Les Météorites

Date : 8 mai 2024
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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La vibrante, l’attachante série de 10 épisodes de Nadia Louis-Desmarchais est disponible depuis mars sur la plateforme Tou.tv.

Une critique sans trop divulgâcher.

Enlacer la lumière.

Très souvent, trop souvent, on a enfermé dans un univers sombre les drames sur l’enfance ou l’adolescence au sein de la DPJ. Des récits qui appuient sans cesse sur un inconscient frein de déceler une petite parcelle de lumière dans la vie de cette jeunesse mise de côté. On fuit les drames, pourtant comme dans tout un chacun, il y a ces hauts et ces bas, des peines et des joies, du sombre et de la lumière. Le cinéma, la série doivent aussi instiller même la plus parcelle de lumière, car elle existe même dans le drame. C’est cette autre vision qu’appose la réalisatrice qui nous conte, avec bienveillance et délicatesse, les morceaux d’une enfance difficile, mais tout aussi lumineuse dans sa famille d’accueil.

Mettre des mots, des images sur les réalités abruptes tout en essayant de ne pas repousser les regards qui se déposent sur une œuvre, c’est de cette manière que j’entrevoie dans  les œuvres de Nadia Louis-Desmarchais.

En observant les œuvres précédentes, et également la dernière, il y a une lecture précise de ce vers quoi tend le langage cinématographique, la stabilité scénaristique en mettant en image des réalités difficiles, que l’on enlace volontiers, car finalement nos vies peuvent ressembler à cela comme celle de personnes que nous connaissons, de près ou de loin. J’aime l’idée qu’inconsciemment ces œuvres posent la question suivante: doit-on détourner le regard du drame de nos vies ? NON! Doit-on craindre de briser notre sensibilité ? NON!

La série Les Météorites n’est pas la hantise de savoir ce qui va nous tomber sur la tête avec ces enfants, mais plutôt de comprendre que ce qui suit cette jeunesse, c’est la traînée lumineuse d’une météorite qui nous irradie de douces émotions.

Entrée Libre a eu, encore, l’immense joie de plonger dans l’univers attachant, lumineux de Nadia Louis-Desmarchais qui s’est livrée à nos questions :

Souley Keïta : Premières images, première question. Dans un récit où l’on s’évertue de remonter dans les troubles passés, à contrario de l’ultime épisode, tu instaures l’idée qu’il faut savoir regarder en avant et saisir le bonheur au moment présent, même le plus infime?

Nadia Louis-Desmarchais : Chacun des épisodes commence avec un retour dans le passé, mais je ne crois pas qu’il y a un retour pour montrer que les personnages n’étaient pas bien dans leur passé. Malgré la violence dans les flashbacks, je les ai filmés avec de la douceur, car avant tout il y a la nécessité de comprendre l’origine d’une blessure. Pour comprendre cette blessure, il faut être capable de la regarder en face. Pour moi, il était important d’avoir cela pour permettre au spectateur de comprendre où est-ce qu’il s’en va. Avant tout, c’est de comprendre ce qui forge ces personnages, les traumas qu’ils portent. À l’épisode 10, je voulais une ouverture différente des autres épisodes, un peu comme un nouvel élan d’espoir. J’avais envie que l’on ressente autre chose avec cette famille et que leurs enjeux ne se trouvent plus dans le passé, mais dans le futur. Un présent, un futur qui vont casser le trauma et inconsciemment avec cette ouverture, sans doute que je voulais rompre cela, car le passé s’inscrit non plus dans les traumatismes, mais dans la solidarité de ces sœurs et ce frère qui font front commun.

Souley Keïta : Je m’attarde sur le titre Les Météorites. Dans un titre qui évoque pour moi une polysémie, est-ce que pour un enfant abandonné, c’est de ne jamais savoir où l’on va tomber, mais aussi pour une famille d’accueil, de ne pas savoir sur quels traumas de l’enfant on va tomber?

Nadia Louis-Desmarchais : Le titre vient exactement de cela, un peu à l’image de la trajectoire de ces enfants de la DPJ (Direction de la Protection de la Jeunesse). Une météorite traverse le ciel, c’est éphémère et on ne sait pas où elle va atterrir, comme ces enfants et adolescents. Tu ne sais pas dans quelle famille tu vas être, combien de temps tu vas rester au sein de cette famille. Ce n’est pas le hasard, mais en tant qu’enfant tu as cette impression. Pour ma part, je m’estime heureuse, car j’ai eu la chance de faire une seule famille, de ce placement de deux semaines, comme on peut le voir dans un épisode, ce placement est devenu toute une vie avec ma famille d’accueil. Finalement, j’aurais pu avoir une vie autre, finir ailleurs, en faisant plusieurs familles. Un des éléments qui était au cœur de ma démarche, lors du processus d’écriture de la série, était de voir ce que cela représente d’être une famille d’accueil, car finalement tu ne sais pas quel enfant tu vas recevoir, avec quel bagage. Oui il y a peut-être une petite description générale de l’enfant, mais tu n’as aucune idée de ce qu’il a traversé. Il y a des craintes sur les capacités à aider au mieux l’enfant, mais comme dans la famille Lachance, il y a Alexa pour laquelle c’est un peu plus difficile, mais pour les quatre autres enfants ce sont de magnifiques surprises. Il ne faut pas voir la famille d’accueil comme celle qui va avoir uniquement des enfants turbulents, non, c’est peut-être les plus belles relations qu’elles auront sans doute dans leur vie parce que ces enfants-là sont tellement résilients, lumineux, forts malgré tout ce qu’ils ont traversé. Je voulais vraiment mettre un point d’honneur à cet aspect poétique, lumineux et heureux dans cette famille.

Souley Keïta : En plongeant dans ton récit, on voit que c’est daté, en installant à chaque fois une année, pourtant, il y a une date en particulier dans l’épisode 9, avec un mois et une année : Octobre 1998. Peux-tu nous en dire plus?

Nadia Louis-Desmarchais : C’est le seul flashback qui est accompagné d’un mois pour une raison de bien placer la temporalité. Il faut savoir que les deux sœurs ont été placés en septembre 1998 dans le premier épisode. Le spectateur ne sait pas la temporalité forcément, mais pour moi, il était important de l’installer. À la lecture, cela donne un indice de plus pour comprendre le temps qui passe. Par rapport à ce flashback, pour ma part, c’est une des scènes qui me touche particulièrement, car cela s’est véritablement passé. Il y a plusieurs éléments qui sont attachés au réel, mais je pense que celui-ci est plus solennel, tout est plus lent dans le montage, plus posé. Il y a cette douceur qui ressort de ces deux femmes qui se confient la garde des deux enfants. C’est la première fois qu’elles se voient. 

Souley Keïta : Il y a quelque chose qui ressort dans ton langage cinématographique. À travers le regard des enfants et adolescents, la travailleuse sociale est ressentie comme une ennemie, une vision instaurée par des lieux étouffants, par des couleurs ternes.

Nadia Louis-Desmarchais : Un élément qui était central dans ma position par rapport à la DPJ, c’est que cela allait passer par mon personnage de la travailleuse sociale. C’est une femme qui est avenante, qui a des ressources, on comprend qu’elle a de l’expérience et qu’elle sait ce qu’elle fait, mais elle est débordée dans un système où elle représente la DPJ. Que ce soit un personnage attentionné, que ce soit la meilleure des personnes, elle est l’image de cette structure qui est parfois épeurante pour les jeunes. Il y a cette peur chronique pour un enfant qui va se faire questionner sur l’ambiance à la maison et se dire que si cela se passe mal, l’enfant va être envoyé ailleurs. On ressent cette personne de la DPJ comme une espèce de juge moral et finalement l’enfant, la famille d’accueil ressentent une nervosité constante au moment de l’arrivée du travailleur social. Il y a ces phrases qui découlent de cette visite comme “il faut qu’on paraisse bien.”, “il faut que la maison soit propre.”, etc. Je voulais que l’on ressente cette nervosité avec cette arrivée. Il y a l’exemple de la rencontre entre Alexa et la travailleuse, où cette jeune adolescente ne voit pas la nécessité de ce travail et que cela crée uniquement un conflit. La première fois que l’on voit la travailleuse sociale, le lieu est très sombre, les couleurs sont ternes et on est en ultra close-up pour que l’on sente le poids de cette rencontre. Il y a aussi la scène avec les deux sœurs lorsqu’elles sont dans le centre de visite, dans ce lieu où elles sont écrasées par la froideur du système. Des lieux qui s’opposent à la chaleur des scènes avec la famille d’accueil. Ce sont aussi les lieux reliés à la DPJ qui vont être particulièrement froids, ressemblant à des cliniques, des endroits où l’on se sent enfermé et c’est quelque chose que j’ai vécu, des endroits où je n’aimais pas aller. Des lieux qui me ramenait à ma condition, celle d’être une enfant de la DPJ.

Souley Keïta : J’aimerais que l’on s’interroge sur la genèse de ta série. Qu’est-ce qui t’a animé? Ayant vécue cette situation, est-ce qu’il y avait une nécessité de court-circuiter le trop grand nombre de films et de séries qui renvoie toujours à un unique enchaînement de drames? Est-ce qu’il était enfin temps d’apporter un récit coloré de doux moments en famille d’accueil, même s’il y a des incertitudes au quotidien?

Nadia Louis-Desmarchais : Absolument! C’est le moteur de ma série. Pendant la pandémie, j’ai commencé à penser à cette série et j’avais envie de faire cela, car je suis une grande consommatrice de séries. J’adore la liberté scnénaristique que cela permet en étant toujours capable d’embarquer dans pleins d’enjeux. J’avais envie d’avoir un projet plus dense et j’ai commencé à repenser à mon enfance qui a été abracadabrante. Il y a plein d’éléments de ma vie que je n’ai pas mis, car le spectateur n’en reviendrait pas. C’est fou, car avant, les seules affaires que je voyais sur la DPJ, c’était comme le documentaire Enfants de la DPJ, avec cet enfant qui s’accroche à sa peluche et cette ombre en arrière. Ce sont souvent des histoires très grises, des films très sombres. Si ce ne sont pas ces histoires, ce sont souvent d’autres récits où l’adolescent termine dans la prostitution, dans la drogue, etc. Autant de récits qui sont déprimants. Finalement, cela n’aide pas puisqu’il y a énormément de jeunes qui sont placés dans les mains de la DPJ, car en ayant toujours ce côté misérabiliste cela n’aide pas les gens à devenir famille d’accueil, cela n’aide pas les gens à aider le système de la protection de l’enfance. J’ai eu pendant un certain temps dans mon écriture, écriture dans laquelle s’incorpore des expériences personnelles et difficiles, une difficulté à écrire ma fin. Une fin qui n’apparaissait pas comme lumineuse, mais il y a eu un éclair pour arriver à ce que le spectateur va voir dans la série.

Oui, je voulais raconter une histoire lumineuse, sans pour autant enlever les enjeux raciaux, les enjeux identitaires, la violence familiale, la consommation car finalement cela fait partie de la complexité de la vie humaine. J’ai l’espoir que cette série ouvrira la porte à des gens qui pourraient devenir des familles d’accueil. L’histoire de Alexa est plus difficile, mais il y a celle de Lena, Maëlle, Lou et Max qui sont très belles.

Souley Keïta : À travers ta fin de série, on sent une fin ouverte, on sent de nombreux éléments sur lesquels tu peux rebondir dans une deuxième saison et nous conter les récits de ces personnages très attachants.

Nadia Louis-Desmarchais : C’est cela que j’aime des séries, cette capacité de l’étaler sur plusieurs saisons. Une des séries qui a une part importante dans ma vie, c’est la série This is us, où chaque saison t’amène au cœur d’un nouveau personnage, d’une nouvelle intrigue, d’un nouveau membre dans la famille, etc. J’avais vraiment cette envie de voir l’histoire de ma série se déployer au-delà d’une seule saison, avec la volonté du spectateur de savoir ce qu’il s’en vient pour cette famille, dans leurs aventures au quotidien. Ce qui me rend fière, c’est d’avoir les sollicitations des gens qui ont vu la série et qui me demandent ce qui va arriver aux personnages auxquels ils se sont attachés. Je trouve que c’est la beauté du cinéma, des séries notamment lorsque tu t’attaches au personnage en pensant qu’il existe.

 

 

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