Avant que la Première Chaîne russe diffusant à sa plus grande heure d’écoute du soir s’empresse de switcher sur un reportage sur les hôpitaux, mettant fin au direct sur le plateau, la protestataire scande plusieurs fois Arrêtez la guerre.
Dans une vidéo enregistrée préalablement et diffusée par OVD-Info, Marina Ovsiannikova explique que son père étant ukrainien et sa mère russe, elle n’arrive pas à voir les deux pays comme ennemis. «Malheureusement, j’ai travaillé pour la Première Chaîne ces dernières années, faisant de la propagande pour le Kremlin. J’en ai très honte aujourd’hui », dit-elle. « J’ai honte d’avoir permis que des mensonges soient diffusés à la télévision, honte d’avoir permis que le peuple russe soit “zombifié ». Allez manifester. N’ayez peur de rien. On peut mettre fin à cette folie. Ils ne peuvent pas tous nous emprisonner ».
« Une enquête interne est en train d’être menée » sur cet « incident », a laconiquement déclaré un communiqué par le Premier Canal. Selon l’agence de presse Tass, la jeune femme pourrait être poursuivie pour avoir « discrédité l’utilisation des forces armées russes». Le pouvoir russe a récemment fait voter plusieurs lois prévoyant de lourdes peines pour la diffusion de ce que les autorités considèrent comme de « fausses informations » sur l’armée. Tamara Alteresco nous informe avec rigueur qu’en Russie, la simple utilisation du mot « guerre » par des médias ou des particuliers pour décrire l’intervention russe en Ukraine est passible de poursuites et d’emprisonnement jusqu’à quinze ans.
La vidéo de l’incident s’est propagée comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes russes saluant le « courage extraordinaire » de cette femme, dans un contexte de brutale répression contre toute forme de dissidence. « Le salut de la Russie ne peut venir que de femmes comme elle ! », s’enthousiasmait un internaute sur Twitter, pendant qu’un autre appelait à la « protéger immédiatement ». Car depuis plus d’une demi-journée, ses avocats sont sans nouvelles d’elle.
Deux autres reportages courageux de Radio-Canada tournés à Marioupol et à Odessa informaient de l’échec de l’opération russe de rallier la partie russophone de la population, en dehors des Républiques autonomes Donbass et Donetsk et de la Crimée.
Le Canada et la propagande
Le bulletin télévisé radio-canadien s’était ouvert par la photo d’une gamine réfugiée ukrainienne vraiment émouvante (bravo à Yannick Dumont-Baron), mais le chef d’antenne s’extasie sur sa blondeur et l’éclat de ses yeux (bulletin de 8 heures, discours heureusement corrigé pour celui de 9 heures – suite à l’intervention d’un haut-gradé informé ?). Propagande à la limite raciste1 , si on songe au message d’Échec à la Guerre, qui met sur un pied d’égalité la guerre au Yémen qui a déjà fait un tiers de million de morts, c’est-à-dire mille fois plus de morts que chez les Ukrainiens, pour mille fois moins d’«exposure médiatique». Si on multiplie, on arrive à un coefficient d’un million contre un. Ces chiffres non rigoureusement exacts (et répugnants, car on a l’impression d’exploiter des morts) expliquent pourquoi nous utilisons le mot propagande. D’autant plus que la blonde Martine Defoy (je n’ai rien contre les blondes, ma femme l’est, de même que Marina Ovsiannikova) annonce le discours du président Zelensky au Parlement canadien en brandissant le poing : « il va parler avec ses tripes pour vanter le courage démocratique en action ».
Depuis trois semaines, nos articles dénoncent les discours patriotiques avec leurs tripes de patriotes ukrainiens, canadiens ou russes qui ne font soit que retarder une entente rigoureuse et difficile de paix russo-ukrainienne qui ne sera pas obtenue par les tripes, ou alors justifier une 3e guerre mondiale. Madame Defoy (R-C) annonce que le président ukrainien va encore une fois réclamer une no-fly zone (en effet), refusée même par l’OTAN qui sait que ce serait une déclaration de guerre. Hélas, enfermé dans sa logique, Zelensky termine son discours en proclamant : « Nous allons gagner » et utilise la malheureuse expression discréditée par son emploi nazi : « Gloire à l’Ukraine », applaudie par une ovation ponctuée de gestes virils de la part de nos parlementaires et de la chef conservatrice Candice Bergen qui reprend le « Slava Ukraini » controversé. Yves-François Blanchet a appelé à des négociations équilibrées, mais le meilleur discours fut celui de madame May, faisant appel aux Casques Bleus et à tous les moyens pacifiques pour arrêter la guerre. Les Artistes pour la Paix appuient évidemment la demande de tous les chefs d’accueillir des réfugiés et de distribuer une aide humanitaire généreuse.
Mais notre télévision revient à la propagande des images de guerre diffusées en préférence aux discours de paix, ceux qui faciliteraient les négociations cruciales discréditées par les discours d’hommes de pouvoir, même si elles ont lieu une deuxième journée consécutive.
Et nos articles sont censurés pour faciliter l’adhésion de la population canadienne à 61 % POUR LA GUERRE selon JF Lisée. Une heureuse exception : le Devoir a publié (avec deux articles de Christophe Huss pour l’expliquer, l’appuyer et le contrecarrer à la fois !) l’article de notre Artiste pour la Paix honoraire, André Jacob, repris par plusieurs publications amies, indignées des attaques contre la culture russe2 !
Et lire le blogue philosophique de Jean Bédard sur le même thème (sans concertation!).
2 L’OSM annule les concerts du jeune pianiste russe Alexander Malofeev – Les Artistes pour la Paix