Depuis le charivari des accommodements raisonnables jusqu’à la course à la chefferie du PQ en passant par les dernières élections fédérales, il semble bien que les épisodes de renfermement identitaire soient devenus un phénomène incontournable de la scène politique québécoise.
Malheureusement, ces crispations se drapent de nobles idéaux tels que la laïcité et l’égalité des sexes. Mais n’est-il pas illogique d’énoncer ces grands principes sous un crucifix parlementaire qu’il faudrait préserver par respect de la tradition? Il est temps de profiter de l’occasion pour penser une véritable laïcité loin de l’écueil démagogique et identitaire. Cette réflexion, contrairement à ce qu’en pensent les militants et les militantes identitaires, ne doit pas négliger les enjeux de l’exonération fiscale des lieux de culte, de la présence d’écoles privées confessionnelles ou même, du crucifix à l’Assemblée nationale.
À ce propos, il est intéressant de se rappeler les faits concernant ce fétiche parlementaire. Le crucifix a fait son apparition non pas dans le passé immémorial de nos ancêtres colonisateurs, mais en 1936. Ce fut l’un des premiers gestes du gouvernement de Duplessis nouvellement arrivé au pouvoir. L’intention n’était pas simplement d’affubler le Salon bleu d’un signe d’appartenance historique à la communauté chrétienne. L’Union Nationale désirait affirmer clairement la collaboration entre l’Église et l’État. C’est ainsi que s’amorcèrent les prémisses d’une étrange période de l’histoire québécoise que la postérité retiendra sous le nom de Grande noirceur. Il semble évident qu’une laïcité cohérente doit faire l’économie d’un patrimoine si interdépendant de l’histoire confessionnelle de la politique québécoise.
Ce n’est pas tout, le crucifix parlementaire n’est qu’un exemple flagrant. Nous pouvons pointer à de multiples niveaux cette connivence entre l’étatique et l’ecclésiastique et il y a souvent plus que du symbolique en jeu. L’exonération fiscale des lieux de cultes en fait la démonstration. En effet, l’article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale fait en sorte que plus de 4 500 lieux de culte sur le territoire du Québec ne paient aucune taxe foncière, scolaire ou municipale. Quantitativement, la valeur des propriétés exemptées correspond à plus d’un milliard de dollars, et ce, exclusivement pour la ville de Montréal. Saint Pierre posséderait-il par hasard les clefs du paradis fiscal? La probité de ce type d’exonération peut légitimement être interrogée. Comment justifier ce privilège qui n’est pas accordé aux autres organisations politiques et idéologiques? Un tel favoritisme n’est certainement pas soluble dans une perspective de laïcité générale.
Finalement, abordons un dernier cas, celui des établissements scolaires confessionnels dont la majorité du financement provient de l’État. Voici ce que l’on découvre dans un rapport du MELS: 71% des élèves du réseau d’éducation privé sont dans les écoles confessionnelles qui comptent pour 55% du total des écoles privées. De plus, les écoles revendiquant une appartenance religieuse reçoivent, en dernière analyse, plus d’argent que les établissements scolaires privés neutres. Pendant ce temps, la revendication laïque principale en éducation demeure la proscription du port d’un symbole religieux ostentatoire pour les enseignants et enseignantes du réseau public. L’ironie est d’autant plus forte que la fixation collective sur le voile fait oublier à la plupart l’importance relativement restreinte de l’Islam au Québec. À cet effet, le rapport du MELS nous rappelle que 86% des écoles confessionnelles sont catholiques. Faut-il nécessairement que l’État finance un système d’éducation privé qui, en plus d’être économiquement élitiste, se montre incompatible avec une politique cohérente de neutralité religieuse?
Pour conclure, la question laïque et multiculturelle prend une ampleur toujours plus grande depuis une dizaine d’années et il est certain que les récents remous électoraux signalent une continuité à prévoir. C’est ici que le choix vous appartient, car la laïcité et le multiculturalisme sont tous deux défendables. Mais si la prise de position est une nécessité, s’informer et réfléchir l’est davantage et devrait figurer en priorité dans l’ordre du jour de toute personne intervenant sur le sujet. Ici comme partout ailleurs, l’esprit de clan est à proscrire. Une laïcité authentique nécessite une transmutation culturelle considérable qui ne peut se compromettre avec le poison amer du ressentiment. Il ne tient qu’à vous de raisonner afin d’éviter l’écueil populiste qui limite le débat à des séances de frustration collective contre une minorité et qui laisse de côté l’essentiel.