L’auteur est journaliste retraité, ancien coordonnateur du journal, et membre du Comité du 50ème anniversaire de Droit de Parole.
Ce texte a été publié dans le journal Le Devoir du 30 août, dans la section « Libre Opinion ». Nous reproduisons la version intégrale publiée sur le site internet du Devoir.
Fondé à l’automne 1974 par des membres de groupes populaires de la Basse-Ville de Québec, le journal Droit de parole, plus vieux journal communautaire au Québec, soulignera cet automne son cinquantième anniversaire, rien de moins.
Eh oui, l’épopée de Droit de parole, c’est un demi-siècle à jouer les chiens de garde de la démocratie en portant les revendications communautaires et citoyennes avec des dizaines de milliers de textes, photos et dossiers sur des enjeux locaux concernant l’environnement, l’aménagement urbain, la santé mentale, le logement, la défense des droits des femmes, les immigrants, les consommateurs, les travailleurs, les détenus, les minorités sexuelles, les étudiants et les citoyens.
Un demi-siècle à distiller une contre-information inspirée des valeurs de la gauche universelle tout en s’adaptant, à chaque demi-génération, aux besoins et aux revendications précises des nouveaux groupes en tenant compte, le plus possible, des modes d’expression et
des particularités de chacun. Tout un exercice, parfois, que celui-là !
Cinq décennies, donc, pendant lesquelles les membres de Droit de parole ont su vaillamment résister à l’entrisme des groupes marxistes de l’époque, aux différentes poursuites judiciaires (Ville, promoteurs immobiliers, groupes privés), aux sirènes de la politique partisane, aux nombreuses baisses de subvention des différents gouvernements, aux aléas de la bureaucratie ministérielle, au virage numérique, à l’envahissement des réseaux sociaux, à la pandémie de COVID-19, à l’embargo des GAFAM, et quoi encore…
Contrepoids
Cinquante ans, imaginez ! En fait, et sans trop se la jouer pompeuse, question résilience et durée, ce sont tout de même cinq décennies pendant lesquelles les différentes équipes du journal tabloïd (distribué gratuitement dans les quartiers centraux de Québec) se sont relayées pour faire un contrepoids utile et nécessaire aux six différentes administrations municipales qui se sont succédé depuis les années 1960.
Un rôle de critique qui s’est avéré crucial pendant des événements majeurs, tels le bouleversant réaménagement du centre-ville de Québec au cours des années 1960-1970, le Sommet Reagan-Mulroney de 1985, le Sommet des Amériques de 2001, l’arrivée de la radio poubelle, l’opération Scorpion (prostitution juvénile), le dossier Rabaska, le port de Québec et sa pollution, le tramway et le troisième lien, autant de dossiers brûlants pour lesquels le journal a souvent pu exprimer et dénoncer ce que les médias traditionnels ne pouvaient ou n’osaient pas faire.
Ici, est-il besoin de rappeler que nombre de ces dossiers, qu’il s’agisse de rareté de logement, d’enjeux de mobilité durable, d’embourgeoisement, d’environnement, de santé mentale et d’itinérance, sont plus que jamais d’actualité ?
Financement
Cela dit, comme pour les grands médias traditionnels, les temps sont durs aussi pour les médias alternatifs et communautaires, et Droit de parole a beau se targuer d’être un journal résilient, progressiste, durable et polyvalent, il n’échappe pas non plus à plusieurs contraintes et défis de taille : baisses de subventions du ministère de la Culture et des Communications, boulimie publicitaire des GAFAM et raréfaction des annonceurs locaux, relève plus difficile à trouver, concurrence des réseaux sociaux combinée au blocage de Meta, bref, par moments, on dirait que tout concourt à notre mise au rancart.
Fort heureusement, le journal peut compter sur un lectorat fidèle qui apprécie le produit ainsi que sur une base militante et bénévole qui a toujours fait des pieds et des mains pour garder le journal en vie. Fort heureusement encore, il y a une belle relève dans le communautaire, et politiquement parlant, la région ne se résume pas qu’à son « mystère de droite », loin s’en faut.
Autrement, l’argent étant le nerf de la guerre, il faut absolument que l’actuel gouvernement augmente notre financement de base et comprenne que les médias communautaires ne sont pas utiles qu’en temps de crise pour sa publicité (comme pendant la pandémie) ; ce faisant, il doit impérativement leur consentir sur une base régulière au moins 4 % de son volume publicitaire. Cette promesse du 4 %, annoncée une première fois en 1995 par Jacques Parizeau, a été reprise ensuite par les gouvernements successifs, mais ne s’est hélas jamais concrétisée.
Les bottines doivent suivre les babines ! C’est l’avenir des médias communautaires qui se joue. C’est notre accès à une information locale libre qui en dépend. C’est la garantie d’une saine et meilleure démocratie. Longue vie à Droit de parole et aux médias communautaires et alternatifs du Québec !