L’abstention, un obstacle au changement

Date : 22 septembre 2022
| Chroniqueur.es : Sylvain Vigier
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Le Canada a perdu sa souveraine. En pleine élection provinciale et avec un Parti Québécois qui lutte pour sa survie, ça ne manque pas de sel. Donc, la campagne (médiatique) a fait une pause pendant 24h pour nous résumer en quelques mots les 70 ans de règne d’Elizabeth II : « elle a gouverné avec tact et finesse »; « elle n’a jamais manqué d’humour » ; « elle a occupé sa fonction comme un sacerdoce ». Bref, Lizzie a assuré grave. Mais finalement, n’est-ce pas ce que l’on est en droit d’attendre d’un chef d’État ? Et si la reine avait été au-dessous de tout ? De nombreux pays dont le Canada auraient eu à subir pendant 70 ans un chef d’État placé ici par Dieu en main propre, sans aucun recours que la mort de la souveraine. Une autre raison de préférer la démocratie et le vote.

Car, même si au Québec (et au Canada) on ne choisit pas son chef d’État, on peut choisir son parlement et, indirectement, le chef ou la cheffe du gouvernement. Cette possibilité, ce pouvoir, reste cependant inintéressant pour plus d’un tiers de la population en âge de voter (33,55 % d’abstention au scrutin provincial de 2018). On pourrait estimer que l’abstention fait partie intégrante du jeu démocratique, que l’on est libre de ne pas voter. Mais là où l’abstention devient un problème pour ceux qui votent également, c’est qu’elle n’est pas répartie de manière homogène dans la population. 

L’analyse des données de l’élection provinciale au Québec de 2018 montre que plus de 75 % des 55 ans et plus votent, alors que c’est moins de 50 % des moins de 35 ans. Lorsque l’on s’intéresse aux salaires des votants, on observe que les personnes gagnant moins de 20 k $ par an votent à moins de 40 %, moins de 50 % pour celles et ceux avec un salaire compris entre 20 et 40 k $, alors que les personnes avec un revenu de plus de 80 k $ votent à plus de 75 %, et on atteint le pic de participation à plus de 90 % pour celles et ceux qui gagnent plus de 150 k $. Ces données sont sans appel: ceux qui votes, ce sont les vieux (+55 ans) et les riches, et ceux qui ne votent pas, ce sont les jeunes (-35 ans) et les pauvres. 

Ceux qui votes, ce sont les vieux et les riches, et ceux qui ne votent pas, ce sont les jeunes et les pauvres.

Quand on constate cette surreprésentation du vote « âgé » et « fortuné », il n’y a aucune surprise à ce que la proposition de Québec Solidaire, surnommée pernicieusement « taxe orange », de taxer à 0,1 % le patrimoine dépassant 1 million de dollars se retrouve attaquée de toute part. Les gens qui votent le plus savent très bien où sont leurs intérêts, et ils se situent dans le statu quo et les baisses d’impôts. À l’inverse, on retrouve dans l’abstention celles et ceux que l’on appelait « essentiels » en plein cœur de la pandémie, soit les plus jeunes et les plus bas revenus, alors que ces groupes n’ont rien à gagner au statu quo et portent de nombreuses revendications qui entraineraient un réel changement de paradigme et d’organisation sociale.

Alors oui, l’abstention est un obstacle au changement tant que ceux et celles qui aspirent et ont besoin d’une transformation radicale de la société ne participent pas au choix des politiques qui sont mises en œuvre. Et leur abstention est du pain bénit pour les candidats et candidates qui sont contre ces revendications, mais qui peuvent compter sur la mobilisation de leur base sociale d’électeurs pour être élus. Ne pas voter quand on s’est fait flouer plus d’une fois, c’est tout à fait légitime. Mais ceux et celles qui prennent les décisions en notre nom et sur notre dos ont la légitimité de le faire de par l’élection et le vote. Guillaume Manningham (voir p.4) propose une autre alternative au vote, celle de l’implication citoyenne pour construire sa propre autonomie politique. Avec une telle autonomisation des non-votants, on pourrait se réjouir d’un programme de Québec Solidaire encore plus radical, et que la « taxe orange » sur le patrimoine rapporterait bien plus que les 1000 $ par million en patrimoine. Le jeu démocratique, comme on dit, a sa règle : les élections donnent des dirigeants. Moral ou pas, légitime ou pas, c’est la loi qui l’organise. Pour en changer, il faut voter ou prendre le pouvoir hors des urnes. Je ne suis pas effrayé par la 2e méthode, mais je reste convaincu que la première reste la plus efficace socialement. La Reine d’Angleterre n’était pas légitime comme souveraine du Canada ? Dont acte, la monarchie trône toujours au-dessus de la feuille d’érable et de la fleur de lys.

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