L’obligation de réussir

Date : 28 février 2019
| Chroniqueur.es : Hubert Richard

La Corporation de développement communautaire (CDC) entre dans la phase finale de son projet de Transport Solidaire : la tarification solidaire. Malheureusement, pour les AmiEs de la Terre de l’Estrie, notre proposition d’une gratuité hors heures de pointes, afin d’optimiser le rôle de la STS dans l’amélioration de notre mobilité collective, se retrouve à être classée dans la même filière, coincée sous la pile du dossier Transport Solidaire. Du moins, c’est ce que Madame Évelyne Beaudin, présidente du Comité du développement social et communautaire, a osé me répondre lors du dernier conseil municipal (je dis «osé», car la présidente du conseil impose un bâillon sur la gratuité!). C’est ce que nous craignions. Les AmiEs ont sollicité, en vain, l’appui de la CDC, de peur d’être aspiréEs dans leur vortex anti-gratuité… avec l’excuse que la STS travaille déjà avec la CDC.

Je peux comprendre la position de la CDC, de chercher à protéger leur projet. Car, ils ont travaillé fort pour responsabiliser la STS envers le sort des plus pauvres. Il faut dire que pour la STS (et l’ensemble des sociétés de transport du Québec), la tarification sociale est une question de redistribution de la richesse et doit, par conséquent, être traitée par les gouvernements et non par les sociétés de transport. La STS considère même le transport en commun, en tant que tel, comme une mesure sociale, justifiant leur refus d’en faire plus comme n’étant point de l’inaction sociale.

C’est dans ce contexte que la CDC a réussi à réunir quelques dizaines de milliers de dollars pour obtenir des titres de transport à moitié prix. La STS et la CDC se félicitent aujourd’hui d’avoir fait augmenter l’enveloppe de ces billets à moitié prix à 70 000$. C’est honorable de leur part d’avoir réussi à obtenir la participation de la STS en l’absence de programmes pour compenser ces réductions. La CDC a réussi à vendre l’idée qu’en offrant des titres de transport à moitié prix, cela allait permettre d’augmenter les revenus de la STS, en leur amenant des personnes qui, autrement, ne prendraient pas le transport en commun. Or, pour une réelle tarification sociale, c’est plus complexe! La majorité de la clientèle de la STS vivent avec des bas revenus et pourraient se qualifier pour obtenir une réduction tarifaire. Le modèle de la CDC pourrait fonctionner si une plus grande majorité de gens pauvres se privaient, présentement, de prendre le transport en commun pour des considérations économiques. À mon avis, la réalité, c’est que les excluEs du transport en commun sont en trop faible nombre pour en arriver à compenser, à elles seules, la réduction tarifaire. Il va falloir que le gouvernement y mette de l’argent. Et cela risque de prendre du temps!

À mon avis, l’enjeu d’une tarification sociale au Québec doit s’inclure dans la lutte aux changements climatiques. En réalité, le transport en commun souffre depuis trop longtemps d’être perçu comme un simple service humanitaire. L’urgence climatique proclamée par différentes villes dont Sherbrooke, propose un agenda environnemental prioritaire dont la finalité, pour le transport en commun, serait de l’amener à un usage plus commun, en bonifiant grandement son niveau de service. Il serait logique de penser financer ces mesures en minimisant les réductions tarifaires, mais l’un des caractères inhérents au principe d’urgence, en plus de la notion de temps, c’est l’obligation du succès. Autrement dit, réussir à amener un changement dans notre culture de mobilité en faveur du transport actif et collectif, et ce, le plus rapidement possible! Et cette obligation du succès est, à mon avis, incompatible avec l’obligation de maintenir une barrière tarifaire qui puisse ralentir ou compromettre ce changement.

À l’exemple du projet de la CDC, le projet d’une gratuité hors heures de pointes a été pensé afin que la Ville puisse agir sans attendre que le gouvernement ponde un programme. Si le coût d’une gratuité totale du transport en commun pour la Ville a été évalué à plus de 30 millions par année, celui d’une gratuité HHP frôlerait plutôt le simple million. En se bornant à traiter notre projet comme un moyen pour aider les personnes pauvres à avoir accès au transport en commun, Madame Beaudin fait peut-être plaisir à monsieur Christian Bibeau, mais, elle oublie que le développement social et communautaire doit pouvoir se conjuguer avec développement durable, et obligatoirement inclure une réduction de la voiture en solo dans les activités générées par ce développement. D’autant plus que ces activités doivent probablement, très majoritairement, générer des déplacements hors heures de pointes, tout comme les activités culturelles, ou de sports et loisirs.

Avec la gratuité HHP, la STS se retrouverait à promouvoir son service en invitant la population à l’utiliser gratuitement à l’extérieur des heures de pointes. Et avec une tarification solidaire, celle-ci pourrait fidéliser une partie de cette nouvelle clientèle par une réduction des titres donnant accès à l’ensemble du réseau. Une combinaison de ces deux mesures, avec une bonification de l’offre de service pour accompagner l’augmentation de l’achalandage donne beaucoup plus de chance de populariser le transport en commun… une popularité que la STS se doit absolument d’atteindre.

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