La grève étudiante qui a cours depuis maintenant plus de 4 mois a donné lieu à plus de 3000 arrestations. On dénombre plusieurs arrestations de masse, notamment lors de la 30e manifestation de soir où, à Montréal et à Québec, 518 et 176 personnes se sont vu passer les menottes. En plus des arrestations massives et des cas de brutalité policière largement discutés dans les journaux, les médias sociaux regorgent de témoignages de fouilles illégales et d’arrestations préventives. Pour établir un ordre de grandeur, on se rappellera que sous l’État d’urgence imposé pendant la crise d’Octobre en 1970, 465 arrestations avaient été orchestrées par l’État. Au Sommet des Amériques de 2001, ce sont 463 personnes qui furent interpellées, et au G20, 1090.
Évidemment, tous les contextes ne se ressemblent pas. Il serait abusif de comparer le nombre d’arrestations survenues dans le cadre du G20 ou de la crise d’Octobre à celles de la présente grève. Le degré d’organisation des manifestant-e-s n’est pas équivalent dans toutes les mobilisations, et le type d’événement ne se prête pas à des interventions policières de la même ampleur. Au-delà des chiffres, comprendre une arrestation exige de savoir comment elle se déroule. Comment les gens sont-ils-elles traité-e-s? Quelle est l’attitude des policier-ère-s? Entrée Libre vous propose une incartade dans la vie de militant-e-s qui se sont frottés aux forces de l’ordre. Ils-elles ne sont pas tous dans des situations similaires. Certain-e-s sont de nouveaux militant-e-s, d’autres ont plus d’expérience, certain-e-s ont été arrêtés dans des contextes de manifestations et ont de simples amendes au municipal, d’autres ont des charges criminelles et risquent l’emprisonnement. Ils-elles sont tou-te-s différent-e-s, mais ils-elles ont en commun de s’être battus contre la hausse et contre la scandaleuse loi 78. Et pour la plupart, ils-elles sentent qu’on a voulu leur faire regretter.
Une trentaine d’arrestations à Sherbrooke
Catherine Vallée-Dubuc et Guillaume Bolduc, tous deux étudiant-e-s à l’Université de Sherbrooke en éducation, ont été interpellés par la police le 21 mai 2012 lors de la manifestation contre la loi 78, à Sherbrooke. La manifestation ayant été déclarée illégale, la tension entre le corps policier et les manifestant-e-s s’est rapidement amplifiée. Catherine et Guillaume se sont assis devant l’antiémeute. Les policiers les ont avertis que si ils-elles ne quittaient pas, bien qu’ils étaient pacifiques, ils-elles seraient arrêtés. Un de leurs camarades s’était fait arrêté alors qu’ils-elles avaient tenté de traverser un mur de policiers. Ils-elles ont exigé qu’il soit libéré, mais puisqu’ils ont refusé, Catherine et Guillaume se sont livrés par solidarité. Il y a eu environ 30 personnes qui se sont fait arrêter sur place, pacifiquement, et six autres par la suite. Au moment de l’arrestation, tous les arrêtés ont été rassemblés dans un autobus de la ville pendant quelques heures. Les conditions étaient correctes, sans plus. Après toute cette attente, les manifestant-e-s se sont fait libérer après avoir reçu les tickets en vertu de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière.
Tu vas peut-être recevoir un ticket par la poste!
Mathieu Gauthier*, étudiant en sociologie à l’UQAM et militant très actif depuis le début de la grève, s’était déguisé en amateur du Grand Prix pour appuyer les manifestations, mais avec l’intention de rester en retrait pour ne pas se faire arrêter. Il portait une casquette et un chandail d’une célèbre écurie, n’avait laissé dans ses poches qu’un condom et une importante somme d’argent. C’était le samedi 9 juin 2012, rue Crescent. De petits groupes de manifestant-e-s avaient convenu de se rejoindre sur le site pour perturber l’événement, sans se faire filtrer à l’entrée. Au moment, où ils-elles commençaient à être suffisamment nombreux-ses, une altercation a éclaté plus au sud, hors du site entre policiers-ères et militant-e-s. Mathieu était toujours à l’intérieur du site, alors que ça sautait à l’extérieur. Le petit groupe dans lequel Mathieu se trouvait s’est dirigé vers l’extérieur pour aller aider.
Une fois arrivé, il se rend compte que la foule entoure la police, mais que ce ne sont pas tous-te-s des manifestant-e-s. Beaucoup de passant-e-s observent avec hostilité le travail des policiers-ères. Les agents-es de l’antiémeute se déplacent en peloton de gauche à droite pour intimider la foule. Mathieu commence à les suivre sans intentions hostiles ni gestes brusques. Il n’est pas masqué et n’a pas l’air d’un manifestant. À ce moment, il remarque que d’autres policiers se mettent à le pointer. L’un d’eux se met à crier : « Entrave! » (entrave au travail d’un agent de police). Quelques policiers se lancent alors sur lui pour le mettre en état d’arrestation et le plaquent contre le sol, alors que l’étudiant n’offrait pas de résistance. Il est alors trainé sur le sol, et les policiers lui mettent des Tie-Wraps aux poignets. Mathieu leur dit qu’ils exagèrent et demande ce qu’il a fait pour mériter ça. C’est alors que le policer lui répond : « Tu es né! », sur un ton extrêmement violent.
Les cinq prochaines heures allaient tout de même être éprouvantes. Entre les interrogatoires où il essaie de mettre de l’avant qu’il n’est qu’un simple fan de F1 pour ne pas subir une enquête plus approfondie et les périodes d’attentes en cellule, le stress montait, de peur que les policiers-ères le relient à des actions ayant eu lieu dans les derniers mois. Finalement, l’étudiant est relâché dans la nuit avec pour toute accusation un :« peut-être que tu vas recevoir un ticket par la poste ».
« Petit criss de tabarnak, tu ris pu là, hein! »
Comme 300 autres manifestant-e-s, Samuel Fréchette*, étudiant au deuxième cycle en histoire à l’UQAM, a été arrêté le dimanche 20 mai dans une des manifestations de soir qui a suivi l’imposition de la loi 78. La manifestation avait été déclarée illégale, et déjà à ce moment, l’anti-émeute avait chargé à plusieurs reprises. En colère contre l’intervention brutale des forces policières, les militant-e-s avaient érigé une barricade au coin Saint-Denis et Ontario.
Peu de temps après l’érection de la barricade, l’antiémeute est arrivée, a démoli la barricade et est descendue vers les milliers de citoyen-ne-s en colère. Comme d’autres, Samuel était masqué, il fut donc une des premières cibles lors de la charge. Il tentait de fuir, mais la foule était trop dense. Un policier lui a sauté dans le dos, l’a plaqué sur le sol, lui a collé sa matraque sur le crâne, derrière la nuque, et a posé son poids dessus, infligeant une douleur terrible à Samuel. Ce dernier explique qu’il avait l’impression que son crâne allait exploser, alors que le policier s’évertuait à cracher des :« Enfant de chienne », « Petit criss de tabarnak, tu ris pu là, hein! ». Ne pouvant pas bouger, l’étudiant n’a pas résisté à son arrestation, malgré ce que plaident les charges criminelles qu’il s’est vu affubler, une fois au centre opérationnel du SPVM. Il explique tout de même que « c’est quand même vrai que quand tu as 3 hommes sur toi qui te crient des insultes, tu as tendance à vouloir résister. Dans ces cas-là, il n’y a pas de bonnes attitudes. Ils sont fâchés si tu parles, et fâchés si tu ne parles pas ».
Dans l’attente du fourgon qui allait le trainer au centre opérationnel, Samuel était attitré à un policier agressif et violent qui, plutôt que de lui demander de s’asseoir ou de se lever, tirait sur ses menottes trop serrées et le poussait. Ses lunettes sont à un moment tombées par terre; l’agent ne voulait pas les ramasser et lui disait qu’il ne les méritait pas. C’est un autre agent qui les lui a finalement données.
Il a ensuite été trimballé à toute vitesse dans une voiture où il avait été lancé abruptement, les mains toujours dans le dos, ne lui permettant pas de rester stable. Les déplacements ont duré près d’une heure, puis on l’a ramené à 3 minutes à pied de l’endroit où on l’avait arrêté. C’est à ce moment qu’il a été installé dans le fourgon, une camionnette avec 4 cloisons en métal, où 12 personnes étaient rassemblées pour être amenées au poste. Dans le fourgon, où il allait attendre plus de 2 heures, il fait une chaleur accablante. Il n’y a pas de ventilation et rien à boire, les détenus étaient assis sur le bout du banc, dans un équilibre précaire, puisque leurs mains étaient attachées dans le dos. Samuel raconte qu’il en venait presque à espérer qu’un-e autre militant-e se fasse arrêter pour que la police ouvre les portes et que l’air frais entre. Son voisin était sur le bord de tomber inconscient, alors qu’un autre crie de lâcher les Tie Wraps parce qu’il ne sent plus ses mains.
Une fois au centre opérationnel Centre-Sud, ils attendent encore 45 minutes dans le fourgon. Ils sont ensuite relâchés devant une longue table où les agent-e-s font la lecture des chefs d’accusation, prennent leurs photos. On lui explique qu’il est accusé d’avoir lancé une bouteille de bière sur un policier, d’avoir résisté à son arrestation et de faire partie d’un attroupement illégal. Samuel jure que c’est un garçon derrière lui, non masqué, qui a lancé la bouteille. Ils sont tous présumés coupables. Un autre arrêté se plaint de la longueur du processus et on lui répond : « Ok, alors tu vas passer en dernier ». Il comprend que, lorsque tu te fais arrêter, tu te tais parce que la police a plein de méthodes pour te faire regretter l’indocilité. Les policier-ère-s tentent de faire signer une déclaration sans ses lunettes à cet étudiant qui est gravement myope. Après avoir insisté, on lui donne le temps qu’il signe et on lui reprend, puisqu’il y aurait des risques de suicide selon les agents. Ils-elles refusent aussi de lui donner son chandail qui est dans son sac, malgré l’air conditionné qui impose un froid glacial dans le bâtiment.
À ce moment, l’attente est loin d’être terminée, il arrive à sa cellule où on l’installe sur des banquettes de bois. Il n’y a pas de couvertures, rien à manger et on ne lui donne aucune information sur la suite des procédures. Il ne sait pas combien de temps il va rester là. Samuel demande si c’est possible d’appeler un avocat, d’avoir une couverture et à manger. On lui répond que « ça va se faire en temps et lieu, et si tu te plains, ça va être encore plus long ». Arrêté vers 22 h, il n’a pu appeler son avocat que vers 4-5 h du matin. Finalement, on lui a donné un jus Oasis et un gâteau pour tout déjeuner, vers 7 h.
Un peu plus tard, il rencontre l’inspecteur. Elle a un ton violent, moralisateur. Elle essaie de lui faire peur et le prend pour un idiot. Il est accusé d’avoir lancé une bouteille sur un policier et dit que ses empreintes sont sur la bouteille. Il explique que c’est impossible, puisqu’il ne l’a pas lancée. Elle répond : « Ah c’est vrai, tu devais avoir des gants! » Elle lui conseille de se considérer chanceux d’avoir une couverture et à manger, et que parti comme ça, à 40 ans, tu vas encore habiter dans un 1 ½. Il souligne que jusqu’à preuve du contraire, il est encore innocent. Elle statue : « pas pour moi! » Jouant encore le jeu de l’incertitude, elle lui dit qu’il devra rester en cellule pour 2 jours avant de voir le juge.
Finalement, 1 heure plus tard, un policier lui demande de prendre ses affaires parce qu’il doit voir le juge aujourd’hui, en fin de compte. Lorsqu’il donne ses empreintes, on lui dit « t’as de belles empreintes, t’es bien mieux de ne pas faire d’autres crimes, parce qu’on va te retrouver. » Selon l’étudiant en histoire, il ne semble pas y avoir de présomption d’innocence dans la culture policière.
Il attend encore toute la journée dans une grande cellule, avec 3 étudiants et 8 accusés de droit commun. Vers 14 h, on lui emmène à manger : 2 tranches de pain blanc et du fromage Kraft. Vers 15 h 45, on l’amène vers une autre cellule pour passer devant le juge. Des policiers passaient, et pour les narguer, leur disaient qu’ils n’allaient sûrement passer que le lendemain. Finalement, on le traine devant la cour, toujours sans ses lunettes. On lui lit ses accusations et ses conditions, qu’on lui fait signer à l’aveugle. Il est libéré avec promesse de comparaitre au mois de juillet. Entre temps, il doit payer une amende de 634 $ et un bon avocat…
Arrestation préventive, détention et fouille illégale
Maristella Beausoleil* et Samuel Fréchette* on été arrêtés le 15 mai avec 17 autres de leurs camarades dans un autobus, de façon préventive, par la Sureté du Québec, alors qu’ils-elles allaient aider les étudiant-e-s du Cégep Lionel-Groulx à défier leurs injonctions. Le bus roulait sur l’autoroute lorsque des voitures de la police se sont mises à les entourer et à les forcer à se ranger sur l’accotement. On les avait sûrement suivis depuis l’UQAM, ce qui laisse présumer qu’un agent policier infiltré rôde autour de leur groupe de militant-e-s.
On les escorte jusqu’au poste le plus près. Les étudiant-e-s demandent si ils-elles sont en état d’arrestation et on leur répond de façon évasive. Les policiers, qui sont aussi nombreux que les étudiant-e-s présent-e-s dans le bus, prétextent qu’ils-elles ont entendu dire qu’il y avait une arme dans le bus. Ils-elles sont amené-e-s à l’intérieur du poste, où les policier-ères les forcent à s’identifier et fouillent leurs sacs, même si ils-elles ne sont pas en état d’arrestation. Le groupe est relâché sans charges, mais le bus est escorté jusqu’au métro Côte-Vertu. Pour les curieux-se-s, la vidéo de l’intervention policière est disponible en ligne sur YouTube [15 mai 2012, détention illégale par la SQ].
Pris en souricière
Mathilde Côté*, étudiante à l’Université de Montréal, participait à une manifestation illégale lorsque l’antiémeute s’est mise à la poursuivre. Son groupe prend le métro pour s’enfuir et débarque 3 stations plus loin. Ils-elles ressortent ensemble, dans le but de commencer une nouvelle manifestation. L’antiémeute les retrouve, les associe au premier attroupement et donc les pourchasse dans une ruelle, où ils forment 3 cellules d’encerclement contre des murs et un grillage de construction. Il y a 75 arrêté-e-s en tout. Pendant 1 heure, la police les garde à l’ombre, dans le froid du début du mois d’avril. Ils préparent le déplacement, alors qu’il y a au moins 2 agents antiémeute par personne. Les gars du chantier de construction applaudissent les étudiant-e-s et leur crient des encouragements, jusqu’au moment où un supérieur de la police les menace que s’ils n’arrêtent pas, ils pourraient avoir des problèmes.
Une manifestation d’appui vient les soutenir, mais les militant-e-s se font repousser très rapidement; plus personne n’est en mesure de voir le déroulement de l’arrestation. L’équipe d’Infoman est là, mais les agent-e-s de police la repoussent brusquement, tout comme les autres médias, ce qui mènera à l’arrestation du caméraman de CUTV.
Après une heure, les policier-ère-s amènent les menottes en plastique et prennent une personne à la fois. Les étudiant-e-s sont menotté-e-s et escorté-e-s par deux policiers pour procéder aux fouilles. Conformément aux prescriptions de la loi, Mathilde demande à l’agent qui veut la fouiller que ce soit une femme qui le fasse. L’homme répond qu’il a le droit de le faire, alors qu’une femme est à ses côtés, et se met à la tâche. Il lui pose des questions sur ce qu’il y a dans son sac. N’ayant pas l’obligation de le faire, elle ne répond pas. Le policier se fâche et vide le contenu de son sac avant de le ranger dans un sac de plastique. Une fois assise dans le bus de la STM, les menottes sont très douloureuses et la position assise, les mains dans le dos, aussi. On attend encore une heure que tout le monde arrive, puis les arrêté-e-s prennent la direction du poste Langelier, qui est très loin. Les étudiant-e-s attendent leur tour dans le bus pendant 2 à 3 heures. Des filles pleurent pour aller aux toilettes et on leur refuse l’accès avant 1 h 30, prétextant qu’on doit les surveiller. Pourtant, il y a déjà un policier, une policière et un chauffeur, alors qu’ils-elles sont menotté-e-s, sans leurs effets personnels, au milieu de nulle part.
Pendant ce temps, des dizaines de policiers essaient d’installer une table qui leur permettra de les identifier. C’est extrêmement long. Les policier-ère-s insultent et menacent les détenu-e-s. À son tour, Mathilde sort, et deux policiers coupent ses menottes. Elle reçoit une amende et on l’identifie. On l’embarque dans un autre bus de la STM, qui les mène finalement au métro en petits groupes de 10, pour qu’ils-elles n’aient pas l’occasion de se rassembler de nouveau.
Dignité en option
Geneviève Trinité*, étudiante à Montréal, fait partie des quelques étudiant-e-s actuellement accusés au criminel dans l’un des procès largement médiatisés dans le cadre de la grève étudiante. Elle a été détenue au Centre opérationnel Sud et au centre de détention pour femmes Tanguay. Si elle ne parle pas de son arrestation en soi, elle a souhaité témoigner quant aux conditions de détention.
Avant d’être transférée à Tanguay, Geneviève a passé un certain temps au Centre opérationnel Sud, où sont passé-e-s de nombreux-ses étudiant-e-s. Elle raconte y avoir entendu une jeune femme ivre crier toute la nuit qu’elle avait besoin de serviettes ou de tampons. Elle commente : « Les gardiens l’ont aimablement laissée se saigner dessus pendant qu’ils et elles l’ignoraient. J’imagine que dans son état pas trop « féminin » d’ivresse, les flics ont jugé qu’elle n’avait pas besoin de la dignité que procure le fait d’avoir du matériel hygiénique approprié dans des conditions de détention déjà pénibles… »
Le traitement psychologique, physique et hygiénique réservé aux militantes est à tout le moins inquiétant. Elle raconte s’être fait traiter comme une petite fille par l’enquêteur, qui lui demandait sur un ton paternaliste : « as-tu pensé à ce que ton père allait penser de toi? » alors que, a priori, elle est toujours innocente. Dans les cellules, il n’y a pas souvent de paravents pour se cacher lorsque les détenu-e-s vont aux toilettes, qui se trouvent au centre des cellules. Elle explique, comme beaucoup d’autres, avoir subi des trajets de fourgons turbulents, où les passager-ères restaient enfermé-e-s plus longtemps si ils-elles mentionnaient un malaise.
Du côté de Tanguay, elle se souvient des « screws » (gardiennes) qui s’arrêtaient pour regarder les fouilles à nu. « Il pouvait y avoir jusqu’à 3 ou 4 gardiennes spectatrices qui s’attardaient autour, le regard tourné vers toi pendant que t’as les seins et les fesses à l’air. » Certains screws refusaient de donner le matériel nécessaire hygiénique (shampoing, gants de plastique pour laver la toilette) en te prétextant qu’elle n’avait qu’à en acheter au magasin de la cantine qui est ouvert une fois par semaine.
La lecture, c’est subversif
Le témoignage de Maryline S. Veilleux de l’Université de Montréal fait partie des nombreux partages qui ont été faits dans la foulée des événements du Grand Prix. Le dimanche 10 juin, elle lisait 1984 dans le métro. Certains manifestant-e-s avaient soulevé cette idée pour se rassembler contre l’événement controversé. L’idée était simplement de faire des allers-retours entre les stations Jean-Drapeau et Berri. Elle ne portait pas de carré rouge et avait tenté de s’habiller le plus « normalement » possible pour ne pas se faire repérer. Pendant la lecture pacifique et calme, une autre femme a commencé à lire avec elle au-dessus de son épaule. Elles étaient face à quelques policiers et un journaliste amateur les a prises en photo dans cette posture. Le policier n’a pas aimé et a appelé du renfort pour les accueillir à Berri. Les deux lectrices furent expulsées du métro pour aucune raison, et elles furent averties de ne pas revenir, sous peine de se faire arrêter. Plusieurs individus ont demandé pourquoi ils étaient expulsés, mais aucune réponse.
Maryline, détentrice d’une passe de métro mensuelle, a décidé de retourner dans le métro et de continuer à lire. Il lui semblait qu’elle était dans le droit le faire. Après un aller-retour, une policière lui crie qu’elle la reconnait à cause de ses tatouages. Ils lui ont posé des questions. Elle a alors demandé si elle était en état d’arrestation. On lui a répondu que oui.
« Sous quel chef d’accusation; je n’ai fait que lire!
— Tu as désobéi, et lorsqu’on désobéit, on est puni! »
Deux policiers l’ont escortée jusqu’à la sortie, puis jusqu’au centre de détention centre-ville, sous les regards de tous les passant-e-s. Pendant le trajet, les policiers-ères lui ont posé beaucoup de questions sur sa vie personnelle, allant même jusqu’à dire à la femme de 25 ans que son père allait être déçu d’elle et qu’elle ne pourrait sans doute pas être bibliothécaire avec un casier judiciaire. Elle a été mise en cellule sans savoir lorsqu’elle serait relâchée. On ne lui a pas lu ses droits.
La future bibliothécaire a été détenue sans couvertures et sans repas, sans détails sur les raisons de son arrestation, plus de 4 heures, dans une cellule avec 3 autres femmes. Elles devaient faire leurs besoins les unes devant les autres, car la toilette était au centre de la cellule. Après plusieurs heures, une policière est venue la chercher, et on lui a redonné ses effets personnels. On lui a demandé à la blague si elle souhaitait rester plus longtemps au centre de détention pour faire de la classification dans leur bibliothèque, « comme si tout ce cirque était normal ». Avant de la relâcher, la policière lui explique qu’elle a de la chance et qu’elle n’aurait qu’un constat d’infraction. Cette dernière ajoute : « C’est doublement ton jour de chance, parce que le policier qui t’a arrêtée pensait que tu étais mineure et il t’a donné un petit ticket ».
Sur le constat, on justifie l’arrestation par le règlement STM R-036, article 4 dar. F, codification 3257: Description de l’infraction : En ayant refusé de circuler lorsque requis de le faire par un proposé.
* Nom fictif. Certain-e-s étudiant-e-s ont demandé à ce que leur noms ne soient pas cités.