Le modèle socioéconomique actuel est déséquilibré, entre autres parce qu’il repose sur une exploitation infinie des ressources qui sont pourtant limitées: «l’économie transforme l’abondance naturelle en rareté, par la création artificielle du manque et du besoin à travers l’appropriation de la nature et de sa marchandisation[1]».
La problématique de surexploitation des ressources naturelles peut aussi être abordée avec la thématique de l’omniprésence du pétrole dans nos biens et services. C’est une réelle dépendance populaire, et c’est extrêmement inquiétant puisque tous les services reposent actuellement sur l’utilisation du pétrole; ces services risquent de subir un énorme choc quand la ressource viendra à manquer.
Par exemple, dans le modèle d’agriculture industrielle et conventionnelle, l’utilisation du pétrole est indispensable pour assurer le roulement de l’entreprise agricole (machinerie, transport des aliments). On estime utiliser 10 à 15 calories d’énergie fossile pour créer une seule calorie de nourriture[2]. On ne peut plus fonder le développement socioéconomique et encore moins le modèle de production alimentaire sur cette ressource qui tend à se raréfier et qui dévalorise le travail humain. L’énergie contenue dans un baril de pétrole équivaut à 25 000 heures de travail humain, soit au labeur d’une personne qui travaille 40 heures par semaines pendant 12,5 années2! De plus, un emploi précaire créé dans une grande compagnie détruit cinq emplois durables dans un commerce de proximité. On peut donc conclure qu’avec la mécanique productive, l’homme est vu comme un consommateur plutôt qu’un producteur. En ce sens: «l’homme tend à devenir un déchet dans son propre système[3]».
De plus, cette surutilisation des énergies fossiles est responsable des deux principaux problèmes qui créent le contexte de décroissance: les changements climatiques et le pic pétrolier. En effet, les changements climatiques sont présentement un facteur plus qu’inquiétant pour la survie des sociétés humaines, puisqu’ils menacent leur santé, leur sécurité, leur fertilité et leur capacité de se nourrir. De ce fait, plusieurs organismes internationaux (NASA, ONU) ont sonné l’alarme quant à ce chaos climatique, qui est l’indicateur le plus flagrant du déséquilibre du modèle économique actuel. La hausse des températures, l’augmentation des sécheresses et des maladies fragilisent les récoltes, et mettent en danger la sécurité alimentaire de nombreuses régions du monde.
Selon le rapport américain Hirsch portant sur les stratégies d’atténuation pour le pic pétrolier, «les risques pour notre économie et pour notre civilisation sont énormes et personne ne veut en entendre parler[4]». On peut définir ce pic pétrolier comme étant «le point où l’expansion de la production de pétrole devient impossible, car les nouveaux débits de production sont entièrement compensés par les déclins de production[5]». Après ce pic pétrolier, c’est l’offre qui dictera la demande (et non l’inverse), le prix des énergies fossiles explosera, et ceux qui contrôlent le pétrole auront par le fait même l’emprise sur pratiquement l’ensemble des marchés, puisque tous dépendent de cet or noir.
Bref, pour amoindrir les impacts de ces crises économiques, sociales et écologiques, les sociétés ont besoin de «plus d’une décennie d’avance sur le pic3» pour bien planifier la transition vers une ère post pétrole et développer une prospérité. Voilà pourquoi il faut rapidement entamer une transition énergétique!
1. P. Dumouchel et J-P Dupuy. L’Enfer des choses, 1979.
2. M. Lewis et P. Conaty. Seeking Pathways to Sustainable Food. The Resilience Imperative: Cooperative Transitions to a Steady-state Economy, 2012.
3. S. Latouche. Petit traité pour une décroissance sereine, 2007.
4. Hirsch, 2005 dans P. Hopkins et T. Pinkerton. Local Food: How to make it happen in your community, 2009.
5. Hall dans P. Hopkins et T. Pinkerton, 2009.