Dans le champ des possibles, il y a l’idée d’élever son regard pour non plus entrevoir, mais s’apercevoir ce que l’on a manqué durant un jour, un mois ou un an. Prendre un chemin et s’arrêter pour voir qu’il est rempli de beautés éphémères, c’est peut-être une des significations de l’amour que l’on porte pour ces instants, car il laisse une empreinte indélébile dans nos souvenirs. Une photographie est cette trace de ce souvenir et inconsciemment, elle nous donne la capacité, la possibilité de recréer l’histoire et les émotions qui en découlent.
En ouverture du deuxième volet, notre attention se porte sur l’univers photographique de Annie Rousseau. L’art s’est imposé à elle en début de pandémie comme un exutoire, une échappatoire à tout ce qui se passait. Un art qui est devenu comme un rituel, celui de sortir avec son appareil photo sans aucune attente et dans le but de voir les belles choses. S’inscrivant au début dans quelque chose de très personnel, au fur et à mesure, ces photos ont évoqué de plus en plus des choses aux gens. Un rituel qui l’a amenée à porter un regard à l’extérieur et à prendre de nombreuses photographies lors des basculements de couleurs dans le ciel, que ce soit des couchers de soleil, des nuits, des instants de pluie ou des instants d’heure bleue. De cette passion découle une planification des trajets en voiture le temps de saisir l’éphémère pour une immortalité photographique.
Souley Keïta : Un ensemble où l’homme coexiste entre ciel et terre, où la nature se confond dans la couleur avec comme point de mire, une ligne de fuite comme cette possibilité de créer une suite, une réflexion hors cadre. Était-ce crucial de déconstruire l’éphémère?
Annie Rousseau : Il y a quelque chose dans le rapport au temps qui met en lumière le changement. Ce moment poétique est suivi d’un autre comme s’il n’y avait pas nécessairement de fin. Dans cette contemplation pour moi, le moment a duré longtemps pour saisir un instant. Le rapport au temps dans la méditation fait qu’il n’y ait plus cet espace-temps qui existe, il ne reste que le moment.
Souley Keïta : Dans votre histoire photographique, il y a le prolongement du regard dans lequel vous nous amenez à emprunter un chemin et à poursuivre l’histoire jusqu’à la fin, car la contemplation se trouve à la fin, pouvez-vous nous en dire plus.
Annie Rousseau : Je me suis rendu compte que cela a parlé beaucoup aux gens, c’est quelque chose dans notre quotidien, quelque chose que l’on peut voir tous les jours, mais lorsqu’on est pris dans la routine, dans nos vies, on laisse échapper cela, car on ne prend pas le temps de regarder le ciel. J’habite près de Montréal, puis les gens à Montréal ne voient ni les astres, ni les nuages, ni les champs ou les arbres qui sont présents. On ne les perçoit plus, on ne les ressent plus. Il y a quelque chose dans ce calme qui apaise les gens. Surtout en début de pandémie, j’avais beaucoup de commentaires de gens qui mentionnaient le fait que cela leur faisait du bien par le biais de la nature et de la beauté présente dans les photographies.
Auparavant, j’avais une vie à mille à l’heure, comme tout le monde, avec le travail, les projets, etc., et je ne prenais jamais le temps de regarder. Lorsqu’on est sous pression, on ne lève plus le regard et un jour en commençant à méditer, il y a quelque chose qui s’est ouvert. Pour l’expliquer, c’est comme si mon regard s’est levé et que je voyais pour la première fois des choses sur le chemin que j’emprunte depuis 7 ans. Des lieux et des couleurs sur lesquels je n’avais jamais porté mon attention. C’est devenu un besoin de les prendre en photo et une frustration de ne pas avoir pris le temps pour le faire.
Souley Keïta : On ressent dans ta photographie l’humain à travers une solitude qui s’inscrit dans la nature, peux-tu nous en dire plus.
Annie Rousseau : Effectivement, il y a quelque chose de très contemplatif, de méditatif. La connexion avec ce calme dans ces heures où la pénombre arrive est importante, car il y a moins de bruit, il y a moins de gens à l’extérieur, moins de voitures sur la route, cela crée une solitude apaisante, bienveillante. Apprivoiser cette solitude fait beaucoup de bien, car il y a une recherche du silence. D’ailleurs, il y a une photographie que j’ai nommée Entrer dans le silence. Dans une autre photographie prise en Gaspésie, Le chant des coyotes, le silence laisse la place aux coyotes qui se sont mis à chanter. Dans ces moments-là, il y a beaucoup d’intensité qui est rattachée à l’état dans lequel j’étais, à la musique que j’écoutais.
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