Nous aurions dû publier ce texte lors de la St Valentin. Mais quoi de plus convenu voire rasoir pour parler d’amour que cette maudite date faite uniquement pour enrichir les fleuristes? Surtout pour parler d’amours non-conventionnel, c’est-à-dire qui sortent du classique et balisé couple hétérosexuel, pour embrasser tout le spectre des sentiments qui font que des êtres humains se reconnaissent et se rapprochent jusqu’à l’intime. Ainsi, rien de mieux, de neuf, et de frais que le printemps pour raconter les histoires des belles personnes qui ont généreusement accepté de nous partager une part de leur intimité.
Éléna nous accueille chez elle – à deux mètres de distance de part et d’autre de la table – très emballée à l’idée de démystifier certaines pratiques amoureuses. « Je me définis comme polyamoureuse, non-monogame consensuelle, et ma philosophie est celle de l’anarchisme relationnel. Sous ce vocabulaire se cache une réalité simple : je vois plusieurs personnes avec qui je construis individuellement une relation qui peut aboutir à la sexualité ou à l’amitié ». Barbara, jeune femme lesbienne et polyamoureuse elle aussi se présente comme « engagée dans deux relations amoureuses ». Et de préciser : « il n’y a pas de hiérarchie dans mes amours, pas de partenaire primaire ou secondaire. Chacune de mes amoureuses a droit au même espace et à la même attention et implication de ma part. Dans ces deux relations, je prends le temps pour échanger sur nos besoins et nos limites respectifs ». Samuelle, une des amoureuses de Barbara rencontrée en même temps renchérit : « cette relation est d’autant plus facile à vivre et à construire que nous habitons toutes respectivement chez nous. Lorsque tu vis chez toi, c’est bien plus simple de te retrouver personnellement, de retrouver son énergie. Ainsi, on ne discute pas des frontières à mettre pour son intimité. Car il faut l’avouer, être polyamoureux.se, cela demande du temps et beaucoup d’énergie émotionnelle à investir pour l’autre ».
Éléna résume simplement sa réalité polyamoureuse : « je pense qu’il est utopique de croire qu’une seule personne pourra répondre à tous nos besoins. Mais le ou les manques que l’on trouve chez une personne ne devraient pas justifier de la « mettre à la poubelle » mais plutôt de profiter de ce que cette personne nous apporte pour aller chercher ce qui nous manque vers d’autres personnes ». Mais quand on connait le cadre plutôt rigide qui règle les mœurs amoureuses, est-ce simple de rencontrer le polyamour ? Comment font les amoureux et amoureuses non-conventionnels pour parler de lors conception de la relation amoureuse et de la fidélité lors d’une rencontre avec une nouvelle personne?
« Je le dit simplement : j’ai deux partenaires stables. Alors là soit les personnes ne sont pas intéressées et peuvent parfois prendre leurs distances avec moi, ou alors elles sont intéressées et c’est un processus normal de découverte et de séduction qui s’amorce » raconte Barbara. Pour Samuelle, la réalité a été plus difficile. « Tout d’abord, comme j’étais marié et lorsque mon épouse a accepté que je fasse des rencontres, j’ai subi de nombreux commentaires négatifs qui disaient que mon « polyamour » était simplement un prétexte pour tromper ma femme. Et sinon, lorsque les personnes ne jugeaient pas mon comportement, je remarquais qu’elle m’hypersexualisait ». Éléna confirme cette dichotomie des réactions : « le principe est difficile à faire comprendre surtout pour des hommes. Soit ils s’expriment par le refus et la jalousie, soit ils répondent très favorablement en projetant des fantasmes sexuels. C’est très difficile de faire comprendre la différence avec le libertinage qui lui est une pratique de rencontre plus sexuelles et sans lendemains ».
Alors, si c’est si exigeant de construire une vie polyamoureuse et de faire des rencontres, pourquoi se mettre toutes ces difficultés sur le dos ? « Je ne me suis jamais senti aussi libre dans mes relations, aussi bien. Je trouve ça libérateur : je m’appartiens et je fais ce que je veux » déclare Éléna, la sincérité de l’émotion nichée dans l’éclat de ses yeux. « En fait, le couple monogame m’écœurait du fait de ses attentes : enfants; mariage; maison; cela crée une pression externe étouffante. Aujourd’hui, du fait de ma vie marginale, j’échappe à cette pression externe ». Samuelle se fait la plus lyrique et philosophe : « Dans le polyamour, on célèbre la diversité des existences. Le polyamour nous rapproche : on communique plus, on crée un vécu spécifique qui nous rapproche encore plus. Et moi je trouve du bonheur dans l’authenticité des relations, et je chemine dans ma conception de l’amour et de l’amitié ».
Une conclusion évidente à ma rencontre de ces trois personnes aux pratiques amoureuses non-consensuelles : j’ai vu et entendu parler d’Amour le plus simplement et classiquement du monde.