Les femmes représentent la moitié de l’humanité, mais force est de constater que nous sommes gouverné.e.s par une majorité écrasante d’hommes depuis 400 ans.
Au Québec, la politique chez les communautés autochtones incluait les femmes qui possédaient un pouvoir décisionnel réel, chez les nations sédentaires comme chez les nations nomades (bien que les hommes avaient un peu plus d’autorité chez ces dernières). Quelques caravelles et un choc microbien qui décime 95 % de la population autochtone plus tard, on se retrouve avec le système français.
Depuis 1791, le droit de vote est fondé sur la propriété et certaines femmes, des veuves, surtout, l’exercent. Jusqu’à ce que Louis-Hyppolite Lafontaine et sa clique décident que, franchement, ç’a pas rapport que les femmes aient du pouvoir sur leur destinée. En 1866, le Code Civil est refondu et les femmes sont exclues de la sphère citoyenne.
Dans les livres d’histoire, on parle de ces événements en soulignant qu’il s’agit d’avancées incroyables pour le Canada français qui construit graduellement son appareil et sa pensée politiques, malgré la tutelle de l’Angleterre. Louis-Hyppolite Lafontaine et Louis-Joseph Papineau sont montrés comme de grands hommes politiques qui cherchaient à redonner le pouvoir au peuple… ou plutôt à la moitié d’un peuple : les hommes. Même chose en ce qui concerne la révolution française qui marque le soi-disant début d’une pensée scientifique éclairée. Pourtant, les Français.es passent de sujets du roi à citoyens… et les femmes ne sont pas considérées comme citoyennes, n’ont pas le droit de vote et perdent les avantages que leur procurait leur situation précédente. Sans parler des idées misogynes alimentées par ceux qu’on appelle les Lumières, ces grands penseurs qui martelaient que l’utérus des femmes1 était la preuve de leur seule fonction utile à la société : enfanter. On disait les femmes inaptes aux affaires publiques, inintelligentes parce que trop sensibles, naturellement portées vers l’égoïsme et leurs propres pulsions. Vraiment avec ces mots-là.
On dit souvent que les femmes ne sont pas entrées dans l’histoire, mais moi je pense que l’histoire a choisi de ne pas parler d’elles —ou d’en parler en évacuant le caractère politique de leurs actes. Après tout, au Québec, on raconte dans les livres d’histoire que les femmes se sont fait « accorder » le droit de vote plutôt que de dire qu’elles l’ont « obtenu » après une longue lutte.
En ne se voyant jamais dans les livres d’histoire, en ne recevant pas de funérailles nationales ni de noms de rue, les femmes ne prennent pas souvent conscience de leur pouvoir et de leur compétence à gouverner. Elles décident de laisser la place aux autres parce qu’on leur a fait sentir qu’elles intimideraient trop les hommes si elles s’opposaient, si elles ne restaient pas douces et discrètes. Ce n’est pas non plus évident de faire sa place dans une arène dont il est difficile de disparaître pour un congé de maternité. On sait aussi que, la plupart du temps, ce sont les femmes qui prennent en charge la majorité des obligations familiales dans les couples hétérosexuels et que ça ne laisse pas beaucoup de temps pour une carrière politique.
Ça fait ainsi 400 ans que la politique québécoise est un Boys Club. On n’arrête pas de dire aux femmes de prendre leur place, mais on ne leur en laisse pas.
Le monde serait-il différent si les femmes avaient davantage gouverné ? Je pense que oui. Pas parce que nous sommes « naturellement » sensibles, mais plutôt parce que nous sommes souvent socialisées à penser aux autres plutôt qu’à nos intérêts personnels. Surtout, l’histoire ne se serait pas déroulée pratiquement comme si nous ne faisions pas partie du monde. Plus il y aura de diversité en politique, mieux les intérêts de tous et toutes, pas seulement ceux des hommes cisgenres blancs hétérosexuels, seront considérés.
Je suis heureuse de voir des femmes en politique, comme je suis heureuse de voir ma génération bénéficier de nouveaux modèles qui nous inspirent et qui pavent le chemin pour nous. Comme l’a dit Evelyne Beaudin, on ne peut pas toujours laisser la place aux autres.
1 Je rapporte ces propos en soulignant que toutes les femmes n’ont pas nécessairement d’utérus et que certains hommes en ont un.