«Une vie humaine n’est pleinement accomplie que si l’homme parvient à libérer son énergie créatrice et à se donner les moyens, au milieu de ses contemporains, de penser le vivre-ensemble.»
— Cornélius Castoriadis
Pour faire face aux nombreux enjeux sociaux, politiques, environnementaux du 21e siècle, de nombreuses communautés réalisent des projets novateurs et porteurs d’espoir ! Je pense qu’il est important de célébrer et de diffuser les réussites, afin d’inspirer la création de plus d’initiatives ! Je vous décrit ici les projets novateurs que j’ai eu la chance de voir à l’oeuvre l’été dernier en Angleterre.
La création d’une contre-culture
Un élément important pour apporter un changement de comportement, est le changement de culture. Si l’engagement social et communautaire fait partie intégrante de la culture d’un village, tous et toutes mettront la main à la pâte et créeront ensemble les rouages d’une économie solidaire et alternative. En effet, de nombreuses personnes choisissent « d’utiliser leur temps et leurs savoir-faire en dehors du marché » et re réutiliser des systèmes ou de la matière de façon originale ! Par exemple, la ville de Totnes en Angleterre abonde de groupes d’action locale ! Les habitants ont développé un important réseau d’initiatives citoyennes, communautaires et agricoles, et ce, principalement sur une base bénévole ! On retrouve des activités de récupération de nourriture et de redistribution aux populations vulnérables, l’organisation de repas collectifs (pot-luck) pour favoriser l’intégration de toutes et tous dans la communauté, un homme qui offre ses services pour réparer les vélos en échange de gâteaux (dénommé Mr Bike), une visite annuelle des maisons écologiques présentes dans le quartier, des journées de corvées sur les fermes biologiques de la région en échange de légumes, des ateliers participatifs d’échanges de connaissances sur des sujets divers, des échanges de services, etc. Ces pratiques constituent un modèle contre-culturel d’économie hors – marché, soit des activités ayant une valeur économique réalisées à l’extérieur des délimitations capitalistes habituelles. Ainsi, « quand les gens soustraient leur temps et leur savoir-faire au marché et décident par eux-mêmes de l’emploi de leurs forces, ils court-circuitent la logique de l’économie de marché qui réponse sur la croissance infinie ». Cette forte présence de l’économie « hors- marché » au sein de la culture locale du village de Totnes fait en sorte que les gens apprécient et valorisent l’implication communautaire. Celle-ci devient même une habitude, un réflexe pour la majorité des habitants.
Le financement communautaire
Un exemple concret de pratiques économiques contre-culturelles à Totnes est le développement de plateformes qui favorisent l’émergence d’entrepreneurs locaux. Souhaitant développer une certaine autonomie financière du village, un des objectifs du projet de Transition était d’augmenter le nombre d’entrepreneurs locaux et de travailleurs autonomes. Pour ce faire, plusieurs ressources ont été mises en place, dont l’événement annuel Local Entrepreneur Forum ainsi que le centre de ressource REconomy Center. Ces initiatives qui promeuvent l’émergence de la créativité chez les entrepreneurs et proposent un modèle différent à celui du patronat traditionnel améliorent la cohésion sociale et favorisent l’émergence d’une vie socioéconomique riche.
Le forum d’entreprenariat local consiste en une soirée festive où 5 jeunes entrepreneurs présélectionnés pour l’originalité et le réalisme de leur projet présentent à une assemblée citoyenne leur projet d’entreprise. Le futur entrepreneur énumère ses objectifs, ses besoins et sa vision à une assemblée citoyenne. Les membres de l’assemblée agissent ensuite comme des « dragons », et tentent de répondre aux besoins identifiés comme étant primordiaux pour permettre l’émergence du projet, en accordant des montants d’argent ou des ressources aux projets en lesquels ils croient. Certains prêtent d’importantes sommes avec un taux d’intérêt et un contrat écrit, certains font de petits dons, et certains offrent du temps ou des prêts d’outils (brouette, tracteur, camionnette, etc.). De cette façon, des partenariats entre plusieurs entrepreneurs locaux peuvent aussi être créés, par exemple : si un futur entrepreneur présente un projet de construction et a besoin d’importante quantité de bois, un entrepreneur local déjà bien établi pourra lui fournir des matériaux. Ainsi, on crée un circuit court. De plus, en prêtant un montant d’argent à un voisin ou à un membre de la communauté, on investit dans l’économie locale sans utiliser les canaux officiels de financiarisation. Bien entendu, la proximité des gens et la cohésion sociale sont des facteurs de réussite importants de l’initiative ; cette dernière fonctionne bien principalement car les gens se font confiance.
Cette pratique novatrice de financement communautaire vise à « faire porter le fardeau du démarrage d’entreprise à l’ensemble de la communauté, et non à un seul individu ». De la même façon que les adhérents de paniers de légumes biologiques partagent les risques des cultures et des récoltes avec les fermiers, la communauté partage les risques du lancement d’entreprise avec les nouveaux entrepreneurs, parce que l’ensemble de la communauté profitera des services qui seront créés par cette nouvelle entreprise. La communauté gère elle-même ses investissements à l’interne en fonction de ses besoins et des projets qu’elle souhaite voir émerger ! Génial, non ?
Le REconomy center
En plus du financement communautaire, Totnes dispose d’une organisation citoyenne entièrement dédiée à l’économie locale : Le REconony Center. Ce centre multifonctionnel est géré par un groupe de travail appelé « nouvelle économie », qui s’inscrit dans le mouvement de la Transition. Les objectifs sont de contribuer au lancement de nouvelles entreprises locales ainsi qu’au bon fonctionnement des entreprises existantes, afin de permettre aux gens de se réaliser dans la mise sur pied d’un projet stimulant, tout en étant rémunérés pour le faire.
Agissant comme incubateur d’entreprise, le centre contient des espaces de coworking ainsi des ressources documentaires sur le lancement d’entreprises durables. De plus, des conseillers en entrepreneuriat durable et collectif offrent bénévolement des séances de consultation pour aider les nouveaux entrepreneurs dans leurs projets. Une multitude d’activités est aussi organisée pour promouvoir les initiatives existantes, comme des circuits de marche guidée empruntant des parcours thématiques stratégiques (route des jardins urbains, des microbrasseries locales, de l’artisanat) pour faire découvrir l’économie locale tant aux locaux qu’aux touristes. Le centre est aussi en charge de la création d’outils distribués aux citoyens pour les guider dans leur consommation locale (guides, carte des cafés indépendants, etc.). Le personnel du centre offre des conférences et ateliers sur les thématiques de l’économie circulaire et solidaire, notamment en accueillant des groupes scolaires ou citoyens pour réaliser des discussions et formations spécifiques.
La monnaie locale
Depuis 2007, Totnes possède sa monnaie communautaire locale : le Totnes Pound. Cette initiative est principalement gérée par le comité « nouvelle économie » du mouvement TTT, et a comme objectif de favoriser les circuits courts ainsi que la consommation locale. Un Totnes pound équivaut à une livre, ce qui implique qu’on peut à tout moment échanger sa monnaie au REconomy center. Les commerces qui acceptent les échanges commerciaux avec cette devise l’affichent dans leur vitrine à l’aide d’un symbole autocollant. Afin d’être autorisé à apposer ce symbole, le commerce doit répondre à plusieurs critères : seuls les commerces et entreprises locales et responsables font partie du réseau de la monnaie locale, les grandes chaînes en sont exclues. Cette pratique encourage la monnaie à ne circuler que dans une zone géographique restreinte, stimulant ainsi l’économie locale. De cette façon, la monnaie locale contribue à la résilience en permettant :
« Le renforcement communautaire (en réactivant et améliorant les réseaux sociaux locaux) ; le développement d’un autre système de valeurs (remettant en cause les valeurs dominantes des classes, du genre et de la nature) ; la promotion de moyens de subsistance alternatifs (la plus grande autonomie dans l’activité productive) ; l’écolocalisation (l’implantation locale motivée de façon écologique et politique des réseaux de production et de consommation. » (Ditter, 2015)
Et au Québec ?
Plusieurs groupes se penchent aussi sur la possibilité d’avoir une monnaie locale à Québec, à Montréal, en Gaspésie, à Sherbrooke, et j’en passe !
Bref, l’alliance de la créativité à l’engagement citoyen mène toujours à la création de projets originaux et positifs ! J’ai été fort inspirée par ces découvertes et je me dit qu’ensemble, il est possible d’avoir une influence positive sur notre communauté et de participer à transformer les pratiques économiques traditionnelles !