La question de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste soulève actuellement les passions au Québec. L’empressement du gouvernement Charest en laisse plusieurs sceptiques. Le Parti libéral et l’Action démocratique rejettent en effet l’idée d’un moratoire sur l’exploration et ce, essentiellement pour des raisons économiques. Gérard Deltel affirmait récemment, lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle, qu’il souhaitait que le Québec cesse de vivre au crochet des autres provinces plus riches, l’Alberta notamment.
Alain Dubuc, collaborateur à La Presse, déplorait aussi la « culture du refus » des Québécois dans le dossier des gaz de schiste. Il dénonçait ce qu’il croit être « une résistance au développement, une méfiance du secteur privé [et] une opposition sourde à la dynamique de la création de la richesse ». Selon Dubuc, ce sont là « des traits culturels qui contribuent à expliquer nos retards économiques. »
Pourtant, dans le cadre de la présente consultation, en commission parlementaire, sur le projet de réforme de la Loi des mines, plusieurs intervenants sont venus déposer des mémoires pour, entre autres, demander une hausse des redevances perçues par le gouvernement auprès de l’industrie minière. Est-ce que les Québécois sont aveugles devant les bénéfices de l’industrie minière (gaz de schiste inclus) ou est-ce plutôt que ces bénéfices sont très minces?
Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et spécialiste des questions énergétiques, croit pour sa part que le Québec ne reçoit pas sa juste part pour l’exploitation de ses ressources. En entrevue avec Entrée libre, Mousseau affirme que la loi sur les mines est « obsolète ». Selon lui, le seul avantage de l’exploration des gaz de schiste, telle que menée actuellement au Québec, c’est qu’elle permettra une prise de conscience du caractère vétuste de la loi.
Quels bénéfices?
Le débat sur la gestion de notre industrie minière a largement été lancé en 2009 alors que le Vérificateur général du Québec critiquait vertement dans son rapport la « stratégie minière » du Québec. Les bénéfices pour la société québécoise de l’activité minière, révélait le rapport, étaient plutôt modestes.
Au Québec, les compagnies minières sont tenues de payer des droits miniers qui correspondent à 12 p. cent de leur profit « minier ». Or, le Vérificateur général révélait que, selon les informations compilées par le ministère, un grand nombre d’entreprises n’ont pas eu à verser de droits miniers. Pour la période allant de 2002 à 2008, 14 entreprises n’ont versé aucun droit minier. Les autres entreprises ont versé pour la même période 259 millions de dollars, soit 1,5 p. cent de la valeur brute de production annuelle.
En fait, l’état anémique des redevances est lié aux avantages fiscaux dont bénéficient les entreprises minières (voir graphique 1). Celles-ci peuvent réduire leurs profits et même le ramener à zéro. « Par exemple, notait le Vérificateur, pour les exercices 2006-2007 et 2007-2008, la totalité des droits miniers relatifs aux minerais métalliques a été payée respectivement par 3 des 16 et 3 des 14 entreprises productrices, et ce, malgré une conjoncture favorable à cette industrie. »
Cette année, le ministre des Finances, Raymond Bachand, a annoncé dans son budget une hausse des redevances exigées des compagnies minières. Le budget fait passer le niveau des redevances de 12 % à 14 % dès maintenant, puis à 15 % en janvier 2011 et à 16 % en janvier 2012.
D’ailleurs, le Parti libéral se défend de faire la vie belle aux minières. Le ministre des Ressources naturelles, Serge Simard, affirmait que c’est « sous l’administration du Parti Québécois que les redevances sont passées de 18 % à 12 % et que les crédits d’impôt aux entreprises ont été augmentés. Ces mesures combinées ont fait perdre à l’État québécois plus de 243 millions de dollars. À l’inverse, les mesures annoncées dans le dernier budget permettront de percevoir 245 millions de revenus additionnels pour les cinq prochaines années. »
Mais, pour Christian Simard, de Nature Québec, membre de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine, « on est toujours aujourd’hui dans un système de redevances minimales pour l’ensemble de la société. » Selon la coalition, les redevances perçues au Québec sont les moins élevées du Canada, et de loin (voir graphique 2). La coalition estime que « les mesures annoncées dans le Budget 2010-2011 sont insuffisantes et ne permettront pas de compenser adéquatement les générations futures pour l’exploitation actuelle des ressources minérales non renouvelables. »
Ugo Lapointe, de la coalition, croit que le système de redevances en place est inadéquat. Les entreprises doivent payer des redevances sur les profits et non en fonction de la valeur du minerai extrait. C’est pourquoi la coalition réclame un « système hybride » de redevance avec un taux sur les profits et un taux plancher, calculé à partir de ce qui est véritablement produit.
Des colonisés
Selon Normand Mousseau, au Québec, « on a encore une mentalité de colonisés. » D’après lui, c’est la pression des travailleurs et des élus des régions minières qui serait à l’origine de l’inaction des gouvernements. « Mon vote sur le Plateau Mont-Royal vaut moins que celui d’un électeur d’Abitibi », lance-t-il. Chritian Simard et Ugo Lapointe concordent pour leur part au diagnostic, mais croient que cela est en train de changer. « En deux ans, ça a évolué beaucoup », croit M. Lapointe. Le Maire de Rouyn-Noranda, Mario Provencher, « qu’on ne peut pas qualifier de gauche », s’est par exemple prononcé pour une réforme de la loi des mines. « Des députés de région minière, dont François Gendron, commencent à avoir la même position », affirme M. Lapointe.
Selon Christian Simard, il y a aussi eu une « prise de conscience dans les syndicats ». La plus grande centrale syndicale au Québec, la FTQ, représentant une bonne partie des travailleurs des mines du Québec, s’est d’ailleurs dit en faveur d’une hausse des redevances pour l’industrie. Lors du dernier Congrès de la FTQ, son président, Michel Arsenault, a affirmé vouloir rejoindre la Norvège au plan des redevances.
La préséance du droit minier
Un autre problème de la loi des mines a été constaté par ceux et celles qui, entre Québec et Montréal, ont vu leur terre envahie par des compagnies exploratrices de gaz de schiste. Au Québec, un propriétaire foncier n’est pas propriétaire du sous-sol. En effet, un prospecteur peut, très simplement, en ligne, devenir le propriétaire d’une partie du sous-sol, pour un montant minime, ce qui lui confère des droits d’expropriation tout en ne l’obligeant pas à consulter les autres partenaires, par exemple les municipalités. C’est là, selon Christian Simard, « une situation explosive au plan social. » D’autres pays fonctionnent avec le même genre de système, mais, selon M. Simard, « il y a beaucoup plus d’encadrement. » La coalition Pour que le Québec ait meilleure mine, réclame d’ailleurs une modification à l’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui soustrait les mines de l’application de la loi.
Le projet de loi 79, qui modifie la Loi des mines, a été déposé en première lecture le 2 décembre 2009 et a fait l’objet d’une large consultation publique au printemps et à l’automne 2010, avec près de 70 mémoires déposés en commission parlementaire. Selon Normand Mousseau, ce projet ne modifiera cependant pas substantiellement la loi. C’est aussi l’avis de Ugo Lapointe qui croit que la réforme est « minime ». Mais pour ce dernier, il y a eu beaucoup d’évolution dans la « pensée collective » dernièrement, ce à quoi l’exploration des gaz de schiste n’est pas étrangère. Il se dit à la fois « déçu et content » puisqu’il affirme que ce mouvement de conscientisation est maintenant « irréversible ».