Une critique sans trop divulgâcher.
Cette douce bulle du cirque.
Un monde où nous avons voulu vivre lorsque nous étions petits, pour côtoyer les multiples merveilles.
Un monde où l’émerveillement était un puissant moteur et un mot d’ordre. L’ordre de provoquer et d’apporter un bonheur ne sont pas choses aisées et pourtant…
L’univers du cirque l’a procuré et le procure aux petits, comme aux grands enfants.
Ce simple sentiment de sentir que la liberté d’être, de créer, de rêver se trouve chez les saltimbanques. Qu’en est-il d’une enfant, née dans cet univers, qui rêve d’une vie normale ?
L’histoire de Mon Cirque à moi amène une jeune adolescente, Laura, sans cesse en tournée avec son père Bill, à rêver d’une vie dont les choix sont propres à elle, au risque de le froisser.
Le journal Entrée Libre s’est entretenu avec la réalisatrice Miryam Bouchard lors de son passage à Sherbrooke :
Souley Keïta : Le film souffle sur les premières images, les premiers sons, une certaine légèreté pour plonger dans la désillusion d’une liberté qui n’existe pas vraiment, est-ce que, dans ce monde du cirque, Laura est dans une émancipation sans liberté?
Miryam Bouchard : Oui ! Elle est probablement adulte trop tôt, donc également responsable trop tôt. Elle se pose sans doute des questions que l’on ne devrait pas se poser à son jeune âge. Laura a un pied dans l’enfance, un autre dans l’adolescence.
Je trouve cela bien d’en parler, car je me disais que nous allons proposer une fable, tout d’abord, car personne ne va croire que c’est possible de vivre dans une roulotte avec un père clown. Je pensais à des films comme Captain Fantastic (de Matt Ross) ou sinon, dans un autre registre, à Monsieur Lazhar (de Philippe Falardeau). Est-ce que cela se peut, vraiment, d’engager un professeur qui n’a pas de diplôme d’enseignement ? Je pense aussi à La Famille Bélier (de Éric Lartigau), cette belle voix (Louane) peut-elle arriver dans une famille de sourds ?
Oui, au début du film, nous nous sommes dit qu’on allait donner l’impression que tout est beau, tout est joli. Cela passe par les sons qui arrivent en premier, des sons doux comme le chant des oiseaux, mais cela n’existera plus après dans le film, car nous mettons l’emphase sur le fait qu’elle habite dans un quartier qui est difficile où il y a des disputes, etc. Il y a un travail sonore pour établir cela.
Souley Keïta : Chez ce personnage, interprété avec brio par Jasmine Lemée, vous installez une routine dans son univers qui ruine sa volonté d’épanouissement, sa soif de toucher autre chose de ce monde, est-ce que le problème de Laura est de ne jamais s’affirmer et de subir ?
Miryam Bouchard : Le problème de Laura est qu’elle n’a pas de voix. Elle ne peut pas prendre des décisions donc elle n’a pas de voix. Elle fait partie d’un horaire bien précis que son père a établi comme dans un spectacle. C’est lui qui décide de tout dans sa journée à elle. Telle période pour l’entraînement, telle période pour les devoirs, telle période pour le spectacle. Laura s’insère là-dedans et pour Bill, c’est sa manière, un peu malhabile, mais avec quand même ce plein d’amour, d’offrir un encadrement à sa fille. Elle est à un âge où elle a besoin de tester des limites, à un âge où elle a besoin de briser cet encadrement pour se trouver. Ceci est normal, car c’est le début de l’adolescence donc il y a une nécessité de sortir de cette case.
Souley Keïta : J’aimerais revenir sur Bill. Peut-on dire que malgré son ouverture, sa liberté, Bill est d’abord quelqu’un d’enfermé dans ses propres vérités ?
Miryam Bouchard : Bien sûr, car quand on dit que l’on est libre, il faut savoir qu’il y a de nombreux règlements à la liberté. Il faut respecter de nombreuses choses pour être libre et puis finalement toutes ces règles font que nous sommes tout le temps régi par un dogme. Il en va de même pour Bill. On a cet élan en tant qu’être humain à vouloir décider, mais ceci est utopique.
Souley Keïta : Vous mettez en opposition deux principes : le principe du plaisir et le principe du travail/sérieux.
Miryam Bouchard : Notamment dans une des scènes du film, il y a cette opposition entre la réglementation, la Loi et le clown. Pour ma part, dans cette scène, je ne veux pas cadrer là-dedans, car le personnage, interprété par Patrick Huard, va trop loin. Plus petite, je ne comprenais pas ce dépassement-là. Je ne saisissais pas l’importance dans l’entêtement que pouvait avoir mon père. J’avais juste envie qu’il soit comme les autres papas. À cet âge-là, on le voit comme cela.
On a bien sûr éliminé beaucoup de passages de la réalité pour en faire une fiction dans cette scène, mais il était important, pour moi, qu’il y ait un dépassement et que Mandy, puis Laura soient témoins de cela.
Souley Keïta : Vous mettez beaucoup l’emphase sur la situation précaire de l’école publique.
Miryam Bouchard : D’abord, on peut être fier d’avoir mis l’éducation gratuite, mais là, en tant que société, nous avons une décision à prendre, car il est vrai qu’il n’y a plus de livres dans les bibliothèques des écoles. Il est vrai qu’il y a des problèmes d’aération. Il est vrai qu’il y a de l’amiante dans les murs. Il est vrai que les gymnases sont convertis en salle de cours, car il y a trop d’élèves. Il est vrai que les professeurs sont dépassés. La situation actuelle est difficile, due au manque de budget pour l’éducation, pourtant l’éducation est l’avenir d’une société.
Souley Keïta : Au travers de ce film, nonobstant les désillusions de Laura, on ressent parfois de la mélancolie, pourquoi ?
Miryam Bouchard : Je pense que c’est lié à mon enfance, car j’ai adoré cette période. C’était magique. Je ressens une profonde mélancolie par rapport à cette période, puisque c’était unique. Je n’avais pas envie de faire un film mélancolique ou nostalgique, mais c’est sûr que les choix de couleurs rappellent une autre époque. Il y a également la musique.
Je l’ai fait par instinct de faire ressortir la mélancolie.
La réalisatrice Myriam Bouchard, qui nous a ému, qui nous a touché ou fait rire avec la série M’entends-tu ?, s’illustre pour la première fois dans un long-métrage. Un long-métrage réussi.
Réussi, notamment dans les émotions transmises aux spectateurs. Myriam Bouchard a su trouver le parfait équilibre dans cette comédie dramatique, sans trop en faire ou peu en faire.
Nous nous accrochons à ce film comme un enfant devant le spectacle qui lui est offert.
Le subterfuge est génial dans ce film faussement léger, car il nous amène à quelque chose de plus mélancolique, à des drames plus profonds ou à une volonté émancipation de la jeune Laura.
La prouesse est à partager avec ses actrices et acteurs, Patrick Huard et ses intenses émotions. Robin Aubert, qui nous arrache des rires (comme à son habitude). Sophie Lorain, attachante et drôle, mais également, la talentueuse Jasmine Lemée.
Cette belle comédie dramatique sera, dès vendredi 14 août 2020, dans les salles obscures de La Maison du Cinéma.