le corps de Léa après vos retrouvailles, si je les perçois, ton personnage doit les voir, est-ce qu’elle se voile la face parce qu’elle débute une nouvelle vie ?
Kelly Depeault : Je le vois différemment, Noémie a 15 ans, elle est agressive, colérique et frappe dans tout. Elle a également des bleus donc je ne pense pas qu’elle s’en doute. Un peu comme de tout le reste, en fait, car elle se sent libre, elle a rencontré des gens gentils, des gens qui ne lui veulent pas de mal.
Souley Keïta : À travers ton film, tu nous montres deux visages du proxénète, celui qui fait croire que c’est un amoureux éperdu et qui essaye de la convaincre avec les mots, puis il y a celui qui utilise la violence. On joue avec ces déclinaisons, j’aimerais vous entendre sur l’écriture et ces visions de vos personnages.
James-Edward Métayer : Ce que j’ai trouvé intéressant chez les deux personnages, autant chez Slim, que chez Zach, c’est l’intimidation que joue le premier sur le deuxième. Zach veut tout le temps montrer qu’il a le dessus dans sa business, mais au bout du compte, il finit toujours par se faire intimider par Slim. Pourquoi ? Parce que Slim possède plus de choses que Zach. Il est beaucoup plus construit dans ce milieu, il est plus entouré avec sa copine qu’il a depuis un certain temps. De voir le côté un peu plus angélique de Zach malgré qu’il reste un proxénète, je le trouvais intéressant, car cela montre qu’il peut y avoir beaucoup de facettes dans ce milieu que l’on ne connaît pas tant.
Geneviève Albert : Zach a une certaine candeur sur son visage, il est gentil, il est charismatique, il est drôle, donc il amène le fait que Noémie n’a aucune raison de s’en méfier. Elle est beaucoup plus amenée à se prostituer et à avoir la tendance de dire oui.
Maxime Gibeault : Je suis content d’avoir plongé dans le darkside du proxénète, dans ce Slim méchant, car cela amène des scènes intéressantes qui sont des challenges. On explore la vraie vie, car on trouve du monde qui est plus gentil, du monde qui est plus méchant ou intense et ces personnes prennent des chemins pour atteindre ce qu’ils veulent, ou atteindre leur but. Cela n’a pas été dit, mais je pense que dans ce mauvais milieu les deux personnages forment une team. J’ai l’impression que Zach vient tâter le terrain et Slim va venir closer tout cela. C’est aussi pour montrer que ça existe des proxénètes comme Zach, un gars qui ne soulève pas de doute, car il est fin, il est beau, d’ailleurs dans la première scène avec Noémie, on sent un regard positif lorsqu’elle voit Zach.
Souley Keïta : Un sujet difficile et prenant. J’aimerais revenir sur votre premier contact avec le scénario, avec le sujet. Comment construit-on son personnage à travers cette histoire? Qu’est-ce qui a été le plus difficile, mais également le plus motivant lorsque l’on se bat pour mettre en lumière cette histoire ?
Kelly Depeault : Geneviève m’a envoyé le scénario que j’ai lu. Je le trouvais bien écrit, bien détaillé, clair. Par la suite, je suis allé passer du temps chez des amis, et un de mes amis m’a touché l’épaule par-derrière. J’ai sursauté face à cela. En analysant, je pense que je venais de lire un scénario qui m’a perturbé. Perturbé dans sa lecture, car lorsque tu lis les scènes de sexe, sans les plans tu n’as pas l’image donc tu imagines que ton corps est mené dans différentes positions. Il y avait un sens du détail avec les mots. Malgré l’hésitation, je me suis quand même dit que je ne perds rien à aller prendre un café avec Geneviève. Je lui ai dit que ton scénario est vraiment dur et que je ne pense pas que mon corps va être capable d’endurer tout cela. Mais je nourrissais une curiosité par rapport à sa vision, par rapport à un sujet important. Il y avait une volonté de montrer la prostitution sans la sexualiser alors qu’au début je voyais le scénario différemment. Je trouve rare que dans le cinéma on puisse voir autant d’hommes tout nus sans qu’il y ait de femmes, Geneviève l’a fait. Après le café, je me suis dit que j’allais le faire. J’ai beaucoup de respect à me dire que ce que l’on va faire est important et que je suis capable de le jouer.
James-Edward Métayer : Je ne mentirais pas que la première fois que j’ai lu le scénario, deux fois d’ailleurs, cela m’avait troublé comme Kelly, car on s’imagine les choses différemment. Il y a une opposition entre le script et la manière dont Geneviève va amener cela devant la caméra. C’est sûr que c’est moins intense que les rôles de Léa et de Noémie, mais cela a quand même été un choc, car j’avais peur. Zach est un personnage qui sera détesté par les gens à sa juste valeur, mais on réfléchit à nous. Il y avait la crainte de décevoir Geneviève ou mes collègues qui ont plus d’expertises dans le milieu, car c’était ma première expérience de plateau. J’ai été très choyé avec cette équipe, car cela m’a permis de sortir le professionnalisme qui est en moi. Cela a été tout de même dur d’incarner le méchant, car je suis aux antipodes de Zach, que ce soit dans mes attitudes, dans ma vie ou ma personnalité, mais ça m’a lancé un défi en tant que comédien. Geneviève nous a tellement bien accompagnés et briefés sur sa vision.
Emi Chicoine : Pour ma part, c’est mon rôle le plus difficile. J’ai reçu l’audition alors que j’étais avec Kelly qui avait déjà dit oui pour le film. La description de Léa apparaissait comme une fille girly, superficielle, je me disais que je ne vais pas être capable de faire cela. Kelly me disait que ça va marcher puis finalement je suis arrivée avec une proposition un peu plus girlyque moi, sans pour autant que ce soit trop. J’ai passé une scène d’audition avec Kelly pour voir l’alchimie entre les deux personnages et une autre plus personnelle. J’essayais de gratter dans ce personnage. Au moment où j’ai obtenu le rôle, j’ai vu beaucoup de vidéos avec Geneviève sur des prostituées, sur la manière dont elles se tiennent, sur comment elles racontent leurs histoires.
Maxime Gibeault : Je pense que c’est quasiment pire en mots, car tu peux te faire l’image que tu veux. J’étais content que cela soit sur papier, qu’on en parle. Enfin!
Enfin, quelque chose de bien écrit et décrit. En lisant ce scénario, c’est comme si une personne avait parlé sur un dictaphone et que cela a été transposé sur un scénario. Le Slim lorsqu’on le lit est vraiment méchant, mais je voulais un peu l’humaniser. Un petit quelque chose. J’étais content de ce défi et que ce moi qui le montre, car je voulais y aller all in. Ce n’est pas facile d’être aussi méchant.
Kelly Depeault : Cela s’est ressenti avec certains acteurs qui jouent les clients. Je leur disais parfois d’être plus méchants, ce n’est pas facile, mais tu joues un client et ce n’est pas toi dans la vraie vie. Il faut que tu me poignes le poignet, etc.
Maxime Gibeault : Il faut switcher ton cerveau et te demander jusqu’à où ces gens seraient prêts à aller.
Souley Keïta : Le nombre ne détériore pas le dégoût, on ne compte plus le nombre de « ce n’est que du sexe » ou « c’est le fun ». De cette facilité à transformer le difficile surgit une phrase : « t’as-tu essayé toi ». Est-ce que vos personnages masculins ne sont pas dans la compréhension ?
Geneviève Albert : Je ne dirai pas de l’incompréhension, car c’est volontaire pour eux. Pour ces deux personnages masculins, c’est de banaliser la chose.
James-Edward Métayer : Ils banalisent la situation, car ils ne sont tous simplement pas capables de se mettre dans la peau de ces filles.
Maxime Gibeault : Ils s’en moquent clairement, car si ce n’est pas Noémie, ce sera une autre. Cela va jusqu’à dire, dans une scène, que la face est coupée sur le site, ça montre juste le peu de considération. Ils les considèrent comme des objets. Ils les méprisent, pour moi ces gens sont des malades.
Emi Chicoine : Pour eux ce sont des machines à argent.
Geneviève Albert : Les filles sont cassées à petit, à moyen, à long feu.
Le film qui m’a renversé, le fera pour vous à partir de demain, dans les salles obscures de La Maison du Cinéma.