« Selon vous, qu’est-ce que l’énergie ? ». C’est par cette question pas si simple que Jean-Marc Jancovici débute nombreuses de ces conférences sur les liens entre énergie et changements climatiques. J-M. Jancovici est un ingénieur (École polytechnique) à l’origine des méthodes de calcul du « bilan carbone », soit l’outil de référence pour calculer les émissions de gaz à
effet de serre d’un individu, une entreprise ou un pays. Il s’est fait connaitre au grand public par ses talents de vulgarisateur au langage extrêmement direct et aux exemples qui font mouche. Comme ingénieur, sa vision du monde s’exprime via les sciences physiques et ramène donc des questions et des problèmes que l’on considère de l’ordre du choix politique vers une analyse plus implacable des lois de la physique avec lesquelles, même si l’on n’est pas d’accord, on ne peut déroger.
Donc, qu’est-ce que l’énergie ? Les manuels de sciences du secondaire ou du collégial répondent le plus souvent par : « grandeur physique qui permet de caractériser un changement d’état dans un système ». Une fois que l’on démystifie un peu cette définition très académique et jargonneuse on peut comprendre ceci : « l’énergie, c’est ce qui nous permet de modifier ou transformer notre environnement ». Par exemple, modifier la température grâce à un frigo, un calorifère ou un climatiseur, ou modifier sa vitesse par un vélo, un bus, une auto ou un avion. Par ces exemples, on comprend que « changer notre environnement » s’applique à une palette très large d’actions du quotidien. J-M Jancovici pousse le raisonnement en disant « l’énergie, c’est notre capacité à changer le monde ».
Tout comme la matière, l’énergie est constante dans l’Univers : elle ne se crée ni ne se perd, mais se transforme d’une forme à une autre. Pensons à l’eau contenue dans un barrage, énergie de gravité (ou potentielle), qui est transformée lors de sa chute en énergie mécanique par la turbine et finalement en énergie électrique par l’alternateur. La quantité d’énergie reste la même (en incluant les pertes de rendement) mais sa nature change : de potentielle elle est devenue électrique. Le pétrole a cette particularité d’être extrêmement concentré en énergie (énergie chimique). Un litre de carburant contient 10 kilowattheures (kWh) d’énergie. Un individu, par la force de ses jambes et de ses bras, est capable au mieux de produire 0.5 kWh d’énergie. Si on tient compte du rendement d’un moteur thermique (moins de 50 %), un litre de carburant peut fournir 10 fois plus d’énergie qu’un individu ne peut produire en transformant son alimentation en travail de ses bras et ses jambes. Pour faire voler un avion, il faudrait qu’un million de paires de jambes pédalent en même temps ! On comprend maintenant notre dépendance aux hydrocarbures. Et en moins de 200 ans, notre monde a drastiquement changé du fait de notre capacité technique à convertir l’énergie contenue dans le charbon et le pétrole pour alimenter des machines. Sur cette période la consommation d’énergie annuelle mondiale par habitant (ce qui inclus la sherbrookoise et le guerrier massai) est passée de 5 000 à 20 000 kWh.
Utiliser les énergie fossiles (charbon, pétrole, gaz) pour nous chauffer, nous déplacer ou produire de l’électricité produit des gaz à effet de serre et doivent donc être banni d’ici 30 ans (2050) pour maintenir la hausse de température du globe autour de 2°C. Les énergies renouvelables, (éolien, solaire et hydroélectrique) n’offre pas le même potentiel énergétique que le pétrole. Un vent qui déplace mille mètres cube d’air à 80 km/h à travers une éolienne produit autant d’énergie que celle contenue dans une demi-cuillère à café de pétrole (3 mL), et cette énergie n’est pas constante (dépend du vent) et ne peut être stockée.
La morale Jancovicienne ? La transition énergétique vers les énergies renouvelable est tout à fait possible, c’est ce que l’humanité a connu avec la marine à voile, les animaux de trait et les moulins à eau ou à vent. Mais qu’elle se fasse sans réduire notre consommation d’énergie, la physique nous dit que c’est illusoire. On invite les promoteurs de l’aéroport de Sherbrooke et du 3e lien à Québec à écouter les conférences de Jean-Marc Jancovici pour reconsidérer leurs positions si, parait-il, le climat est au coeur de leur projet.