Il y a une odeur prononcée d’élection qui émane d’Ottawa depuis quelques semaines et qui s’est répandue à la grandeur du pays. Les élus de la Chambre des communes, revenant tout juste de leurs vacances estivales, ont adopté hâtivement le comportement de séduction qu’on leur reconnaît dans ces situations névralgiques: les promesses abondent, les élus chantent leur plus belle rhétorique, et les chefs bombent le torse en signe de défiance mutuelle.
En effet, tout porte à croire que le gouvernement minoritaire de Stephen Harper ne survivra pas au vote de confiance entourant la présentation du budget en mars. En lisant entre les lignes des nombreuses annonces et apparitions médiatiques de nos représentants, il devient évident que chacun des partis place stratégiquement ses pions en vue d’un affrontement électoral imminent. Tandis que les partis d’opposition reviennent de tournées à saveur électoraliste dans des circonscriptions clés, le Premier ministre, malgré ses dires, ne semble pas réfractaire à ce que son gouvernement soit défait.
Une baisse d’impôts pour les entreprises
Effectivement, si le caractère idéologique de son budget est à l’image des projections qu’on en fait, Stephen Harper pourrait littéralement forcer le désaccord des partis d’opposition et projeter le pays en élection. Parmi ses éléments conflictuels : la réduction d’impôts de 18 à 16,5% promise aux grandes entreprises, qui ferait du Canada le pays du G8 avec la taxation la plus clémente, et à laquelle le Parti libéral a déjà manifesté une opposition ferme. Or, le chef conservateur, défendant cette politique, a affirmé que « le gouvernement ne fera pas de compromis qu’il croit dommageable pour l’économie du Canada. »
La majorité nécessaire à la survie du gouvernement relèvera donc d’un appui conditionnel et improbable du Bloc Québécois ou du Nouveau Parti démocratique (NPD). Bien que le ralliement d’un seul de ces partis suffirait, le prix rattaché à leur coopération est extrêmement élevé. Le chef du Bloc, Gilles Duceppe, demeure intransigeant dans sa volonté de voir la TPS et la TVQ harmonisées de manière à ce que le Québec puisse bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés par Ottawa à l’Ontario et à la Colombie-Britannique. Or, les 2,2 milliards de dollars nécessaires à une telle entreprise sont loin de séduire le Ministre des Finances, Jim Flaherty.
Enfin, il semblerait que les seuls qui offrent une opportunité aux conservateurs de prolonger leur mandat soient, paradoxalement, les néo-démocrates. Ayant encaissé des défaites symboliques lors des élections partielles de novembre et demeurant désavantagé dans les sondages nationaux, le NPD avait entamé des pourparlers prébudgétaires afin d’en arriver à une entente qui lui permettrait d’éviter une élection. Malgré tout, son ton s’est durci ces derniers temps. Il serait étonnant que les troupes de Jack Layton sacrifient leur intégrité idéologique au nom d’un accord ponctuel qui pourrait sévèrement entacher leur crédibilité. Aussi, faute d’une autre prorogation controversée du Parlement, le gouvernement conservateur tombera.
Satisfaction garantie
Dans ces conditions, les Canadiens iraient donc aux urnes pour la 5e fois en un peu plus d’une décennie. Cependant, contrairement à la tendance, il semblerait qu’un Canadien sur deux est enthousiaste à l’idée d’une élection printanière, alors qu’on a normalement peine à franchir le cap du 40% d’intérêt. Cette fièvre électorale s’expliquerait entre autres par l’importance des enjeux et des débats qui devraient être soulevés durant la campagne : la place du Canada dans le monde, les solutions aux difficultés économiques, la stratégie de lutte contre les changements climatiques et la santé de la démocratie canadienne.
Mais surtout, de nombreux citoyens canadiens attendent impatiemment la chance d’exprimer leur mécontentement à l’endroit des politiques teintées de la partisanerie et de l’idéologie conservatrices. Aux yeux de plusieurs, le gouvernement actuel néglige le bien du plus grand nombre au nom d’intérêts particuliers.
Le gouvernement de Stephen Harper soulève pratiquement autant d’insatisfaction au Québec (69%) que celui de Jean Charest (70%). On peut parier que plusieurs tiendront rigueur aux conservateurs pour leur gouvernance considérée obscurantiste. Pour appuyer leur position, ils soulignent la prorogation du Parlement pour éviter l’imputabilité, l’érection d’obstacles à l’accès à l’information, le désintérêt pour la lutte internationale aux changements climatiques, la poursuite mensongère de la guerre en Afghanistan après 2011, le paradoxe entre la priorité économique et les milliards investis pour la sécurité au G20 et l’achat d’avions de chasse, etc. Pour eux, l’avènement d’une élection fédérale est l’occasion de mettre fin au règne des conservateurs.