Je suis sorti du film d’Hugo Latulippe, République : Un abécédaire populaire, relativement déçu. Le film est un peu longuet, sans ligne directrice claire. Latulippe réunit une quarantaine d’intellectuels pour faire le point sur ce qui ne va pas au Québec, de la dépendance au pétrole jusqu’au tondage de gazon, en passant par le mode de scrutin et la laideur des paysages urbains.
Certes, le film présente certains intervenants forts et captivants, comme Gilles Gagné, sociologue, que je ne connaissais pas. Amir Khadir est particulièrement brillant, de même que Luc Ferrandez, le maire de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal.
Mais pourquoi inviter deux chercheurs de l’IRIS, dont un qui nous lance, comme si c’était là une vérité de La Palice, que la solution, c’est la planification ? Peut-être a-t-il été coupé au montage, puisqu’il ne nous explique pas en détail sa solution, mais néanmoins, croit-il vraiment qu’on ne planifie pas au Québec quand une bonne partie du PIB est contrôlé par l’État ? Pourquoi inviter Gérald Larose, qui sonne comme un professeur de catéchèse ? Et Latulippe tenait-il vraiment à nous rappeler que Françoise David est d’un ennui mortel ?
Bref, j’étais déçu du film. Mais c’était avant que je lise ce qu’en disait Mathieu Bock-Côté, dans le dernier numéro de la revue Argument. Si vous ne connaissez pas MBC, eh bien, disons qu’il est le pendant «intello de café» d’Éric Duhaime. Il se décrit sur toutes les tribunes comme un conservateur, c’est-à-dire un gars qui se méfie du changement et qui joue, du haut de sa trentaine, les mononcles blasés qui aiment dire aux petits jeunes que la vie, c’est pas une partie de plaisir et que plus tôt ils se déferont de leurs utopies de gauche, mieux ce sera.
Anyway, MBC croit que Latulippe a bien su révéler la «cohérence indéniable» de la philosophie défendue dans les milieux progressistes. Les intervenants du documentaire défendraient essentiellement un Québec «égalitaire» et vert. C’est évidemment un raccourci, tout comme c’est un raccourci d’affirmer que «les penseurs mobilisés veulent tous la même chose : rompre avec la croissance». Pardon ? Au contraire, les interviewés parlent plutôt de redistribution, de contrôle des ressources, mais aussi d’autres sujets disparates comme Jean-Herman Guay, un professeur de l’Université de Sherbrooke, qui défend, depuis plusieurs années, l’idée d’un mode de scrutin plus proportionnel.
Peu importe la vérité, Bock-Côté nous dit : «Un instant les hippies !» Après avoir fabriqué un épouvantail, il l’agite solidement : l’écologisme fonctionne, selon lui, «à la mentalité pénitentielle». Pis après ? La démocratie libérale contraindrait les utopies «à négocier avec le principe de réalité». Oh, vraiment ? C’est pour ça, Mathieu, que les États s’endettent pour faire la guerre ?
Ce que présente Latulippe n’est, selon MBC, qu’une utopie. Qui plus est, une utopie «sans contraintes». Parce que le réalisateur n’est au fond qu’un rêveur. Selon MBC, pour Latulippe, «la géopolitique n’existe pas. Les Nations rivales non plus. Les pressions de l’environnement économique mondial encore moins.» Les pauvres gogauches confondraient tout, aussi. Ils ne feraient pas la différence entre la civilisation occidentale, le capitalisme et «une logique d’exploitation généralisée de la planète». Et il ajoute l’argument massue : «la croissance a d’abord servi les classes populaires.» Wow ! Mais est-ce que ça change vraiment quelque chose si une montagne de déchets miniers qui contamine une rivière est le produit du capitalisme ou plutôt d’une «logique d’exploitation généralisée de la planète» ? Est-ce vraiment une utopie de vouloir, comme Ferrandez, conserver notre patrimoine «paysager» ? Est-ce qu’en effet, certains changements ne dépendent pas véritablement d’un changement des mentalités ? Et sommes-nous réellement contraints par la «concurrence» ? Ne sont-ils grands que parce que nous sommes à genoux ? Et si la croissance a été profitable à la classe populaire, est-ce là une raison de baisser la garde ? Une idéologie blasée contrainte par la pseudo «réalité» est-elle vraiment préférable au retour à un mode de vie plus sain, autant individuellement que collectivement ?
Bref, j’étais déçu jusqu’à ce que Bock-Côté me rappelle que les idées doivent être défendues. Qu’il existe des camps en matière d’idées et que chacun d’eux usera de malhonnêteté pour défaire les idées de l’autre camp. Quand quelqu’un qui se dit un intellectuel n’est même pas en mesure d’évaluer sereinement le mérite d’un argument et qu’il se retranche dans le « criage de noms », ça me fait penser que le marché des idées avait, au fond, grand besoin du film de Latulippe.