On s’excusera de l’utilisation cavalière du titre du film onirique du réalisateur allemand Wim Wenders pour évoquer le serpent de mer de l’aéroport de Sherbrooke. Car le projet de vols commerciaux à Sherbrooke en fait réellement rêver certain. es alors qu’une vision froide de la réalité devrait ramener l’aéroport de Sherbrooke à la quiétude des champs et forets desquels il a émergé.
On ne compte plus les articles de presses sur « la relance de l’aéroport de Sherbrooke ». À l’arrêt depuis 2010, la société Groundair aviation avait proposé une nouvelle desserte vers Toronto en 2018, mais le prix du billet à 5000 $ n’a pas permis d’assurer la desserte. Car à ce prix-là, on comprend que la cible n’est pas « le voyageur de tout inclus », comme on essaie de nous le faire croire chaque fois que nous devons remettre la main au pot de ce trou sans fond via le budget de la Ville, mais bien la clientèle « d’affaire ». C’est d’ailleurs le deuxième argument qui est avancé : sans aéroport, pas de milieu économique dynamique à Sherbrooke, avec le corolaire classique du chantage à la perte d’emplois. Le président de la Corporation de développement de l’aéroport de Sherbrooke et conseiller municipal Claude Charron, affirme que la demande pour des avions nolisés est « constante », et cite comme exemple l’Université de Sherbrooke. Oui, c’est bien connu, la saison des congrès scientifiques arrive à dates fixes comme celle des snow-bird, et toute l’université se vide pour partir partager son savoir aux quatre coins du Monde. Au final, avec l’aéroport Trudeau accessible en auto en deux heures, il faut vraiment avoir une haute opinion de son temps et de sa personne pour estimer qu’il est nécessaire que la collectivité investisse pour en faire gagner une.
Parce que lorsque nos élus parlent de l’aéroport avec l’œil brillant du petit enfant qui s’émerveille de voir ces oiseaux d’aciers prendre leur envol, on se demande si les mots « gaz à effet de serre », « Accord de Paris » et « Déclaration d’urgence climatique » existent dans leur réalité. On n’osera pas rappeler le terme « justice sociale », ça on sait qu’il ne la pratique au mieux qu’à la messe. L’avion émet en moyenne deux fois plus de GES (eq CO2) par kilomètre et par passager que l’auto. Mais surtout, l’avion nous fait parcourir des distances bien plus grandes qu’on ne le ferait en auto voire en train. Ainsi, un vol Montréal – Paris correspond à 60 % de ce qu’une personne au Québec émet comme GES en utilisant sa voiture annuellement. Lorsque l’on parle de développer l’aéroport de Sherbrooke, et plus généralement encourager (soutenir en 2021) le transport aérien, je voudrais entendre les arguments de l’intellectuel qui va permettre d’associer cette augmentation du trafic aérien avec les objectifs du Canada à la signature des Accords de Paris d’une réduction en 2030 de 30 % des émissions de GES par rapport à 2005.
Il est plus que temps d’arrêter de se voiler la face : le transport aérien est condamné, et même notre pratique actuelle de la mobilité est obsolète. Et à tous les rigolos qui répondent « gnagnagna la voiture/l’avion électrique », je rappelle qu’à ce jour plus de la moitié des voitures Tesla roulent au pétrole (68 % de l’électricité mondiale produite à partir d’énergie fossiles). La Nature est cruelle, et 1 kWh de puissance, qu’il soit thermique ou électrique, c’est toujours 1 kWh d’énergie à produire. Tant que l’électricité (ou l’hydrogène) sera produite à partir d’énergies fossiles, on n’aura pas avancé d’un centimètre dans la gestion des GES. La pandémie de COVID-19 a cloué les avions au sol, avec une baisse de 89 % du trafic aérien entre février 2019 et 2021. Comme le pétrole doit rester sous terre, il n’y a pas de futur avec des avions en l’air. L’époque bénie du transport rapide, simple et abordable est terminée. Mais Marco Polo, James Cook, Magellan et même Nicolas Bouvier ont su écrire les plus belles histoires de voyage sans mettre un pied dans un aéroport. À nous de reconquérir notre imaginaire du voyage et de l’ancrer dans la réalité physique du monde.
Image: Lego Airplane – Crédit: Rob MacEwen