Une critique sans trop divulgâcher.
Une nouvelle décennie s’ouvre et m’amène, déjà, à un premier film qui sera, sans équivoque, un coup de cœur de l’année. Le cinéma québécois a un vivier important, de talentueuses, et talentueux réalisateurs, cela est démontré, une fois de plus, par la sortie en salle, d’œuvres audacieuses, réfléchies comme Le RIRE.
Est-ce que la quête du bonheur, propre à chaque être humain, peut être atteinte si nous ne prenons pas en compte toutes les pièces du puzzle de notre vie ? Cette acceptation d’une partie dramatique de la vie de survivante de guerre pour construire un « après », un futur, va hanter le personnage de Valérie qui n’a jamais exorcisé ses drames.
Peut-on se mettre à nu et se livrer aux autres ? Pouvons-nous vraiment cacher nos larmes ? Pouvons-nous uniquement rire ou pleurer, pleurer ou rire ?
Le RIRE, cinquième long-métrage de Martin Laroche (Tadoussac, Les Manèges humains, etc.) nous pousse dans les grandes réflexions sur la vie.
Un film qui nous pousse également dans nos derniers retranchements et dont la quête nous amènera à enfin nous accepter, entièrement.
Outre un coup de cœur pour l’histoire, les dialogues (la scène mémorable avec la directrice des ressources humaines) et les choix musicaux, le public aimera, assurément le casting. Martin Laroche s’est entouré d’actrices et d’acteurs brillants et sur lesquels j’ai envie d’exalter la justesse du jeu, la justesse des émotions notamment Léane Labrèche-Dor (Les scènes fortuites, Chien de garde, etc.), renversante dans le rôle principal de Valérie. Micheline Lanctôt (Les Affamés, Guibord s’en va-t-en-guerre, Familia, etc.) attendrissante dans le rôle de Jeanne. Sans oublier Alexandre Landry qui comblera le vide laissé dans le cœur de Valérie et Sylvie Drapeau qui signe, au passage, une belle interprétation.
le journal Entrée Libre s’est entretenu pendant un moment avec le réalisateur Martin Laroche et l’actrice principale, Léane Labrèche-Dor :
Souley Keïta : Nous avons ce personnage de Valérie qui a un « avant », un background assez lourd en tant que victime de guerre. Il y a également, un maintenant mais malheureusement, pas « d’après ». Est-ce qu’il n’y a pas « d’après » tant que ce personnage n’a pas réglé ses problèmes et accepté une partie de lui ?
Léane Labrèche-Dor : Je pense que oui. Je pense, également, que ce qui est intéressant, c’est le cheminement pour avoir accès à un « après ». Le film est fun car nous suivons les étapes qui vont l’amener à une certaine libération de ses souvenirs, de son traumatisme. À partir du moment où elle fait la paix avec ce drame, avec le deuil de son amoureux, elle va pouvoir faire la paix avec elle-même et avec son passé de victime de guerre. C’est un processus pour qu’elle soit enfin heureuse et qu’elle puisse continuer de vivre.
Souley Keïta : Il y a le passage important de la scène du stand-up, une scène qui permet de parler, de délivrer sa parole mais aussi ses larmes. Je considère le regard d’autrui sur nous comme le miroir dans lequel nous pouvons exister. Est-ce que cette scène, en se confrontant à un public, donne la possibilité à Valérie d’exister à travers le rire et les larmes ?
Martin Laroche : Dans le personnage de Valérie, il y a le côté d’acceptation du fait que sa personnalité va avoir souvent une certaine forme de complexité entre le rire et les larmes. Valérie prend la route de ce paradoxe de la vie, cette route où elle se dit que la vie est belle mais également que la vie est remplie d’absurdité comme le fait d’avoir une personne qui meurt jeune, etc.
C’est ce côté contradictoire qui est mis en avant dans le langage cinématographique avec les plans champ-contrechamp. Ce qui est intéressant, c’est que sans doute cela se passe dans son imaginaire mais il y a une volonté de se confronter à l’opinion sociale, car elle veut se débarrasser de ce syndrome du survivant qui l’amène à se sentir mal d’être encore en vie.
Léane Labrèche-Dor : La comédie et la tragédie sont deux grands masques. Cela n’est pas qu’une représentation au théâtre mais également dans la vie. Chez Valérie, cette dualité est présente dans le passé, le présent et le futur. Elle ne comprend pas que l’un ne peut pas vivre sans l’autre, car la comédie alimente la tragédie et vice versa. Cette scène du stand-up représente un aboutissement de toutes ses réflexions qui vont lui permettre enfin d’avancer.
Souley Keïta : Il y a une particularité dans votre film, vous recréez l’univers, l’identité de chaque personnage dans leur chambre, pourtant il manque quelque chose de fondamental, la présence physique des proches, de la famille, pourquoi ce choix ?
Martin Laroche : Dans ces établissements, il y a beaucoup de solitude. Pour moi, le personnage de Jeanne (Micheline Lanctôt) reçoit la visite de sa fille une fois par semaine, il reste 6 autres jours où elle est seule. Le réseau social dans les CHSLD n’est pas évident car la plupart de ces personnes sont en perte d’autonomie, parfois physique, parfois mentale.
La relation avec le ou la préposé(e)devient vitale car il ou elle devient l’unique contact. Je voulais montrer cette facette car la personne qui devient le réseau pour ces gens, c’est un employé et non pas la famille.
Ce beau film, plein d’audace et de réflexion sort aujourd’hui, vendredi 31 janvier 2020, dans les salles obscures de La Maison du Cinéma.