À Sherbrooke, les citoyen.nes de la ville s’interrogent sur la pertinence d’un investissement de 20 millions de dollars pour un stationnement de 800 places, dans un projet de revitalisation du centre-ville. À Bonn, en Allemagne, les négociatrices et les négociateurs de la COP23 tentent de donner une valeur monétaire aux cultures et aux savoirs immatériels pour compenser leur disparition par la montée des eaux du dérèglement climatique (voir article adjacent de Sylvain Vigier). À Ottawa, l’Agence du revenu du Canada offre une amnistie aux clients de la société KPMG qui a organisé leur évasion fiscale au Panama (voir page 6, article de SPE). Partout dans le monde, l’argent, ça va ça vient. Et ça n’est pas toujours ceux qui n’en ont pas qui chialent contre ceux et celles qui en ont trop (voir page 7, article Hubert Richard). Tous les jours ou presque est publié un livre ou un article pour nous convaincre que faire de l’argent est une vertu, que c’est la marque des « winners », de ceux et celles qui s’assument et ont compris de quoi la vie est faite.
Et pourtant. Combien d’heures de travail honnête nous faut-il empiler pour accumuler 1 million de dollars, une fois le loyer payé et ce qui remplit le frigo et les estomacs? Quel est le prix que nous payons collectivement à laisser s’enfuir des milliards de dollars vers les zones franches des paradis fiscaux? Un argent détourné du travail et de sa fonction d’échange, qui ne servira à rien si ce n’est de rajouter un nouveau zéro à la longue chaîne qui s’aligne déjà pour faire 1 000 000 000. Porter le revenu minimum à 15 $/h au Québec est présenté comme une folie et une hérésie par les économistes qui parlent comme des gourous et les « entrepreneurs » qui n’ont de vision de l’économie que leurs propres intérêts. Ces « sachants » concluent qu’un salaire décent pour le travail conduira à la ruine du pays et rajoutera de la pauvreté là où il y a déjà la précarité et même la misère.
Et pourtant! Ces milliards qui s’évadent vers les Bahamas, le Luxembourg, la Suisse, le Panama, d’où sont-ils apparus si ce n’est par notre travail, et aussi (surtout?) par celui de tous les hommes et les femmes qui ne jouissent pas de nos lois et protections sociales, trop souvent exploités sans remords? Et en bout de ligne, on peut s’interroger si ça n’est pas cette avidité qui fait monter la température sur la planète : autant de cupidité, d’avarice, de frénésie, d’une nécessité presque mystique de produire et donc de vendre de tout et à n’importe quel prix.
Plus localement, la ville de Sherbrooke va consentir un prêt de 26 M$ pour participer à la création d’un « quartier des entrepreneurs » qui redéfinira l’architecture et la fonction de la rue Wellington Sud. De cette somme, 20 M$ sont prévus pour un stationnement à étage quand 4 M$ seront investis dans l’aménagement urbain entre la rue Wellington et l’ancienne gare de chemin de fer (l’actuel Siboire). Ainsi donc, pour les 40 prochaines années au moins, notre projet commun sera la valorisation de « l’entreprise », elle qui ne s’intéresse à rien d’autre qu’à ce qui lui est profitable. Et notre lieu de vie sera conditionné à l’empilement de voitures. À ce stade du projet, 20 M$, c’est bien trop cher payé pour un avenir qui ressemble déjà au passé.