C’est l’histoire d’un gars qui brassait et modelait ses émotions à la main. Plutôt du genre automatique, comme une machine à laver… Mais, à la main?! Il aimait ça simple?! Tout était réglé d’avance. Son seul problème, c’est qu’il n’était pas un manuel.
Cela donnait ce que ça donnait?! Il s’en faisait une identité, un style bien à lui. Il était très conscient (seulement au fond de lui-même) que les sentiments sont des choses que l’on ne peut forcer ou tordre. Cela peut les déformer en leur donnant un tout autre aspect. Néanmoins, comme il cherchait à faire de ceux-ci quelque chose d’inattendu, il n’en démordait pas. Il se croyait capable de les tripoter en quelque chose de reconnaissable.
Il arrivait à se convaincre presque à chaque fois, de la réussite de son projet même si, plus souvent qu’autrement, en fait, immanquablement, cela finissait par lui péter dans les mains. Il n’arrivait même pas à atteindre le niveau de base même de la satisfaction. Mais, il se confortait en se disant qu’il finirait par y arriver un jour.
L’idée du recommencement était pour lui un souffle normal pour vivre. Il trouvait dans cet acte suffisamment de mystère pour y maintenir en boucle son attention et d’y suspendre tout le vide que pouvait contenir son manque d’imagination. Il aurait pu être l’un de ces grands marcheurs qui parcourent le monde, un pas à la fois. Il en avait le rythme et l’ambition. Or, bien qu’il était un être cadencé à l’empilade machinale, son âme semblait souffrir d’une lassitude pathologique. Le même genre que l’on rencontre chez certains retraités fortunés qui se privent de voyager par manque de motivation.
Nager de longues distances pouvait être dangereux pour lui. Car, cette lassitude involontaire avait la force d’un trou noir dans lequel disparaissait toute raison de s’efforcer. Cela ne faisait pas de lui une personne paresseuse pour autant. Son acharnement à modeler ses émotions en quelque chose d’utile l’empêchait de sombrer dans les profondeurs du désœuvrement. En réalité, il avait une opinion tellement fine de la valeur de son cœur qu’il lui était impossible de céder au découragement.
Il faut dire que cette opinion lui apportait une assurance dangereusement héroïque envers les aléas auxquels il se soumettait, et qui avait pour effet de relativiser son imprudence ou la gravité de ses bêtises. Au moment de commettre des niaiseries, il agissait comme s’il avait un ange gardien pour protéger l’intégralité de son chemin de vie. De manière plus scientifique, on aurait pu l’expliquer ainsi : la densité de son âme étant moins lourde que celle du milieu dans lequel il baignait, alors, il flottait tout bonnement, sans risquer de sombrer.
Cette différence de densité prenait son origine dans sa perception du caractère sublime de l’amour qu’il ressentait pour sa communauté et le monde entier. Elle lui donnait le sentiment d’être incorruptible. Contrairement à l’opinion qu’il se faisait de la plupart des adultes de ce monde. À cause de leur avidité et des ambitions que cela nourrissait, ceux-ci manquaient, selon lui, cruellement d’humanité. Ce qu’il considérait comme une triste faiblesse chez le commun des mortels ne l’épargnait pas non plus. Mais, parce qu’il entretenait des idéaux quant à l’avenir de ses émotions, il se croyait immunisé contre les affres de ses propres faiblesses.
Jamais, il n’aurait pu imaginer qu’un jour ses faiblesses allaient finir par interférer avec l’aimant qui attirait l’aiguille de sa boussole intérieure. Ce sentiment d’être à côté du chemin sans pouvoir dire dans quelle direction ses actions le menaient le toucha d’une manière particulière, un certain matin de décembre.
À suivre…